Certains personnages majeurs de l'histoire de Rome sont totalement éclipsés. Prenez Scipion l'Africain, par exemple. Il est le grand vainqueur de la seconde guerre punique, et pourtant, il n'y a en que pour le vaincu dans nos livres!
Tibère est lui aussi injustement tombé dans les oubliettes de l'Histoire. Les quelques bribes de souvenir qu'on a à son sujet nous viennent des portraits au vitriol que Tacite et
Suétone ont brossé des " princeps imperator" qui leur déplaisaient pour mieux souligner par contraste nostalgique le temps révolu de la "liberté" au sens où ils l'entendaient, c'est-à-dire l'époque où quelques familles dominantes se répartissaient le pouvoir, entre magistratures annuelles issues des élections sur le Forum ou sur le Champ de Mars et jeux d'influence au sein du Sénat, autrement dit la République.
Autre fait aggravant pour lui,
Tibère succède à un dieu, Auguste, fondateur du nouveau régime, cette construction politique que de nos jours nous appellerions tout simplement une dictature militaire! Oui,
Tibère a eu la pire des places dans la chronologie... Tenez, plus près de nous, on parle abondamment de Louis XIV, qui certes n'a pa été divinisé mais qui a une stature de géant. Or qui se souvient des faits marquants de la Régence de Philippe d'Orléans?... Rejeté dans l'ombre du Roi Soleil, comme un
Tibère moderne!...
Le coup de maître d'
Emmanuel Lyasse tient d'abord à sa capacité éblouissante de restituer parfaitement le contexte dans lequel est né, a grandi et a accédé à la fonction suprême
Tibère, qui n'y est parvenu en définitive que parce que le sort a contraint Auguste à se résoudre à choisir celui qu'il voyait comme un tout dernier recours, faute de mieux, sur la liste de ses successeurs potentiels trop tôt montés sur la barque de Charon.
Ensuite, conscient des risques que posent des considérations psychologiques conjecturées à deux millénaires de distance sur la foi de sources souvent partielles et, comme on l'a dit plus haut, presque toujours à charge,
Emmanuel Lyasse parvient néanmoins à dessiner le contour de la personnalité complexe de
Tibère. A la lumière de cette brillante biographie, on voit en
Tibère un homme qui n'était pas destiné à revêtir la pourpre apprendre pourtant rapidement à gouverner avec la sagesse et la mesure qui confèrent la hauteur de vue et la lucidité indispensables à la prise des meilleures décisions de nature à pérenniser le nouveau régime. Pari gagné! Rome ne reviendra pas en arrière et son Empire durera presque cinq siècles à l'Ouest, quinze à l'Est avec Byzance.
C'est donc vraiment un livre qui comblera les attentes de qui s'intéresse à cette phase de l'histoire de Rome.