Cassie parle parfaitement le polonais, avec un petit accent américain qui est un charme de plus. Je me plais à la relancer, parce qu’elle rebondit bien, sans une once de retenue. De Cosette, elle est passée, en moins de deux, à Mary Poppins, une vraie pipelette, gaie, sémillante, tout ce qu’on aime. Je me demande ce qui peut se cacher derrière ce petit masque pêchu. En tout cas, j’ai beau l’ausculter de loin, rien ne m’indique qu’elle soit malade, excepté peut-être sa minceur qui émacie un peu ses joues.
La vérité est que, sans vouloir me l’avouer, le comportement de Cassie m’a vraiment déçu. Après son attitude confiante et expansive de l’autre soir, je m’attendais à un bien meilleur accueil de sa part. D’autant plus que je persiste à ne pas la croire malade, même psychologiquement, avec le recul. D’ailleurs, à présent, je ne suis pas loin de la considérer comme une de ces hystériques qui, gâtées à la fois par la vie et par son père, en viennent à croire que le monde et les hommes ont été créés uniquement pour servir de jouets à leurs caprices, et, n’ayant finalement plus rien à désirer, tombent dans un incurable ennui qui les rend plus insupportables encore.
Que faire ? Impossible de reculer quand « inséparables » a été mentionné. Il regarde, hésitant, l’écriture ronde de sa sœur. Non, elle ne peut pas agir de la sorte. Pour une fois, Romain se sent empreint de responsabilité ; le temps leur est compté, l’adolescence doit être abrégée pour laisser la place à la sagesse.
Sa figure est fine et volontaire, avec des traits harmonieux, des iris bruns comme ses cheveux, et une boucle d’oreille en anneau que je viens seulement de remarquer et qui me fait soupirer – simple réflexe de vieux. En caractère, je dirais qu’il est loyal de naissance, il a toujours été droit dans ses sentiments, ce qui est énorme pour un carabin. Pourtant, d’un autre côté, j’aurais bien aimé voir chez lui un peu plus de sensibilité et de spontanéité, je trouve son comportement trop calculateur pour son âge. Déjà, enfant, même quand il exaspérait tout le monde avec sa turbulence, il le faisait avec une sorte de positivisme.
L’état de Romain est critique ; un corps perdu, gâté, que la maladie abâtardit jour après jour, sans relâche. Depuis peu, ce petit bolide lui est devenu un moyen de déplacement indispensable. Ses jambes ne le portent plus, en partie à cause de la myasthénie – une fonte musculaire grave d’ordre neurologique, dixit monsieur le professeur en sciences médicales.
Ses parents ferraillent depuis des mois et des mois contre les multiples remparts administratifs, afin qu’il intègre ce projet expérimental que tout le monde dit si prometteur. Les souris ont été guéries, puis les singes, et maintenant vient le tour des humains.