Après Docteur Faust et Tamerlan, c'est ma troisième pièce du tragédien
Christopher Marlowe, quelque peu éclipsé par son contemporain
William Shakespeare. L'homme n'a à son actif que sept tragédies, mais c'est parce qu'il meurt à 29 ans seulement, dans une échauffourée d'auberge. Je l'ai découvert dans le film
Shakespeare in Love et ai immédiatement eu envie de le lire.
Didon, Reine de Carthage, est la première de ces tragédies. Elle s'inspire évidemment du mythe et de la version qu'en fait
Virgile dans L'Énéide. J'en ai lu la seule traduction que je connaisse, qui, selon le traducteur à qui le livre donne la parole, est plus une adaptation en alexandrins fidèle à l'esprit de l'ensemble plutôt qu'une retranscription parfaite (différence de métriques entre les langues, paraît-il).
Un résumé rapide ? Énée, qui a fui Troie en flammes avec quelques compagnons, s'échoue sur les rives de Carthage, récemment fondée par Didon. Celle-ci fait très bon accueil aux naufragés. Mais rapidement les héros humains redeviennent les jouets des Dieux qui voient ici une de leurs dernières occasions de jouer les marionnettistes. Didon « tombe » passionnément amoureuse d' Énée qui le lui rend bien. Mais le destin du Troyen est d'aller fonder une nouvelle Troie en Italie et il se doit de partir. Didon pète les plombs, refuse de laisser partie son amant, supplie, s'enflamme, s'effondre.
Les Dieux sont très présents dans la pièce. Jupiter, Vénus, Cupidon, Junon, Hermès ont leurs scènes. Ce sont Vénus, mère d'Énée, et Cupidon, son fils et donc frère d'Énée, qui tirent le plus fermement les ficelles humaines. Cupidon n'est guère que le bras armé de sa mère qui, franchement, ne réfléchit pas et crée la catastrophe à force de vouloir aider Énée. Incitée par une Junon sournoise, elle ensorcèle Didon et le Troyen et les rend amoureux fous, mais en même temps elle pousse son fils à partir pour l'Italie (pas le choix, ordre de Jupiter). Elle provoque ce tiraillement du héros traduit par ces paroles de la déesse : « Qu'il puisse un jour prochain partir pour l'Italie, A moins que de Carthage il ne devienne roi » (Acte II Scène 1).
Cependant la véritable héroïne est bien Didon. C'est une femme de pouvoir indépendante que construit Marlowe. Elle est reine de Carthage qu'elle a érigée après avoir quitté la Phénicie. Elle refuse jusqu'à présent de se soumettre à un prince, comme le Iarbas de la pièce, et de risquer de perdre les rênes de son pays. Alors que l'ensorcellement commence, on la voit lutter pour y résister : dans la superbe scène 1 de l'acte III, Didon fait montre d'une valse hésitation en demandant à Iarbas tour à tour de rester et de partir, comme si l'homme était une balle de tennis. Même enchainée par cet amour artificiel, elle refuse aussi longtemps que possible de se déclarer et garde sa dignité. Mais les Dieux sont trop puissants et elle vivra de façon pathétique le départ d'Énée.
La fin macabre est beaucoup trop précipitée, qui voit le suicide successif de trois personnages : Didon ayant perdu Énée, Iarbas ayant perdu Didon et Anna, soeur de Didon, ayant perdu Iarbas. Tout cela en une page. Pas le temps d'une longue tirade : un trait pour chacun et c'est terminé. Vraiment pas terrible.
Mais d'autres scènes valent le coup, comme l'expression du carnage de la chute de Troie, longue et poignante (Acte II, scène 1).
En conclusion : une bonne pièce, quoique pas exceptionnelle, qui a l'avantage de remettre en avant un mythe passionnant et donne envie de lire l'Énéide.