Ne faites pas les malins, vous qui peut être me lirez : savez vous ce que c'est que l'
apeirogon, une forme géométrique à côtés multiples ?
Moi pas, alors j'ai essayé de comprendre, sans succès , puis je me suis heurtée au concept de « dénombrablement infini ».L'infini pour moi ne pouvait qu'être sans nombre, innombrable.
Puis , merci
Borges, et son amour pour les Mille et une nuits, un livre bâti sur une infinité d'histoires, il n'est presque pas la peine de les lire tellement on les connaît. Voilà, une infinité d'histoires dont on peut dénombrer chaque épisode, et dont chaque épisode est relié à l'ensemble pourtant disparate. le plaisir de lire est infini, il est aussi dénombrable, puisque chaque livre est différent : lecture dénombrablement infinie.
L'
Apeirogon de Colum McCan illustre ce puzzle où chaque pièce est liée avec les autres. Image magnifique, puisque ce puzzle est celui d'un pays en guerre depuis l'Occupation des colonies par l'état juif, créant des zones séparées les unes des autres, donc un contre puzzle.
Samdar , l'éclosion de la fleur du Cantique des cantiques est morte.
Abir , le parfum de la fleur, de l'arabe ancien, est morte.
L'une tuée par trois kamikazes palestiniens déguisés en femme, elle allait avoir 15 ans, la seconde, 10 ans après, à 10 ans par un garde frontière israélien, dont la présence est contestée. Par les autorités d'Israël.
Dans cette guerre infinie qui ne semble pas avoir de solution, la douleur de leurs pères est dénombrablement infinie. Infinie, puisque chaque jour de leur vie ils pleureront, infinie, car rien ne sera plus comme avant, la douleur ne finira jamais, leurs pensées seront mobilisées chaque jour par l'existence de ces fleurs, de ces éclairs de vie, de ces espoirs légitimes. Fauchées.
Elle est aussi dénombrable, les raisons de pleurer la mort d'un enfant sont toutes différentes, ses rires, sa façon de marcher, son amour pour les bonbons, ces petits bonbons enfilés sur un élastique en bracelet, par exemple, les danses et les musiques, leur joie de vivre qui devait, qui aurait dû, qui ne pouvait pas ne pas continuer, les ponts qu'elle aurait pu construire, les livres qu'elle aurait pu écrire, les danses qu'elle aurait pu inventer, tout ce possible, tout ce passé, tout ce futur qui existe dans la pensée des parents, sont des raisons de pleurer. Infiniment.
Alors ils se battent, ces pères contre leur propre désir bien compréhensible de vengeance, puis contre les sentiments qu'ils ne ressentent pas et que le clan opposé voudrait qu'ils ressentent, Rami le juif étant considéré comme traitre, Bassam le palestinien étudiant l'Holocauste, et incompris par ses compatriotes. Ils se battent pour que la paix remplace la peur et la haine et le rejet des uns contre les autres. La manière pour eux de ranimer la vie de leurs filles, de ne pas arrêter d'en parler, de les faire vivre en s'unissant à l'intérieur de la profonde communauté de souffrants qu'ils forment. Et même s'ils se répètent dans les
conférences qu'ils donnent, ceux à qui ils parlent découvrent et entendent leur premier alphabet, leur aleph. Ils imaginent que,
Borges encore, le temps pourrait se dérouler à l'envers et que les petites continueraient à rire et à danser.
Roman aux multiples facettes, comme la figure géométrique, et où les oiseaux jouent un rôle primordial : On ne sait pas bien comment ils communiquent entre eux, mais ils le font.
Cinq cent millions d'oiseaux survolent les collines de Beit Jala.
Les enfants bédouins chassent à coup de pierre et de frondes ces multitudes d'oiseaux, comme les pierres de l'Intifada qui serviront à la révolte contre l'Occupation, les pigeons servant d'appâts aux faucons, et Burton, le découvreur des sources du Nil, le traducteur des Mille et Une nuits , grand fauconnier dans le désert infini. Tout s'imbrique.
Voilà un exemple parmi une infinité d'autres du puzzle
Apeirogon, ensemble lié autour de la douleur de la perte d'un enfant, dans un pays en guerre, alors que pourtant la vie « ordinaire » continue, une infinité géniale et multiple, multiculturelle et éveillant l'esprit et le coeur, un roman foisonnant, complet avec 1001 entrées, nous sommes toujours dans les mille et une nuits….ou dans le conte persan « la conférence des oiseaux » où la huppe est l'oiseau choisi, servant d'emblème au peuple d'Israël…… jusqu'à la colombe de la paix peinte par Picasso.