Dans ce petit livre très accessible (90 pages),
Eric le Breton nous démontre comment la mobilité a transformé nos vies quotidiennes, à travers les choix de la mise en place des infrastructures nécessaires à son exercice, dans notre pays.
Dans un premier temps, il retrace comment, ce que d'aucuns appellent « les trente glorieuses », ont permis l'émancipation d'une majorité d'habitants : accès à des logements plus modernes dans le péri-urbain grâce à l'élaboration de réseaux de transports collectifs allant de paire avec la construction de logements « modernes » ( pour accueillir en outre les personnes issues de l'exode rural et la main d'oeuvre immigrée), et surtout le développement de la voiture individuelle synonyme de liberté et d'autonomie, permettant un élargissement de la vie quotidienne : vacances, loisirs, trajets domicile- travail. Cette émancipation permettait de supporter les inconvénients liés à ce développement : promiscuité et inconfort dans les transports en commun, temps de trajet s'additionnant au temps de travail, pollution, embouteillage...
Mais l'évolution du marché de l'emploi et la concentration des services stratégiques dans les métropoles annoncent la fin du rêve et voient se dessiner les trois grands groupes mobiles que l'on trouve aujourd'hui :
-Les métropolitains utilisant un espace large et rapide, technique et cher ; ce sont les professions plus aisées des coeurs d'agglomérations, utilisant indifféremment les structures que les politiques mettent en place pour eux : lignes TGV, aériennes, autoroutes, qui bien souvent couvrent les mêmes destinations inter-agglos. Ce sont des personnes aujourd'hui hyperconnectées, disposant des ressources (applis etc) nécessaires pour s'organiser dans leur déplacement, faisant de la mobilité une compétence familiale. Elles peuvent avoir plusieurs résidences professionnelles et personnelles.
-Les navetteurs, constituant le groupe majoritaire et vivant à l'échelle de leur bassin de vie, urbain ou rural. C'est autour de leur navette domicile-travail que leur vie s'organise. La voiture, principal dispositif utilisé par les navetteurs, devient un habitat à part entière, lieu de vie de transition, intime, familial et social bien souvent. Ce type de mobilité impacte aussi d'autres professionnels que les salariés : artisans, commerciaux, étendant leurs espaces de travail (éloignement des chantiers, territoires géographiques à couvrir…)
-Les insulaires représentant deux à trois français sur dix et vivant des situations de mobilité contrainte et restreinte. Ce sont les oubliés des politiques d'aménagement (de déménagement ?) des territoires. Ces personnes habitent le milieu rural ou les banlieues éloignées, mal desservis par les transports collectifs. La formation, le travail, les services de santé, les loisirs leurs sont éloignés. La voiture (ancienne et usée, qui sera bientôt obsolète du fait du renforcement des normes), et le permis B (difficile à obtenir : 59% des candidats, contre 88% pour le bac, en 2018), coutent chers !
On perçoit ainsi facilement la dimension politique de la mobilité, facteur renforçant les inégalités. Elle est un droit générique, car comment utiliser ses droits sociaux, son droit au logement, à la formation, au travail, si on n'a pas accès à ce droit-là ? D'autant plus que toutes les politiques d'innovation dans ce domaine se concentrent sur les grandes agglomérations. Les superpositions et découpage des collectivités territoriales n'arrangent rien à l'affaire pour les territoires « rompus » : quartiers sensibles, rural et petites agglomérations.
Eric le Breton aborde dans la dernière partie, les épreuves à venir ; comment concilier mobilité et démocratie ?
En effet, l'injonction à la mobilité qui voudrait s'imposer à tous, dans tous les domaines de la vie sociale, disqualifient ceux qui ne sacrifient pas à ces standards de comportement : « les règles du jeu sont établies par ceux qui ont la capacité de sillonner la planète vite et confortablement » ; Ce sont eux qui bannissent la voiture ou en établissent les nouvelles normes, mettent en place des réseaux de vélibs, la voiture électrique, dispositifs peu ou non accessibles aux personnes modestes, qui de plus exploitent encore davantage les ressources naturelles. Heureusement des alternatives essaient de voir le jour, tel le mouvement des villes lentes (Cittaslow), ou le rejet du tourisme de masse. L'autre élément mettant en lumière le lien entre mobilité et démocratie, est ce qu'Éric
Le Breton soulève à travers la cohabitation des « passants » et des « résidents » (ex :20 000 personnes habitent le quartier de la Défense à Paris mais 200 000 personnes y travaillent !). Même si la demande d'implication politique semble faible de la part des « passants », on peut se poser la question si, dans certains lieux très fréquentés, les « passants » (voire les usagers pour la SNCF par exemple) ne pourraient pas avoir leur mot à dire sur les politiques d'aménagement territorial décidées par les collectivités locales.
Puisqu'il s'agit d'une critique, j'ajouterai un seul oubli dans ce livre ; l'inégalité homme- femme dans les transports. Car pour se déplacer « les femmes subissent la plupart du temps une double peine dans leur mobilité quotidienne : d'abord parce qu'elles sont victimes d'un harcèlement régulier qui affecte leur choix de déplacement, ensuite parce qu'elles assument le plus souvent des trajets supplémentaires pour les enfants et les courses. » (Stéphane Schultz)