Le saint peut être un savant, un théologien, un fondateur d’ordres : mais ce n’est pas par là qu’il est saint, bien que la sainteté trouve une expression dans toutes les oeuvres qu’il réalise, comme elle en trouvait une dans la manière de gouverner ou de tendre la main. Car le saint peut être cet homme du commun qui semble absorbé par les besognes les plus simples, à la fois solitaire et ouvert à tous, dont la vie extérieure paraît se réduire à quelques habitudes et dont nous surprenons parfois ou bien un simple geste, le plus familier et le plus inattendu, et qui pourtant résout, comme si tout allait de soi, une situation que l’on regardait jusque-là comme inextricable, ou bien un sourire profond et lumineux, qui, sans rien changer à l’état des choses, change pourtant l’atmosphère où nous les voyons.
Le propre de la sainteté, c’est de nous découvrir la relation entre les deux mondes, c’est-à-dire entre le matériel et le spirituel, ou encore de nous montrer qu’il n’y a qu’un monde, mais qui a une face obscure et une face lumineuse, et qui est tel que nous pouvons nous laisser séduire par son apparence, avec laquelle nous ne cessons de passer et de périr, ou pénétrer jusqu’à son essence, qui relève cette apparence elle-même et nous en découvre la vérité et la beauté. Le saint est à la frontière des deux mondes.
Le propre du saint, c’est qu’il va toujours jusqu’à l’absolu de lui-même. Il n’y a pas d’homme dont la vie soit aussi proche des mouvements spontanés de la nature : il y est pour ainsi dire livré ; c’est en eux qu’il puise tout son élan.
Dans chacun des hommes qui nous entourent, il y a un saint en puissance. Il ne le deviendra pas toujours. Car il y a aussi en puissance un criminel ou un démon. Et l’angoisse où nous sommes et dont la plupart des modernes pensent qu’elle est la conscience elle-même, exprime cette incertitude de savoir si c’est l’un ou si c’est l’autre qui triomphera un jour.