Ce livre est un drôle de bâtiment construit sur de drôles de fondations.
D'une part la Suède pays natif d'Henning avec un portrait d'une Suède pas vraiment touristique, au sud du lac Hansesjön, avec "ses fermes désertes, ces villages isolés tombant en ruine, parfois sauvés in extremis par des Allemands et des Danois qui transformaient les maisons en résidences de vacances",
D'autre part sur les convictions du jeune Henning vis à vis de ce qu'a été la Chine pour lui comme pour certains autres de la même génération, sur ce régime qui a pour certains été l'espoir ... puis les désillusions :
"A l'époque, je m'étais laissé attirer comme une mouche par un morceau de sucre dans une secte qui me promettait le salut. On ne nous encourageait pas au suicide collectif à l'approche de l'apocalypse, mais à abandonner notre identité individuelle au profit d'une ivresse collective, où un petit livre rouge avait remplacé toute réflexion".
Ce drôle de bâtiments a été construit en Afrique, pays d'adoption d'Henning, pays qu'il a vu évoluer avec une présence de plus en plus oppressante de la Chine. Je lui laisse la parole car il expliquera beaucoup mieux que moi ce qu'il a vu et ce qu'il a voulu décrire :
"Le roman que je viens d'écrire s'appelle «
le Chinois». Depuis quelque temps, je suis effrayé de voir comment les Chinois se comportent en Afrique. Ils me font l'effet de nouveaux colonisateurs, ce qui m'est d'autant plus pénible que j'ai grandi dans l'idée que la Chine aidait les pays africains à se libérer. Et si j'ai écrit ce livre, c'est parce que sur ces agissements je sais des choses que l'on ignore généralement. J'ai vu les Chinois à l'oeuvre, au Mozambique et ailleurs en Afrique. La Chine a un problème de surpopulation rurale. Ses 200 millions de paysans ne cessent de s'appauvrir, et un jour ils risquent de se révolter et de «prendre la Bastille», c'est-à-dire de s'attaquer au Parti communiste. Les dirigeants chinois envisagent donc d'exporter le problème et de transplanter en Afrique les paysans les plus pauvres (pas moins de 4 millions d'entre eux!) pour qu'ils y cultivent la terre. C'est une forme terrible de colonisation, et c'est exactement ce qu'ont fait les Portugais autrefois au Mozambique.
On peut faire subir n'importe quoi aux pauvres. Et, bien sûr, les dirigeants du Mozambique tireront de cette politique chinoise un profit financier. Dans les années 1960, pendant mon adolescence, la Chine jouissait d'un immense prestige. Mao était parvenu à nourrir 1 milliard d'habitants. Mon prochain livre a donc aussi pour objet ma propre désillusion. Il y a cinq ans, la Chine a fait une donation au Mozambique, et en a profité pour y envoyer sa propre main-d'oeuvre. Une rumeur a bientôt couru selon laquelle ces travailleurs chinois maltraitaient leurs homologues africains déjà sur place, mais le scandale a été étouffé. Cet incident a été pour moi un déclic: je me suis lancé dans des recherches en Chine et en Afrique qui ont abouti à ce livre."
Alors nous voilà avec ce drôle de livre, est ce un roman, un polar, une enquête journalistique ... un peu tout ça à la fois.
Le récit est bien fait, juste ce qu'il faut de surprise, de retournement de situation pour nous appâter jusqu'à la fin...
Au travers d'une fiction, Henning nous interpelle au delà du monde réel depuis qu'il est passer de l'autre côté, il nous interpelle au travers de la littérature pour que nous n'oublions pas d'être vigilant sur ce qui est en train de se passer sur un continent que nous apercevons de notre balcon !