Les opérations Serval et Sangaris ont déjà donné lieu à de nombreuses publications. L'ouvrage de Gregor Mathias répond à un besoin : replacer les interventions françaises au Mali et en Centrafrique dans leur contexte politique. Professeur associé à Saint Cyr, auteur d'une thèse de doctorat en histoire soutenue l'an passé à Toulouse sur la politique de pacification pendant la guerre d'Algérie, l'auteur, qui a contribué aux ouvrages collectifs du centre de recherche des écoles de Coëtquidan sur ces deux opérations, n'était pas le moins bien placé pour écrire cette synthèse.
L'interventionnisme de François Hollande en Afrique est triplement paradoxal. Premier paradoxe : François Hollande a changé de posture depuis son arrivée à l'Élysée troquant la non-ingérence pour l'interventionnisme. Deuxième paradoxe : ses interventions répétées l'inscrivent dans la continuité de celles de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, en Libye ou en Côte d'Ivoire. Troisième paradoxe : la force de caractère, voire l'aventurisme dont l'hôte de l'Élysée a fait preuve en décidant par deux fois l'engagement des troupes françaises en Afrique contraste avec la pusillanimité qui lui est reprochée en politique intérieure.
Gregor Mathias nous explique ces paradoxes et les relativisent.
A son arrivée à l'Elysée, François Hollande ne connaît pas l'Afrique. Autour de lui pas de « Monsieur Afrique », ni de visiteur du soir : le continent est traité par la cellule diplomatique de l'Élysée comme n'importe quelle région du monde. Un vieux fond d'antimilitarisme et d'anticolonialisme le conduit à tenir un discours de défiance à l'égard des interventions militaires. Telle est d'ailleurs la ligne suivie en décembre 2012 lorsqu'il reste sourd aux appels à l'aide de François Bozizé en Centrafrique .
Mais cette position va évoluer sous le feu des événements. Au Nord-Mali, la conjonction d'un mouvement indépendantiste touareg (MNLA) et d'un islamisme militant (AQMI, MUJAO, Ansar Eddine) menace d'exploser sous le double effet de l'affaiblissement de l'Etat central à Bamako et de l'arrivée d'hommes et de munitions de Libye. La crainte d'un Sahelistan se renforce qu'avait déjà identifiée Alain Juppé début 2012 et contre laquelle François Hollande, Laurent Fabius et Jean-Yves le Drian vont mobiliser les forces françaises début 2013. Idem fin 2013 en Centrafrique où la guerre civile dégénère entre la Séléka et les milices anti-balakas. Dans les deux cas, les États africains sont incapables de restaurer l'ordre – cette faillite de l'État est l'un des indices les plus désolants de l'échec de la politique de coopération française depuis les indépendances. Dans les deux cas, les organisations régionales et leurs forces d'intervention (la Misma au Mali, la Misca en Centrafrique) ne suffisent pas. C'est à la France d'intervenir, dans des conditions juridiques parfois douteuses – au Mali, le président par intérim adresse à Paris, sous la dictée de l'ambassadeur de France, une demande d'intervention – au risque de nourrir la critique d'une politique néo-colonialiste.
Gregor Mathias et Jean-Louis Triaud dans son éclairante préface ont raison de souligner que ces guerres « ne sont pas le fruit d'un grand projet, mais le résultat de la nécessité » (p. 23). On se tromperait en croyant que François Hollande s'est métamorphosé en chef de guerre depuis son arrivée à l'Élysée. Pas plus hier qu'aujourd'hui la politique africaine n'a abandonné la ligne définie par Lionel Jospin à l'époque de la disparition du ministère de la coopération : ni ingérence, ni indifférence. Les opérations Serval et Sangaris constituent des réponses ponctuelles à des situations isolées et n'ont pas vocation à se généraliser partout sur le continent.
On se tromperait tout autant en imaginant que cette évolution résulterait d'une prise de pouvoir des militaires aux sommets de l'État français. Sans doute le général Puga, qui fut le chef de l'État-major particulier de Nicolas Sarkozy avant d'être celui de François Hollande, est-il un conseiller d'autant plus respecté que ses états de service sont impressionnants. Sans doute aussi, les militaires entendent-ils administrer la preuve de l'efficacité de leur outil au moment où leur budget est remis en cause. Pour autant, l'armée française est suffisamment républicaine, suffisamment légitimiste, suffisamment respectueuse de l'autorité civile pour s'interdire de développer une politique d'influence.
A la fin du livre, les opérations Serval et Sangaris apparaissent pour ce qu'elles sont : « des guerres subies plus que des guerres choisies » (p. 23) que le chef de l'État a décidé de mener, non pas pour mettre en oeuvre une politique néo-conservatrice honteuse qui se refuserait à dire son nom, mais pour faire face à l'urgence des événements. Et François Hollande l'a fait d'autant plus volontiers que l'usage de la force armée sur les théâtres extérieurs est une décision politiquement rentable : assurée du soutien de l'opinion publique et de la classe politique, elle renforce sa stature de chef de l'État à un moment où son autorité sur le front économique et social est remise en cause.
Cette critique a été publiée dans le numéro 252 de la revue "Afrique contemporaine" de l'AFD
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