L'Année de Grâce est une dystopie passionnante. C'est à la fois un bon roman d'aventure et une réflexion sur la servitude des femmes dans une société régie par les hommes.
Tierney a seize ans et vit dans le comté de Garner County. Comme sa mère et ses soeurs avant elle, elle s'apprête à passer une année hors de la ville,
l'Année de Grâce, pour chasser la magie diabolique inhérente à toutes les filles et que tous les hommes craignent. Les femmes auraient en elle un pouvoir malsain destructeur (la séduction) qui troublerait les honnêtes hommes de façon irrémédiable (la provocation du désir). Ainsi chaque fille est élevée dans l'interdiction de la recherche de son propre plaisir, coupable dès sa naissance de transmettre sa perversité. Chaque homme a droit de vie et de mort sur son épouse. Personne ne parle de
l' Année de Grâce, surtout pas les femmes quand elles reviennent, si elles reviennent. Un tabou puissant et une peur savamment distillée entourent ce mystérieux rite de passage.
Tierney, contrairement aux autres jeunes filles, a eu plus de liberté dans son enfance grâce à son père, médecin, et à son meilleur ami Michael. Parce qu'elle réfléchit, qu'elle se montre rationnelle et qu'elle ne considère pas les éléments naturels comme de la magie, elle va se faire des ennemies parmi les trente deux jeunes filles qui partent avec elle en Année de Grâce. Rapidement, elle est chassée du groupe et ne peut plus compter que sur elle-même pour survivre face au manque d'eau, de nourriture et au danger que représentent les braconniers, ces tueurs sadiques qui gagnent leur vie en vendant les organes prétendument aphrodisiaques et curatifs des jeunes filles.
La société décrite par
Kim Liggett est sans concession. Elle exclut et bannit celles qui n'en sont pas dignes vers des « quartiers extérieurs » où les hommes trouvent leur plaisir. Elle rappelle une société moyenâgeuse, ultra religieuse et mystique, entourée de superstitions et qui voit dans les femmes le danger et la perversion. Tentatrices par nature, il est nécessaire de les cacher, de les faire taire, de les briser pour les rendre dociles, voir de les tuer. C'est le mythe du péché originel qui dirige les hommes vers cette hypocrisie et cette cruauté. Les jeunes filles elles-mêmes croient en leur magie et cherchent à s'en débarrasser.
Le personnage de Tierney est très intéressant. Son instinct de survie et sa détermination lui seront salvateurs durant cette année. Elle comprend qu'elle ne réussira pas à convaincre le groupe que la magie n'existe pas. Parce qu'elle découvre le piège qui pousse les jeunes filles à se battre et s'entretuer, parce qu'elle se montre compatissante et généreuse, elle sauvera ses amies de la folie. Persuadée que la vérité pourra libérer les femmes, elle prendra même le risque d'être lynchée.
L'histoire d'amour qu'elle connaît avec un braconnier apporte un peu de douceur au récit. le personnage de Michael, son ami d'enfance, est touchant. Il s'oppose à la forte pression exercée par la population pour sauver Tierney dont il est amoureux. le dénouement apporte de l'espoir et les réponses aux indices laissés par
Kim Liggett au long du roman. Ce sont les femmes qui changeront lentement cette société, sans révolte violente mais en secret et avec une solidarité poignante.
Le roman ne laisse aucune place à l'ennui. le lecteur est plongé avec Tierney dans une année tumultueuse, passionnante et initiatique. Bonne lecture !