A une époque où les mariages arrangés permettaient aux familles bourgeoises d'associer leurs fortunes et leurs terres,
Thérèse Desqueyroux décide de se caser avec un héritier. Personne ne l'y oblige, mais elle n'est amoureuse d'aucun autre homme et sa connaissance de la société dans laquelle elle évolue lui donne le sentiment que c'est son devoir. Sauf que très vite, Thérèse s'ennuie dans les rôles exclusifs d'épouse et de mère, qui lui sont alors imposés par la société en dépit de ses envies et ambitions ; Elle regarde, jours après jours, l'homme qu'elle a épousé avec de plus en plus de distance, d'oeil critique. Elle continue de le chérir en apparence mais s'en détache de plus en plus, jusqu'à avoir du mal à supporter sa présence.
Du coup, quand le médecin lui prescrit de petites doses d'arsenic dont, étourdi, il ne suit pas toujours la posologie, le doute s'immisce en Thérèse, qui entrevoit une délivrance. Devrait-elle lui faire remarquer son surdosage… ? Ou alors vérifier si ça le rend vraiment malade en en rajoutant volontairement…? de non-assistance à personne en danger, Thérèse osera-t-elle passer à tentative d'assassinat ? Lorsqu'elle en sera accusée devant la Cour (par cette même société qui encourage ces mariages arrangés), c'est le témoignage de son mari, désireux d'éviter le scandale et de protéger sa fille, qui la sauvera. Mais encore lui reste-t-il à l'affronter : Comment va-t-il réagir face l'épouse qui a attenté à sa vie ? A-t-elle en réserve une explication convaincante à son geste, et qu'a-t-elle fait exactement ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ? Pour le savoir, Thérèse rembobine sa vie depuis l'enfance, lorsqu'elle a rencontré la soeur de son mari…
« Où est le commencement de nos actes ? Notre destin, quand nous voulons l'isoler, ressemble à ces plantes qu'il est impossible d'arracher avec toutes leurs racines. »
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C'est en voyant la vie de Thérèse défiler sous nos yeux au rythme de ses pensées, que nous entrevoyons les diverses raisons qui ont contribué à sa descente aux enfers. Une certaine idée du devoir, une héroïne qui étouffe littéralement et aspire à autre chose, un mari qui ne lui correspond pas et en vient à lui répugner… Alors qu'à cette époque, on ne divorce pas ! Les réputations des protagonistes ainsi que celles de leurs familles en souffriraient. Thérèse s'arrange donc avec sa conscience… Jusqu'au jour où un événement la fait réfléchir, la fait rêver de liberté, lui donne des ailes ; et accélère ses décisions.
Le personnage de Thérèse fut pour moi peu attachant car j'ai eu du mal à m'identifier à elle, en partie parce que personne ne l'a forcée à choisir cette vie, à part un sens du devoir et des conventions sociales en trop lente évolution. Et si je comprends en revanche qu'elle ait pu se sentir piégée, étouffée dans cette vie qui finalement ne lui correspond pas, la narration extérieure a mis de la distance entre moi et les pensées de cette femme indépendante et peu empathique. du coup, à côté de son mari qui la traite plutôt bien, elle paraît plus froide et calculatrice – il est vrai que la place des femmes dans la société ne lui a guère laissé le loisir de se montrer sous son meilleur jour. Il faut dire également qu'on l'écoute juste après le procès, alors qu'elle doit être comme anesthésiée par tout ce qu'elle vient de vivre et essaye de réfléchir avec du recul.
C'est en tous cas avec une belle écriture et en très peu de pages que
François MAURIAC parvient à nous faire pénétrer dans l'ambiance pesante de cette société moralisatrice et plutôt faite pour les hommes. Il décrit aussi une société bourgeoise qui étouffe sous les conventions et cherche à les contourner un peu désespérément par tous les moyens (que ce soit Thérèse ou, vous le verrez, son mari lorsqu'elle revient à la maison !). Ainsi, deux problématiques s'affrontent dans ce roman : Jusqu'où peut-on aller pour se sentir libre ? Et jusqu'où est-on prêt à aller pour sauvegarder les apparences, à une époque où elles ont tant d'importance… ?
"Mais Thérèse avait obéi peut-être à un sentiment plus obscur qu'elle s'efforce de mettre au jour : peut-être cherchait-elle moins dans le mariage une domination, une possession, qu'un refuge. Ce qui l'y avait précipitée, n'était-ce pas une panique ? Petite fille pratique, enfant ménagère, elle avait hâte d'avoir pris son rang, trouvé sa place définitive ; elle voulait être rassurée contre elle ne savait quel péril. Jamais elle ne parut si raisonnable qu'à l'époque de ses fiançailles : elle s'incrustait dans un bloc familial, "elle se casait" ; elle entrait dans un ordre. Elle se sauvait."
Un court classique agréable à lire, dont la belle plume et l'efficacité ont compensé mon manque d'attachement au personnage.
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