A l'époque antique, le territoire perse a été le lieu d'épanouissement de trois religions presque entièrement disparues aujourd'hui. Le mazdéisme, le zoroastrisme et le manichéisme concevaient le monde comme le lieu d'affrontement perpétuel entre le Bien et le Mal; elles n'étaient donc pas monothéistes. Ensuite, le manichéisme qui est en quelque sorte un syncrétisme du zoroastrisme, du bouddhisme et du christianisme a été prêché par le prophète Mani (216-274 ou 277 après J. C.). On ne sait pas grand-chose d'un tel personnage qui, de toute évidence, fut remarquable. On connait assez mal la religion qu'il a fondée (mais on a découvert récemment des manuscrits qui permettent de mieux en préciser les contours).
Malgré la pauvreté des sources, Amin Maalouf a osé écrire un roman historique sur Mani et sur le monde dans lequel il vivait. Le prophète apparait comme un homme fascinant, promoteur d'une éthique avancée et dépassant les sectarismes religieux. Il reçut d'abord l'appui décisif d'un souverain de la dynastie sassanide et aurait pu établir ainsi une religion pérenne, malgré l'opposition des Chrétiens. Pourtant, il tomba finalement en disgrâce et mourut d'une façon misérable.
Personnellement, j'ai trouvé ce roman fort intéressant pour l'évocation de Mani, mais aussi pour le contexte général (peu connu du grand public) dans lequel Maalouf l'a replacé.
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Pour oser se lancer dans le récit de l'histoire de la vie d'un homme du III° siècle, il faut avoir soit beaucoup d'érudition, soit beaucoup d'imagination, ceci d'autant plus que cet homme, ici, vivait et voyageait en Orient, entre l'Iran et les frontières de l'Inde d'un côté, et celles de l'empire romain de l'autre. Comment prétendre pouvoir raconter la vie des peuples d'alors en ces contrées? A.Maalouf a parfaitement bien réussi cette gageure. Son personnage, Mani, homme totalement désintéressé, sage, pacifiste et tolérant, est magnifique. Se sentant porteur d'un message quasi divin, il ira prêcher au travers des pays voisins sa "religion" généreuse, et s'attirera l'intérêt et l'adhésion à ces thèses d'un grand nombre d'adeptes. Il sera proche des puissants, et leur conseillera toujours la tempérance. Bien entendu, dans un monde où l'on craint toujours une agression ou une invasion venue d'ailleurs, et où l'on ne pense à les conjurer qu'en passant soi-même à l'attaque, la patience prônée par Mani ne rencontrera pas que des oreilles dociles, et le nouveau "prophète" se mettra malgré lui en danger.
Ce qui compte est la façon dont tout cela est raconté: c'est absolument parfait, et parcourir ce livre est particulièrement plaisant (et instructif ?). C'est vraiment une lecture à conseiller. Et l'on a alors une envie: lire un autre livre du même auteur.
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Le prophète iranien Mani, fondateur du Manichéisme, est un personnage historique qui veilla le premier à la constitution de sa propre légende, car il était aussi bien écrivain et artiste que prophète. Ses fidèles écrivirent beaucoup à son sujet et Amin Maalouf suit une tradition littéraire orientale vénérable, celle de l'hagiographie. Son roman reprend d'ailleurs les grandes lignes de la vie véritable de Mani, mais comme ses disciples antiques, il crée un Mani moderne selon son coeur, selon ses goûts, en faisant de lui un apôtre de la tolérance victime des fanatiques. C'est un anachronisme, bien sûr, mais l'anachronisme est inévitable dans ce genre littéraire-là. Ce bon roman historique est donc d'un intérêt historique limité, mais il est très précieux pour l'histoire des idées contemporaines. On aura garde de le confondre avec une véritable vie de Mani, ce prophète fascinant. L'auteur n'a ni le talent, ni la capacité de "coller" au III°s en Mésopotamie à la manière d'une Marguerite Yourcenar, et il est trop désireux de témoigner de son expérience d'Oriental contemporain pour garder la distance nécessaire. Malgré la déformation idéologique due au romancier, et une prose et des dialogues assez pauvres, la personne de Mani, son charisme attachant, parviennent à rayonner jusqu'au lecteur et lui donnent envie d'aller voir les sources originales, largement traduites maintenant.
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