Le Lien

Qui s'en fout ?
Pas moi.
J'vais plus à l'école depuis longtemps mais je m'intéresse.
J'ai bien fait de lire avant cet après-midi où j'ai classe avec la bande à Lilti sur "Un métier sérieux".
J'ai kiffé un max.
Bon, j'arrête de causer dans une langue que je ne connais pas.
D'ailleurs j'ai pas toujours compris les vannes des seconde A ou B.
Toujours, j'ai senti l'ambiance, les personnages à l'avant-plan d'un décor souvent abstrait.
Le dessinateur, assis au fond de la classe a saisi au vol les grimaces, les mimiques, les allures et les sentiments. Minh Guyen est autodidacte et a un coup de crayon assuré, peint de couleurs chaudes.
Et puis, il y a Mathilde Lèvesque, la prof, l'autre adulte auteure de cette passionnante chronique d'une année écoulée. Son texte d'exergue est touchant, empreint de la conviction d'être à la bonne place, même si elle en bave plus qu'à son tour; "c'est le prix à payer pour le lien le plus fort de tous : celui de l'attachement".
J'ai adoré ces tranches de vie d'une ou deux pages (4 à 6 cases max le feuillet), aux titres savoureux, gorgées d'humour, de tendresse, de préjugés déjoués, saynètes concises d'existences en dents de scie en Seine-Saint-Denis.
Je me suis marré grave (voilà que ça me reprend) à lire les messages échangés entre prof et élèves sur smartp.
Allez, deux petites avant le premier cours pour la journée.

L'ado, sac au dos, debout près du bureau de Mathilde :
Lui : Madame, je vous ai envoyé quelques textes que j'ai écrits - Vous les avez lus ?
Elle : Moui. Ça fait un peu poèmes d'amour d'ado... - Je trouve
Lui, main posée sur le bureau : Ben, en même temps , je suis un ado et j'écris des poèmes d'amour. - Donc bon (murmuré).
Elle, le stylo sur la bouche, le regard vers le mur derrière le poète : C'est pas faux.

Le visage d'une fille se détache d'un fond noir, peuplé de silhouettes informes. L'humeur est à la tristesse. Texte dans un cartouche blanc :
Dans une classe de 35, il n'y a pas assez de place pour que cohabitent l'enthousiasme et la tristesse.

Vous hésitez encore ?

A défaut d'être totalement original, ce roman graphique m'a réellement séduit par son élégance et son humour. Une professeur de français, une classe , une salle des profs, des conseils de classe, voici en gros le décor, forcément réduit, dans lequel se déroule ce roman graphique qui suit une années scolaire dans la vie d'une professeur de lettres.
C'est graphiquement très séduisant, chaque page présente une situation ou un personnage, et l'on comprend à la lecture de ce livre que le lien qui unit cette enseignante et ces élèves est particulièrement fort.
A côté de pages qui m'ont parfois fait penser à Fabrice Erre (prof lui aussi, mais en Histoire-géo, et auteur lui aussi de romans graphiques prenant pour cadre son métier), il y a ici une humanité très touchante. Dans une page émouvante, un élève arrive en retard suite à un contrôle de police (elle est professeur à Aulnay-sous-Bois dans le 9.3), et l'on nous rappelle que dans son lycée beaucoup d'élèves aimeraient pouvoir arriver à l'heure.
On n'est pas dans le cucul du tout, il faut le souligner, on se moque volontiers des élèves (mais aussi l'autrice, d'elle-même !) et des conversations par SMS entre élèves et professeur constituent les pages les plus franchement drôles du livre.
Une jolie réussite qui témoigne d'un engouement paradoxal autour d'une profession un peu décriée, mais sur laquelle sort au même moment un joli film avec Vincent Lacoste.
Les temps seraient-ils en tarin de changer pour ce beau métier d'enseignant ?

« le lien » est un roman graphique qui traite du plus beau métier du monde, celui de prof.
Mathilde Levesque est agrégée de lettres et docteure en langue et littérature françaises. Elle enseigne au lycée Voillaume d'Aulnay-sous-bois dans le 93.
Quant à Minh Nguyen, c'est un autodidacte qui a décidé de prendre au sérieux ses rêves de dessin après une première carrière dans un cabinet de consulting. Il signe là sa première BD en tant qu'illustrateur. Il trouve essentiellement son inspiration dans le quotidien des gens qu'il observe.
Il va donc observer Mathilde Levesque durant une année scolaire avec sa classe de seconde.
Comme elle le dit si bien : « Ces pages contiennent tout le sens de mon métier. Franchir le seuil de la salle de cours, monter sur scène ( et non pas descendre dans l'arène), faire tomber nos oeillères pour pouvoir embrasser d'un seul regard l'ensemble de nos élèves, construire un horizon avec certains collègues qui sont souvent bien plus que cela, voilà ce qui nous porte. le lien est un tuteur. » Mais il peut aussi être une entrave. le but ultime de l'enseignant est de toujours viser la victoire mais aussi parfois de devoir affronter l'échec.
Les planches de cet album ne sont pas numérotées et pourraient être lues dans le désordre car chacune est consacrée à une scène autonome. Les mois qui s'égrènent sont annoncés par un dessin pleine page.
On suit les élèves sur une année scolaire au travers de moments choisis, d'anecdotes qui ont marqués Mathilde Levesque. Elle tente d'intéresser des élèves pas toujours très coopératifs, à l'inertie de sa classe elle oppose humour et légèreté, elle vit parfois de grands moments de solitude quand ce qu'elle enseigne est à mille lieux du vécu et des préoccupations de sa classe, mais aussi des moments de victoire quand elle réussit à faire bouger les choses.
Certaines planches sont consacrées aux messages véritablement hilarants que lui adressent, quelque fois par erreur, ses élèves et à la façon dont elle leur répond.
L'humour est présent à chaque page de cet album, la bienveillance également mais ils ne masquent jamais les difficultés qu'il faut affronter : le sentiment d'impuissance, le manque de moyens, l'inhibition de certains élèves, les erreurs des adultes aussi et… la photocopieuse toujours en panne au moment où on en a le plus besoin.
Un album qui « ouvre les portes d'un milieu très souvent tenu à l'abri des regards. La tension peut être palpable, le désespoir se dissimule, l'insolence guette parfois ; mais c'est le prix à payer pour le lien le plus fort de tous : celui de l'attachement. »

