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Critique de VictorPepepe


Scène récurrente avec Simon Leys : je réouvre un de ses livres entre deux portes pour y chiper quelques lignes et me délasser d'autres lectures plus laborieuses : plaisir immédiat, mon esprit reprend son souffle, et paf c'est reparti pour des heures de (re/rere/rerere) lectures, emporté par la profondeur de ses réflexions et de ses goûts (toujours impeccables!)

Celui-ci est un recueil un peu étrange, extraits disparates de la correspondance de l'auteur avec son ami Pierre Boncenne, qui présente le livre mais s'est quasiment coupé au montage.

Ce livre fourmille donc de considérations passionnantes sur toutes sortes de sujets, le plus souvent littéraires : les anecdotes savoureuses y côtoient des questionnements plus officiellement cruciaux avec la même vivacité de regard et d'expression (pour être honnête, le livre comporte aussi quelques rares anecdotes vraiment anecdotiques sur l'actualité ou les platitudes du quotidien, ça n'est pas bien grave, mais j'enlève quand même une demie étoile pour le travail éditorial)


Les passions littéraires (et humaines) de Simon Leys sont communicatives. En voici quelques-unes qui rentrent immédiatement dans ma pile :


Balzac - le Colonel Chabert et le Curé de Tours

Borges : "à mon sens le si rare et merveilleux génie de Borges est un GÉNIE DE LECTEUR - et mon délice est encore redoublé par le choix de ses lectures: Unamuno, R. L. Stevenson, Chesterton, etc. Ses notules brèves sur les livres (et sur les films) sont d'une originalité saisissante, car naturelle. Paulhan (dans ses petites notes de lecture de la NRF, les "Chroniques de Jean Guérin") m'apporte ce même type d'éclairs - illuminants, électrifiants.

Burnier/Rambaud - "Le voyage en Avanie populaire". "Pour se remonter le moral (...) dans La Farce des choses de S. de Beauvoir (et aussi le Roland Barthes sans peine) - j'égare bien des livres, hélas - mais je m'accroche à ces deux trésors qui occupent une place d'honneur sur les rayons (...) je ne connais rien de plus drôle"

Chardonne : "Vis-à-vis de Chardonne mes sentiments sont partagés : ses vues politiques me sont antipathiques, il a des opinions médiocres, parfois odieuses. Mais son jugement littéraire est superbe de justesse et de justice. C'est un incomparable critique - capable d'ADMIRATION, même pour des tempéraments qui lui sont étrangers. Et sa langue est une merveille : après les années d'Extrême-Orient et d'Australie, ouvrant un jour, tout à fait par hasard, un de ses livres, j'ai vraiment fait la découverte bouleversante de la beauté de la prose française: clarté, concision, naturel"

Chesterton (référence récurrente de Simon Leys) (“En bref, il n'est aujourd'hui aucune oeuvre qui me semble approcher la vérité de plus près que celle de Chesterton." Il n'y a pas beaucoup d'hommes de lettres qui percevaient ça en 1928. Il n'y en a pas beaucoup qui perçoivent ça aujourd'hui. (...) C'est un livre inépuisable. Il est opaque, mais d'une opacité naturelle comme celle d'une nuit profonde - nullement arbitraire. Et il est aussi drôle qu'effrayant.")


Cioran - Cahiers ("J'avais tout d'abord hésité à me les procurer, pensant que j'avais déjà l'essentiel de son oeuvre, et que ce gros volume n'était peut-être qu'un recueil des copeaux tombés de son établi. Mais, tout au contraire: ce livre me touche encore plus que tous ses autres ouvrages. (Quoi de plus tonique que le désespoir de Cioran? Ainsi : "Nous sommes tous des farceurs : nous survivons à nos problèmes.")

Coetzee - Disgrâce ("Disgrâce est un pur chef-d'oeuvre. Je me souviens très bien du jour où j'ai commencé à le lire, dans un café, alors que je venais juste de l'acheter pour passer le temps. Tout à coup, j'étais dans le livre. Quand la fiction est bonne, il n'y a rien de comparable à cela : vous êtes transporté dans le livre et le monde autour de vous n'existe plus. Disgrâce m'a donné cette sensation d'un bout à l'autre. Pas une fausse note, sur un sujet particulièrement dur. Il n'y a aucun héros positif, tout le monde est contaminé. On découvre un écrivain confronté au mal et à cette terrible réalité : tout le monde commet des abominations. Il est très rare de rencontrer une telle justesse et profondeur dans une prose sans effet littéraire, en somme avec une littérature invisible. Dans Anna Karénine ou Guerre et paix on ne peut pas dire que Tolstoï écrit bien : on est tout simplement emporté par le fleuve. Dans un genre différent : Coetzee n'est pas un styliste, mais il dit exactement ce qu'il a à dire avec une féroce limpidité.")

Conrad (référence récurrente de Simon Leys)

Dumas - Mes Mémoires / Une Odyssée en 1869 ("la verve et l'optimisme solaire de Dumas. Générosité de génie !")

Gracq - Entretiens / Carnets du Grand Chemin

Loti ("J'ai lu et relu beaucoup de Loti ces temps derniers; le bougre n'est pas sympathique, mais il est fascinant - quel écrivain! Je comprends pourquoi Proust l'admirait tant : il y a des analyses de sensations et de souvenirs (dans le roman d'un enfant, tout particulièrement) qui préfigurent la Recherche du temps perdu.")

