Je vais être très franc. Ce roman m'a fait très peur. Peur comme c'est le cas pour tous ces romans pour lesquels les critiques s'emballent au point d'en faire des oeuvres inoubliables, créant alors chez les lecteurs des attentes trop souvent déçues. Peur ensuite parce que durant les 200 premières pages, j'ai passé mon temps à me dire "Mais j'ai déjà lu cela quelque part". En gros, une impression de réchauffé. Après tout, on peut aussi se dire que pour un premier roman, on cherche à reproduire ses modèles et cela s'avère somme toute normal. Sauf que
Jérôme Loubry ne s'arrête pas à ces 200 pages et passe la deuxième, puis la troisième avant de s'emballer pour un rodéo final de 100 pages parfaitement réussies voire inoubliables. Je confirme : ce roman est un petite bombe même si elle s'avère à retardement.
L'auteur situe, tout d'abord, son récit dans un Détroit aux décors quasi apocalyptiques. On a presque du mal à s'imaginer que cette ville en soit arrivée à un tel niveau de délabrement voire de destruction. En lisant certaines descriptions, celle qui fut la ville de la réussite industrielle il y a quelques dizaines d'années ressemble, les crises passées, aux décors de la série "Walking Dead", les zombies en moins. Même si l'intention ici n'a rien de politique, on a du mal après une telle lecture à croire aux belles promesses concernant la puissance de l'industrie américaine même sous une présidence aussi bienveillante que celle de
Barack Obama. Ici, c'est la toute-puissance de l'époque des subprimes qui explose aux yeux du lecteur et le moins que l'on puisse dire, c'est que le capitalisme en prend pour son grade. Une telle toile de fond ne peut alors donner lieu qu'à une histoire particulièrement glauque.
Et en matière de glauque,
Jérôme Loubry semble s'y connaître. Alors oui, comme je l'ai indiqué, les 200 premières pages sont un peu décevantes car on a un sentiment réel de déjà lu : un enquêteur qui foire son coup d'autant que sa vie privée est en déconfiture totale, une jeune inspectrice schizo faisant un peu penser à Clarice Starling face à un nouvel Hannibal, non cannibale certes mais tueur d'enfants pour le coup, une enquête qui rebondit après plusieurs années quand le serial killer semble reprendre du service... Autant d'éléments trouvés dans bon nombre de thrillers déjà écrits. Mais là où
Jérôme Loubry affiche clairement sa patte personnelle, c'est en donnant aux lecteurs 95% des indices pour résoudre l'énigme dès les premiers chapitres sans qu'ils soient en mesure de les identifier tout de suite (à titre d'exemple, le rappel régulier de la légende du fameux "Géant" qui prend une toute autre signification entre le début et la fin du roman). Une fois les 5% restants révélés au détour d'une conversation, une centaine de pages avant la fin, l'esprit du lecteur se met en branle et commence peu à peu à mettre en place le puzzle révélant un dénouement totalement surprenant et d'une logique glaçante et implacable. Dans cette histoire, rien ne relève du hasard et c'est la raison pour laquelle Sarah Berkhamp aurait sans doute préféré ne jamais en connaître l'épilogue car on peut dire que c'est elle la grande perdante sur tous les plans dans l'histoire. On appréciera le recours aux explorations récurrentes dans l'esprit de Sarah Berkhamp qui sèment le trouble dans celui des lecteurs une bonne partie du récit. Franchement, la larmichette n'était pas très loin à la fin en ce qui me concerne et je ne suis pas un grand sentimental.
Le terme de "rédemption" prend également tout son sens une fois arrivé au terme du roman, même si celui qui l'a souhaité se révèle être le seul à ne pas la connaître. Je rassure tout le monde, rien d'ésotérique dans l'histoire, seulement des personnages désireux de faire la paix avec eux-mêmes et leur entourage. le Géant de brume aura, cependant, réussi une chose dans ce roman : "délivrer" de leur passé ceux qui en étaient les esclaves même si cela rime pour certains avec "sacrifice de soi ou des autres".
Au final, un excellent polar à découvrir sans a priori tant le dénouement se révèle être une véritable réussite.