« Lu dans le cadre du Prix Orange de la BD 2024. Je remercie Lecteurs.com ainsi que les Editions Payot Graphique pour cet envoi. »

Scènes de classe dans un lycée. Cours de français, voyage dans l'intimité du cours pour explorer le lien qui se met en place entre l'enseignante et ses élèves. L'humour, le second degré, la confiance, l'écoute, parfois ça fonctionne, mais pas toujours... et puis Héléna, Théo et les autres.

Mathilde Levesque est prof de lettres dans un lycée dans le 93. Ces scènes, elle les a vécues, autant de petites histoires qui témoignent de la vie d'une classe. Les enseignants en ont plein les poches de ces anecdotes, moments particuliers... c'est souvent drôle mais c'est aussi parfois émouvant, surtout quand les élèves parlent d'eux, de leurs problèmes, de leur rapport à l'école.

Minh Nguyen signe sa première BD en tant qu'illustrateur. Des dessins vifs, des scènes centrées sur les personnages, on évite la redondance du décor de la salle de classe avec un fond le plus souvent blanc.

Cet album tente de montrer ce qui ne se voit pas et c'est plutôt réussi. L'intimité d'une classe, le lien ténu qui relie le prof et ses élèves, un lien fragile mais si fort, si puissant ... des gestes professionnels souvent inconscients mais qui permettent la mise en place des apprentissages, Pour les profs oui, mais pas que !

Un lycée, une classe de français, la passion communicative, l'exigence et la tendresse : voilà « le lien ». Sobre, puissant, magnifique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/09/21/lecture-bd-le-lien-mathilde-levesque-minh-nguyen/

On peut suivre depuis plusieurs années, avec grand bonheur, les formes variées que prend la relation entre une enseignante de lettres et ses élèves de différents niveaux, du lycée et du BTS, dans une de ces banlieues d'Île-de-France, toujours aussi craintes et fustigées, alors qu'elles sont avant tout un brutal témoignage des inégalités sociales et territoriales qui hantent notre pays – et pas mal d'autres.

Mathilde Levesque nous avait ainsi tour à tour enchantés et malmenés, tranchant dans le vif de toutes ces certitudes si malheureusement instinctives, profondément implantées chez tant de celles et ceux pour qui tout va bien.

« LOL est aussi un palindrome » (2015) et « Figures stylées » (2017) mêlaient avec un rare mélange d'humour et de sérieux l'appropriation de la langue académique par les élèves et leur subtil détournement avec de nouveaux codes ad hoc, laissant déjà pressentir ce qui se jouait ici du rapport au savoir, à l'enseignement et – mais oui ! – à la tendresse aussi bien qu'à l'exigence.

« La tête haute – Guide d'autodéfense intellectuelle » (2019 – édité ensuite en poche sous le titre « Se faire respecter – La puissance de la rhétorique au quotidien »), puis le « Dictionnaire amoureux de l'éloquence » (2022), avaient, chacun à leur manière, poussé ce curseur un cran nettement plus loin, en termes de mise en scène et de mise en question habile du savoir émancipateur (en un mouvement pourtant bien différent, ô combien, de celui travaillé par Jacques Rancière dans son « Maître ignorant » de 1987).

En tentant le pari de la BD, et en en confiant le dessin, remarquable, à Minh Nguyen, l'autrice a réussi à ajouter, tout en pudeur et en silence éloquent (vous verrez à la lecture à quel point c'est le cas de le dire), à la dimension combative et combattante de la transmission du savoir – on devrait dire ici de l'enthousiasme de la connaissance partagée et comme recalibrée à la main de chacune et chacun – celle, difficile à résumer et qualifier proprement, que le titre choisi, « le lien », désigne pourtant parfaitement.

Quelque chose de magique se passe dans ces classes – et l'ouvrage nous fait ainsi rêver à tout ce qui serait partout possible si les moyens et la passion se rencontraient encore plus souvent (n'en déplaise aux sinistres compagnons de route du néo-libéralisme, plus ou moins débridé, en matière d'éducation nationale).

Publié en septembre 2023 chez Payot Graphic, l'ouvrage fête son lancement ce vendredi 22 septembre dans le haut lieu de convivialité qu'est le Royal Est (129 rue du Faubourg Saint-Martin à Paris), et la librairie Charybde y assure la vente des livres. Cela nous fera très plaisir si vous passez nous faire un petit coucou (et vous faire dédicacer la BD ou les ouvrages précédents de l'autrice, bien sûr !).
Lien : https://charybde2.wordpress...