Je suis venu sur Babelio pour défendre Springtime qui m'avait séduit. Je trouvais la critique injuste. Et puis j'ai fait quelques review et j'ai trouvé cela plutôt sympa. Je pense que je vais faire un bout de chemin chez Babelio.
J'ai pensé ce matin à l'autre roman de Philippe Malzieu Pothos. C'est manifestement autobiographique même si le romanesque est bien présent. Sexe violence et littérature. C'est une curiosité. Son prix est prohibitif sur Amazon. Je l'ai lu en gratuit sur monbestseller.
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Je passe devant le pavillon de gynécologie. C’est ici que j’ai connu Juliette. Mon stage se déroulait médiocrement. J’avais choisi un jeune interne bien vaniteux. Généralement l’ironie dont j’abuse à leur égard n’est pas de leur goût. J’ai été sanctionné. Je me suis trouvé relégué dans le département des interruptions volontaires
de grossesse. Loin de le prendre comme une vexation, je me suis investi dans ce travail, fasciné par la réalité humaine que je découvrais. Elle était comédienne et partageait son temps entre son cours et les théâtres. Je l’ai vu pour la première fois aux
consultations. Les patientes se succédaient.
A de rares exceptions, elles étaient graves.
Les hommes jugent souvent l’avortement avec des raisonnements idéologiques. Je puis témoigner que la culpabilité est presque toujours là, prégnante. La plupart des femmes faisaient montre d’une grande dignité. Juliette était bouleversante, blême,
répondant laconiquement à l’interrogatoire. Je n’ai pas souhaité assister à l’intervention.
Je suis allé ensuite lui parler et l’ai raccompagné chez elle. Je me suis interrogé pour savoir pourquoi elle avait accepté. Dans sa détresse, étais-je rassurant ? Profitais-je de sa situation pour m’imposer ? Notre relation n’était elle pas ontologiquement viciée par l’origine de notre rencontre ? Je serai toujours associé à cet avortement.
Par mon éducation, la psychiatrie c’est une sorte d’enfer peuplé de damnés. Pourtant, il n’y a ici que vies déchirées, souffrances et violences. La douleur de l’âme vaut bien celle du corps. Rien que de l’humain en somme. J’entre dans le bâtiment.
Le bâtiment a été rénové récemment. Les murs sont de couleur douce. De puissantes huisseries bleues ont été installées. Les portes alignées présentent en leur centre un large oeil-de-boeuf circulaire qui permet d’observer la chambre dans sa totalité. C’est une coursive. Je suis le capitaine d’une croisière qui ne s’amuse guère. Le paquebot tangue non d’ébriété mais de raison perdue. Je me vois Hollandais pas très volant
menant mon aréopage d’âmes en peine sur des océans agités. Inutile ce soir d’invoquer une Senta pour me délivrer de mes tourments. Je dois être maudit moi aussi.