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4,16

sur 898 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
*** Rentrée littéraire 2020 #21 ***

Quelques kilomètres à peine séparent les deux personnages qui sont au coeur de ce récit kaléidoscopique. Cela pourrait bien en être 1000. Rami est israélien. Bassam palestinien. Deux frères de chagrin, unis par le destin. Pères en deuil, ils ont perdu leurs filles, l'une abattue par un soldat israélien de 18 ans, l'autre tuée lors d'un attentat-suicide commis par trois jeunes kamikazes palestiniens. Rami Elhanan et Bassam Aramin existent, ce ne sont pas des personnages de fiction. Deux amis inattendus, militants au sein des Combattants pour la paix qui oeuvre pour une coexistence pacifique israélo-palestinienne, envers et contre tout, parcourant ensemble le monde entier pour porter leur message, envers et contre tous.

Ceux qui ont lu les romans précédents romans connaissent le don de narration de Colum McCann. Apeirogon n'offre pas la satisfaction habituelle d'un roman arborant une trame classique ample et linéaire. C'est un livre étrange, hybride qui surprend d'emblée. L'auteur y explore le conflit sans fin entre Israël et la Palestine en échappant à toute catégorisation.

Le récit est explosé en 1001 sections narratives qui se baladent librement dans le temps et l'espace, numérotées de 1 à 500 puis de 500 à 1 avec un pont, la double section 500. On y découvre le parcours de Rami et Bassam , mais aussi bien d'autres choses sur la vie au Proche-Orient, sur la vie tout court avec des digressions disparates ( les oiseaux migrateurs, le dernier repas de François Mitterrand, des explications balistiques, les performances musicales à Theresienstadt, des apartés sur Borgès … ).

La connecxion entre ces fragments est parfois très hermétique, très intellectualisé ou demandant un gros effort intellectuel. On est clairement dans l'exercice de style et parfois, j'ai lu vite certains de ces à-côté pour me recentrer sur l'histoire de Bassam et Rami, mais lorsque je suis arrivée à la double section centrale 500, j'ai compris. Comme un uppercut, comme une grenade émotionnelle, les récits à la première personne de Rami et Bassam. L'écrivain Colum McCann disparaît avec ses extraits d'interviews donnés par les deux hommes.

Cette section centrale est d'une force inouïe, elle légitime la démarche de l'auteur en faisant écho à tout ce qui a précédé et tout ce qui va suivre. Sa constellation de mots patiemment construite est un formidable moteur d'empathie. On referme le livre en ayant habité l'intériorité d'êtres humains qui ne sont pas nous. Au-delà de la compréhension de la douleur de Rami et Bassam, on ressent ce qu'ils ont ressenti, de la colère au pardon, de la volonté d'anéantir l'Autre au besoin de tenir sa main, jusqu'à devenir son ami. Certains passages sont inoubliables : les portraits des filles assassinées faits de mille détails du quotidien, le récit des 7 années de Bassam dans les geôles israéliennes, sa transformation lorsqu'il découvre la réalité de la Shoah puis l'étudie.

Un apeirogon est un polygone au nombre infini de côtés. Il ne pouvait y avoir meilleur titre pour ce roman ambitieux, nuancé et sensible qui dit la réalité complexe multi-facettes du conflit israélo-palestinien avec une puissance de frappe remarquable. Marquant et impressionnant.

Lu dans le cadre des Explorateurs de la rentrée Lecteurs.com
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Colum McCann est parti d'un drame réel, celui de deux pères, un palestinien et un israélien, unis dans la douleur. Tous deux ont perdu leur fille à dix ans d'intervalle. Tous deux font partie de l'organisation des Combattants pour la Paix et tous deux n'auront de cesse, ensemble, amis improbables, et dans le monde entier, de raconter leur histoire.

L'écrivain aurait pu en faire une romance touchante, voire larmoyante, sur la force de la paix, sur la résilience, le pardon et la rédemption, sur l'amitié israélo-palestinienne, il aurait pu écrire une histoire linéaire, chronologique. Et cela aurait été bien écrit, on n'en doute pas venant de cet écrivain dont je me remémore Les saisons de la nuit avec émotion. le drame de la mort de ces deux filles aurait été au centre du livre. Avant, l'auteur aurait relaté le parcours des pères, ensuite leur façon de se reconstruire et de s'approcher, de se comprendre. Oui, j'imagine bien ce livre de facture classique. Mais Colum McCann a eu l'intelligence et la force de narrer ce drame tout autrement. A la façon d'un apeirogon. C'est brillant et bluffant. Ce livre me fait l'effet d'une pierre précieuse noire aux facettes infinies. Chaque facette étant une variation sur un même thème. Un bijou.