Malcolm (Norman) - Ludwig Wittgenstein - A Memoir (with a biographical sketch by G.H. von Wright)

Michaux (référence récurrente de Simon Leys)

Munro (Alice) - longues nouvelles (short stories) dans Dear Life (“ le livre est impressionnant : il traite de la complexité trompeuse et du mystère de gens ordinaires dans leur vie ordinaire. D'une certaine manière, c'est un peu l'équivalent, dans le décor d'une petite ville canadienne, de la vie quotidienne en Russie décrite par Tchekhov. (...) leur force d'attraction a quelque chose d'étrange et inquiétant : c'est, à la fois, magnifique ET déprimant (ce qui est selon moi, une contradiction esthétique)”)

Paulhan (“J'ai relu - avec un enthousiasme toujours renouvelé - la correspondance de Paulhan. Ses opinions et jugements sont soutenus par une esthétique profondément cohérente, humaine et juste. Quel esprit admirable. Dans une lettre à Étiemble (qu'il critique gentiment) il définit exactement ce que j'essayais de vous dire y a quelque temps au sujet de J.-F. Revel : "Il me semble que ton grand défaut - qui est celui de toute "philosophie des lumières est, en refusant à la pensée toute zone obscure, de rejeter à toutes les superstitions (en fait à la religion chrétienne) tous les esprits - ce sont souvent les meilleurs -
sensibles à l'existence de cette zone. Zone qui, de vrai, est évidente.”)

Rebatet - (“Avez-vous lu Les Deux Étendards de Rebatet? Étonnant chef-d'oeuvre - dû à un homme très vil... Ce roman EXTRAORDINAIRE était en fait largement autobiographique”)

Revel (“Revel est un homme rare : une intelligence puissante et à laquelle se joint un salubre sens du comique. (On peut dire une chose profonde et vraie de façon drôle : il possède à un haut degré cette notion anglo-saxonne qu'on rencontre trop rarement, il me semble, chez les intellectuels français.). (...) J'ai l'impression de poursuivre en permanence une sorte de discussion imaginaire avec Revel - et c'est en cela que son intelligence est tellement stimulante : il vous oblige à réexaminer des tas de questions essentielles, et même quand on n'est pas d'accord avec son idée, c'est son idée qui sert de tremplin à notre réflexion.”)

Rinaldi (“Je partage votre admiration pour Service de presse de Rinaldi. Ses traits barbelés sont fameux, mais il y a bien plus: son jugement me paraît exceptionnellement sûr et Revel avait raison de souligner (dans son introduction) la force et l'importance de ses critiques positives. C'est grâce à une de ses anciennes chroniques que je me suis mis à lire Flannery O'Connor (d'abord sa correspondance, excellemment traduite et présentée par Gabrielle Rolin, L'Habitude d'être, Gallimard - et puis j'ai poursuivi ces lectures dans l'ori- ginal). (...) Ces rarissimes divergences d'opinion (elles ne surviennent guère que dans le domaine anglo-américain; sur le terrain français, son goût et son discernement sont impeccables) n'enlèvent d'ailleurs rien au bonheur de le lire et le relire. La façon dont il fustige B. H. Lévy au sujet de Cioran est superbe!”)

Santayana : "Tout ce qui vit est tragique dans son destin, comique dans son existence, et lyrique dans son essence idéale (...) Cette triple dimension (tragique-comique- poétique) me semble une prodigieuse pierre de touche critique. Un artiste n'est vraiment universel et complet que s'il dispose à la fois de ces trois registres (Zhuang Zi, Shakespeare, Bruegel, Tchekhov, Cervantès, Goya, Mozart...). Et, vu sous cette lumière, Proust n'est-il pas le plus grand romancier européen? (Tolstoï est dépourvu du sens comique.)

Segalen (référence récurrente de Simon Leys)

Serge (Victor) - Mémoires d'un révolutionnaire ("un des plus grands livres du XXe siècle !)

Seth (Vikram) - An Equal Music ("un roman d'une beauté INDICIBLE")

Stendhal - "Le choix de lettres De Stendhal, sélectionnées et présentées par Boudot-Lamotte, est un TRÉSOR"

Tcheckov - Les Groseillers (très courte nouvelle)

Unamuno - San Manuel Bueno, Mártir

Van Gulik- Série “le Juge Ti” et La vie sexuelle dans la Chine ancienne

Vargas Llosa - reportages en Irak

Veyne - le Quotidien et l'Intéressant ("d'une intelligence lumineuse (...) Tout à fait incidemment, j'ai été amené à ouvrir à nouveau ce livre (pour vérifier un détail) - et j'ai été entraîné à le relire d'un bout à l'autre"
(Et quel plaisir de découvrir qu'une belle âme que l'on adore (Simon Leys) adore elle-même une autre belle âme que l'on adore (Paul Veyne)

Vialatte - chroniques (“l'art exquis qu'il mettait à Des papiers destinés à des publications parfaitement obscures ou marginales")

Vienet (René)

Waugh (Evelyn) : "Scoop (traduit sous le titre de Sensation - je crois) : l'incomparable classique sur le journalisme (tous les bons journalistes anglo-saxons le connaissent par coeur - certaines de ses phrases sont d'ailleurs passées en proverbe ["Up to a point, Lors Copper!"]) - Un de mes favoris (à côté du Cher disparu - superbe) est A Handful of Dust: pur chef-d'oeuvre!

Weil ("Simone Weil opposait l'attention qui est humble et réceptive à la volonté qui est trop "activiste". L'attention, cela peut être, tout simplement, celle de l'écolier devant un problème de géométrie : s'il est capable de concentration complète sur la question à traiter en oubliant son moi, il s'améliorera. Pour Simone Weil, l'attention est aussi une forme de prière et elle joue un rôle essentiel dans la contemplation d'un paysage ou d'une oeuvre d'art"
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