Bref, intense et sublime à la fois. Telles sont les qualités d'une bonne nouvelle littéraire et, assurément,
Thomas Mann les maitrise à merveille. Il faut admettre que ce grand auteur n'a pas son égal – ou si peu – pour sonder l'âme humaine, mais pas nous en montrer les noirs tréfonds, non ! Plutôt la beauté des esprits tourmentés, comment les élans brisés du coeur, l'envie, l'égoïsme, la passion retenue et le sentiment d'incompréhension peuvent se développer artistiquement. Avec sa nouvelle «
Tonio Kröger», il nous le prouve encore. Pas besoin d'une saga de grande envergure, seulement la vie en condensé !
Le héros éponyme est un être à part, la dualité incarnée. Fils d'un banquier allemand, au tempérament nordique, austère, raisonnable, et d'une artiste espagnole, au tempéramment latin, aimant jouer du piano et de la mandoline. Évidemment, il ne pouvait que tenir davantage de sa mère plutôt que de son père. « Mais, sous le bonnet de fourrure rond de Tonio, dans un visage brun aux traits d'une finesse toute méridionale, s'ouvraient deux yeux sombres, délicatement ombragés, aux paupières trop lourdes, à l'expression rêveuse et un peu hésitante… » (p. 12) Même son prénom, Antonio, lui rappelle qu'il est tout le contraire de ses amis. En particulier le blondinet Hans Hansen, qui respire la santé, la force, la vigueur. Âme sensible, il en souffre beaucoup.
À ce point de l'histoire, je me demandais où l'auteur
Thomas Mann voulait amener ses lecteurs. Quand Hans glisse son bras sous celui de Tonio tout en lui jetant un regard à la dérobée, et que ce dernier se sentit subitement des dispositions très tendres à son endroit, je me suis dit que c'était le début d'une amitié masculine très… exclusive. Surtout que Tonio pense aux vers qu'il a écrit, à son âme sensible et son tempérament d'artiste... Bon, ça fait un peu macho, j'en conviens. Ceci dit, j'étais dans l'erreur. Hans s'en va, laissant le jeune homme dans une perplexité désarmante.
Et moi encore plus ! Au chapitre suivant, Tonio est en extase devant la jolie Ingeborg Holm, aux yeux bleus et aux cheveux blonds. Décidément, c'est une idée fixe. Et il en devient torumenté, hanté. Malheureusement, sa mère puis son père meurent, le laissant seul, et il doit quitter sa ville natale, travailler un peu dans le commerce avant de s'abandonner à l'art en Italie. Mais tout ne tourne pas comme prévue et il est difficile de se défaire d'une éducation, même son amie Lisaveta le lui dit : « Vous êtes un bourgeois engagé sur une fausse route,
Tonio Kröger, un bourgeois fourvoyé. » (p. 69) On revient à cette dualité, à ces antipodes qui constituent son tempérament : le bourgeois contre l'artiste. Alors le jeune homme la prend au mot et part retrouver une partie de lui-même au Danemark, sur les traces de Hamlet…
C'est du romantisme par excellence ! « Mais dans la mesure où sa santé s'affaiblissait, son sens artistique s'affinait, devenait difficile, délicat, exquis, fin, irritable à l'égard de la banalité et extrêmement susceptible dans les questions de tact et de goût. » (p. 45) Tout cela alors qu'une soif de pureté et d'honnêteté le travaille. Ma foi, c'est un héros digne de
Goethe,
Musset ou Hugo ! Surtout avec ce questionnement sur la vie d'artiste, de poète, incompris de ses pairs et de ses contemporains, qui ne trouve sa place nulle part.
Je ne vais en faire un résumé interminable. Il suffit de dire que Kröger voyagera beaucoup en peu de temps et vivra plusieurs péripéties. Mais partout, ce qu'il cherchera en vain (même s'il n'en était pas conscient d'abord), c'est l'image de cette jeune fille aux cheveux blonds. Il s'en rend compte à la toute fin et l'écrit à son amie Lisaveta. J'ai été assez surpris de voir l'histoire se terminer ainsi. C'est très convenable. Seulement je n'avais aucune idée qu'il s'agissait d'une nouvelle. Je n'étais rendu qu'à la moitié du bouquin ! À peine une centaine de pages !
Les autres
nouvelles sont intéressantes mais pas autant que la première. Je retiens un peu celle intitulée «Le petit Monsieur Friedmann», encore une histoire d'amour impossible et qui finit dramatiquement. Peut-il en être autrement pour un jeune homme tourmenté ? Certains diront certainement qu'elle se termine mal, ça dépend des goûts. Moi, je trouvais cette fin étrange mais tout de même appropriée. Pour ce qui est des autres
nouvelles… Bof ! Elles sont beaucoup plus courtes (à peine une dizaine de pages), ce qui fait qu'on a moins le temps de s'attacher aux personnages. Ou pas du tout ! Elles se confondent un peu dans ma mémoire, déjà leur souvenir s'estompe. Il y a court et trop court,
Thomas Mann m'a un peu déçu avec ces dernières
nouvelles.