Nous avons là en effet un récit fragmenté en une multitude de notes, de références historiques, de références théologiques, de leçons d'ornithologie, de confidences, de drames, d'explications techniques, de virées en moto, ce livre est construit à l'image de l'apeirogon, forme géométrique au nombre infini de côtés. Comme un cercle qui perdrait son identité. Ou une superposition d'ondes concentriques, c'est en tout cas comme ça que je le ressens. Des ondes qui tout d'abord se resserrent, comme un poumon qui se rétracte, image souvent évoquée dans le livre (tel Jésus qui est mort asphyxié sur la croix, ses poumons se rétractant). Et parfois nous suffoquons en effet. Comme autant de cercles en écho, libres dans le temps, tournoyant à Jérusalem pour l'essentiel. Numérotés de 1 à 500 puis de 500 à 1, avec une double section à 500, ces fragments sont percutants, vifs, tranchants, lumineux, à l'image des déflagrations ayant fauché la vie de deux filles, Abir et Smarda, les filles respectives de Bassam le palestinien et Rami l'israélien. Les deux chapitres 500 sont le coeur du livre, la source, l'explication. Oui c'est brillant. Comme si nous avions en face de nous une boule explosée, dont les fragments, divers, partent dans tous les sens, mais dont le coeur, pur, s'offrait à nous sous ces fragments. Cette image de l'apeirogon est également à l'image de la ville de Jérusalem, dont la beauté et la blancheur varie au gré des réfractions de la lumière, une ville si disparate aux constructions hétéroclites alliant les camps de réfugiés, les barbelés aux checkpoints jusqu'aux anciennes villas palestiniennes magnifiques laissées à l'abandon, ville dont le centre est sacré et pur. Les virées en moto sur des routes extrêmement sinueuses que nous faisons avec Rami nous offre ce spectacle de la ville. J'imagine que l'apeirogon, c'est aussi l'image de notre fonctionnement mental, composé de pensées souvent éparses et diverses, avec un centre, l'essence de notre identité, de nos raisons, de nos motivations. Oui, quelle incroyable façon de narrer cette histoire, sur la base de l'apeirogon ! Quel talent !

La jeune Smarda a été tuée dans attentat suicide en 1997, trois kamikazes s'étant fait sauter au centre de Jérusalem, alors que la jeune fille de 13 ans allait acheter avec ses copines des livres scolaires. La petite Abir, dix ans, en 2007, a reçu une balle en caoutchouc au centre en acier, à l'arrière du crâne alors qu'elle achetait des bonbons avant d'aller à l'école faire un devoir de mathématiques. Un devoir sur les tables de multiplication. La balle a été tirée par un garde-frontière israélien de 18 ans. Les deux filles furent au mauvais endroit au mauvais moment. Cet attentat et cette balle font des ricochets et sont le point de départ à de multiples réflexions sur les cercles et les tirs, allant de la bombe sur Nagasaki, en passant par le vol circulaire des oiseaux, la trajectoire des cailloux tirés par les frondeurs, les manifestations en Irlande…réflexion sur la trajectoire hasardeuse des ronds…armes rondes, vols ronds…sur leur dilatation et leur rétractation…comme un poumon…nous avons par moment vraiment du mal à respirer à l'image des parents dans ses interminables bouchons liés aux chekpoints qui ne savent pas si les attentats ont touché ou pas leurs enfants. du mal à respirer lorsque nous sommes témoins des sévices de Bassam en prison. L'air devient aussi épais que de l'eau. Presque sur le point d'exploser. Alors ces deux pères parlent, racontent, pour retrouver leur souffle, pour faire changer les mentalités et retrouver une cohérence, une ligne directrice. Comme écrit en hébreu sur la moto de Rami « Ça ne s'arrêtera pas tant que nous ne discuterons pas ».

Oui, une pierre précieuse noire mais en même temps très lumineuse. La lumière de la rédemption et du pardon de la part de ces victimes pousse au respect et à l'espoir.
L'ensemble donne un livre extrêmement ambitieux, brillant, pédagogique (j'ai appris beaucoup de choses), un livre exigeant sur un sujet complexe et subtil.
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Apeirogon est une prouesse littéraire à mes yeux par le contenu qui retient l'attention du lecteur d'un bout à l'autre du roman. Colum McCann est un auteur surprenant .

Un roman fragmenté, un pays morcelé, des vies brisées en mille éclats.

