Trois histoires, trois époques et une foule de personnages centrés autour de la synagogue Ben Ezra du Vieux Caire, et notamment de sa gueniza (pièce -ici une mansarde - où sont gardés chaque support où apparaît le nom de Dieu, qui empêche le document d'être jeté; une sorte de rebut sacré).
Moyen Age, milieu du XIème siècle, al-Fustat (qui deviendra le Caire) : un jeune orphelin musulman, Ali, devient le gardien nocturne de la synagogue Ben Ezra. Il y côtoie de sages et pieux juifs, y ressent la fureur passionnel du grand amour et, surtout, il se découvre lui-même.
1897, le Caire : Agnès et Margaret, soeurs jumelles veuves, aisées, érudites et attachées à la conservation des traces du passé, s'emploient à sauver presque mille années de documents dans la gueniza de Ben Ezra. Des vols s'y déroulent pour alimenter un marché noir du passé.
De nos jours, Berkeley : le narrateur, américain dont les parents sont égyptiens, la mère juive et le père musulman. La mère célibataire a émigré vers les États-Unis pour assurer sa place et élever son fils. le père, lui, reste au Caire, dernier gardien de la synagogue. A sa mort, il transmet à son fils un écrit ancien, sous verre, où un des côtés est en arabe et l'autre en hébreu. Yusuf, le fils, doctorant en littérature anglaise, intrigué par ce texte et empli de questions sur ce père finalement si mal connu, s'envole pour l'Égypte à la recherche du passé et également de lui-même.
Il est beaucoup question de transmission dans ce beau roman sobre. Héritage du rôle de gardien de la synagogue de père en fils aîné depuis l'an Mil dans la même famille.
Transmission des savoirs et du passé qui s'accomplit par la conservation et l'étude de ses traces.
Transmission de secrets et d'histoires autour de cette antique synagogue du Vieux Caire, qui recèlerait depuis le IVème siècle avant notre ère le rouleau d'Ezra, une copie due à ce rabbin qui voulut débarrasser le texte de la Torah des apports et erreurs successives afin de lui rendre sa pureté originelle.
A chaque époque évoquée, alternativement, l'auteur parvient à restituer avec beaucoup de justesse l'ambiance des lieux et du temps. de ses personnages émanent une grande humanité, avec ses erreurs comme ses sagesses, ses faiblesses comme ses forces. Il y a beaucoup d'interrogations chez ces protagonistes, qui dépassent le cadre temporel aussi bien que spatial et nous renvoie à nos propres questionnements, à la relativité de certains aspects de nos vies et de la vie en général. Éléments historiques, intrigues amoureuses, leçons de compassion et d'humilité, partage de la passion de préserver les traces du passé pour l'offrir aux générations à venir, voilà autant de richesses que j'ai trouvées dans ce roman au style sobre et élégant.
Une perle orientale à découvrir sans hésiter.
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Trois dinars représentaient plus qu’il ne gagnait en six mois comme porteur d’eau, et la salle de classe était plus grande que la maison de la famille de son oncle, dans laquelle il habitait. Une offre inattendue, généreuse, un vrai coup de veine, cependant Ali avait appris à se méfier du destin et, bien que les juifs l’aient décemment traité, il ne savait rien d’eux et de leurs usages. Il ne voyait aucun inconvénient à leur proposition, mais il n’était pas prêt à l’accepter tout de suite. Naturellement, les juifs de Fostat comprirent qu’il se montre prudent.
Jouer au ballon, me conduire à l’école, me consoler lorsque j’avais raté quelque chose ou un genou éraflé – ces tâches-là, elles aussi paternelles mais plus prosaïques, incombaient à ma mère ou à Bill. Tout bien considéré, ceux-ci ont rempli leur mission. Concrètement, je n’ai manqué de rien à cet âge. Pourtant j’ai toujours ressenti une sorte de rupture, de lacune.
Le fond du problème n’était pas vraiment de savoir avec qui je couchais. Si je m’affichais avec une petite amie, tout en sortant par ailleurs avec des garçons, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir. D’après ce que j’avais compris, c’est ainsi qu’on procédait en Égypte. La transgression résidait en fait dans l'aveu.
Comme d’habitude, elle avait raison. La chaleur et la pollution ont fini par paraître normales, je me suis habitué aux microbes, au fait que tout le monde m’appelait « Yusuf » et, au bout d’une semaine, Aïcha et moi étions devenus inséparables.
On dit que l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime, continua le jeune homme. En va-t-il de même pour les incendiaires ?