Une histoire qui se reconstitue au fur et à mesure. Deux petites filles mortes Abir- Smadar, deux pères effondrés Rami-Bassam qui ne laissent pas la fatalité s'installer, racontent et demandent la paix à travers leur mouvement et leurs témoignages.

Un pays survolé par quatre cent espèces d'oiseaux libres se partageant le ciel alors qu'en bas ce pays est divisé en de nombreuses zones et ses habitants : israéliens et palestiniens n'arrivent pas à s'entendre…

Un livre passionnant qui montre les multiples facettes d'un pays avec son histoire, un livre qui ne juge pas mais qui donne à réfléchir. Un livre bouleversant .

Merci aux éditions 10/18 de leur confiance.

#Apeirogon#NetGalleyFrance
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On fait la connaissance de deux amis, que l'on va suivre tout au long du roman. L'un, Bassam, est Palestinien, l'autre, Rami, est Israélien, tous les deux sont des pères en deuil, chacun ayant une fille tuée dans ce conflit qui n'en finit pas, à coup de pierres d'un côté et de balles en caoutchouc dont le coeur est en fait constitué de métal.

Bassam a passé plusieurs années en prison après avoir lancé des grenades sur des jeeps israéliennes, et il y a subi un traitement particulièrement dur. Une fois libéré, il s'est marié, a eu des enfants, s'est construit une nouvelle vie. Il est musulman pratiquant. Sa fille Abir, a été assassinée à l'âge de 10 ans par une balle perdue alors qu'elle allait acheter des bonbons, un bracelet de bonbons pour être tout à fait précise, bracelet que son père conservera longtemps.

« La balle était faite de métal en son coeur, mais revêtue à son extrémité d'un caoutchouc vulcanisé spécial. Lorsqu'elle heurta le crâne d'Abir, le caoutchouc se déforma légèrement, puis retrouva sa forme originelle, sans causer le moindre dégât notable à la balle elle-même. »

Rami est Israélien, un « Jérulasémite de la septième génération » comme il aime à le dire ; sa fille Smadar a été victime d'un commando palestinien qui s'est fait exploser dans une boutique où elle allait acheter de livres pour l'école.

Tous les deux auraient pu sombrer dans la haine, le désir de vengeance, mais malgré l'immensité de leur chagrin, ils décident de s'engager pour la paix, dans un groupe de discussion, « le Cercle des parents » composé de personnes ayant perdu un enfant, un proche pendant cette guerre. Ils se réunissent dans un hôtel au milieu des pins : « l'hôtel Everest de Beit Jala, dans la zone B sur une colline faisant face à la station de baguage des oiseaux. »

J'ai adoré ce roman, car il est différent de tout ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, la variation des thèmes abordés le processus de narration, les personnages… Tout, absolument tout. Il a 1001 portes d'entrée, autant de manières de l'interpréter car il est rempli de symboles.

La couverture est à l'image du récit, très belle : sur fond noir des milliers d'oiseaux dorés qui volent de concert, et perdus aux deux extrémités deux colombes blanches, Bassam et Rami, Palestine et Israël en paix…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m'ont permis de découvrir ce roman et la plume de l'auteur que j'ai très envie de retrouver avec par exemple « Et que le vaste monde poursuive sa course folle »

#Apeirogon #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Exceptionnel....
Le livre s'articule autour de deux amis : l'un est Israëlien et juif, l'autre Palestinien et musulman. Tous deux sont "combattants pour la Paix" et sont membres des "parents endeuillés" ayant tous deux perdu leur fille.... Ils sont amis et ils veulent trouver une autre solution pour ce conflit désormais de plus de 70 ans....
Ce livre entrecroise leur récit (mais pas un sens linéaire, au contraire le texte s'éparpille avec bonheur) avec d'autres faits, d'autres courtes histoires.
Il est passionnant. Bien écrit, difficile à lâcher....

Je suis allée en Israël, j'ai franchi le mur (avec un passeport français c'est plus facile de le passer dans un sens et dans l'autre). Ce qu'on peut voir à la télé est en-dessous de la réalité. C'est d'une violence inouïe....
Mais plus que cela, c'est l'école de l'ONU de Béthléem qui m'a marquée. Une école en face du mur et d'un mirador.... et de fusils qui dépassent.... Une école de l'ONU avec des fenêtres qui ne sont pas faites de vitres mais de plaques de métal.... La porte de l'école avec des impacts de balle à hauteur d'enfant.... J'étais glacée....
Ayant vu cela je finis ce livre avec une pointe de désespoir.... Je pense aux deux personnages. Quel mérite ! Mais si leur combat est indispensable, il me semble tristement si vain....

Un livre à lire et faire lire....
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Je ne sais pas par quel bout vous parler de ce roman, il est tellement et incroyablement riche, que toute parole à son sujet sera simpliste et réductrice j'ai l'impression. En tous cas, il confirme le fait que Colum McCann est un grand, très grand écrivain !

🕊️ Apeirogan est né de l'histoire vraie de deux pères, l'un israëlien, l'autre palestinien, qui ont perdu chacun leur fille (l'un d'une balle perdue, l'autre dans un attentat).

Ces deux pères se sont rencontrés et à travers des conférences, n'ont plus cessé depuis de se battre pour la paix.

🕊️ En une succession de paragraphes plus ou moins longs, Colum McCann tisse une toile dont les côtés semble infinis. Pour nous aider à appréhender ce conflit, l'auteur revient sur l'histoire d'Israël mais nous fait toucher du doigt aussi, par mille et un détails, ce que cela signifie aujourd'hui de vivre dans cette région selon qu'on est palestinien ou israélien.

La guerre n'a rien de clinique. Colum McCann nous le rappelle à travers des scènes qui marquent à jamais l'esprit comme ces secouristes qui viennent ramasser des bouts de corps après un attentat piégé.

🕊️ Par un jeu de construction virtuose, tous les éléments que l'écrivain dépose sur le papier finissent par se répondre pour former comme un immense écho, soulignant combien chacun est élevé dans la haine de l'autre.

"
A lire si vous cherchez un roman bouleversant qui aide à comprendre la complexité du monde mais aussi à espérer .
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Magnifique et surprenant roman. La contradiction du début laisse augurer le meilleur ! « Apeirogon est une oeuvre de fiction » prévient l'éditeur. « Blablabla » dirait quelqu'un qu'on connaît, puisque Colum McCann le contredit dès la page suivante : « Bassam Aramin et Rami Elhanan existent pour de vrai » annonce-t-il dans sa « Note de l'auteur », plongeant ainsi le lecteur de ce roman dans une douloureuse réalité. Ces deux hommes que tout sépare (l'un est Palestinien et musulman, l'autre Israélien et juif) vont être rapprochés par le désir commun de la paix au Proche-Orient et, plus encore, par le pire drame qui soit : la perte d'un enfant. Ils appartiennent tous les deux aux Combattants de la paix, et le deuil qu'ils ont subi à 10 ans d'écart, la mort de leur fille, ne peut que les rapprocher et les conforter du bien-fondé de leur action.
***
J'ai d'abord été complètement déroutée par le type de narration choisie par Colum McCann. Vous tentez de vous immerger dans un texte fractionné, éclaté, digressif en apparence, mais qui, souvent sans tarder, s'éclaire en livrant au lecteur une compréhension nouvelle, le forçant à ouvrir son esprit et à aiguiser son oeil. Et puis vous cédez et vous vous laissez emporter. J'ai fini par attendre avec impatience ces liens d'abord invisibles entre des paragraphes plus ou moins éloignés, l'explication logique et bienvenue d'une assertion incongrue. Par exemple, après de nombreuses mentions et détails sur les frégates, ces oiseaux de mer qui ne peuvent ni plonger ni se poser sur l'eau, une singulière raison à ces apparentes digressions apparaîtra page 78. Il n'est pas question de la dévoiler ici…
***
Un narrateur à la troisième personne raconte cette dramatique histoire dans des chapitres qui font une ligne, quelques lignes, une page, jamais plus de trois, chapitres numérotés de 1 à 499. Suit le chapitre 500 où un narrateur à la première personne prend la parole : « Mon nom est Rami Elhanan. Je suis le père de Smadar »… À ces 13 pages bouleversantes succède le chapitre 1001, composé d'une seule longue phrase dans laquelle apparaît un « vous et moi »… Suivront les 16 pages d'un autre chapitre 500 à la première personne : « Mon nom est Bassam Aramin. Je suis le père d'Abir »… Et les chapitres suivants iront décroissant jusqu'à la fin, reprenant la construction du début. Colum McCann l'a précisé dans la « Note de l'auteur » : les deux chapitres 500 sont construits à partir des paroles des deux protagonistes principaux. L'auteur n'a fait que les rassembler et les agencer, mais ils éclairent l'ensemble du texte et Colum McCann est clairement parti de ce matériau pour forger ces deux magnifiques figures. Il les pose tous deux en emblèmes et porte-paroles d'une paix qui semble aujourd'hui encore bien éloignée, mais qu'il se refuse à croire irréalisable : ce serait nier le généreux espoir qui habite tout ce roman…
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Ne faites pas les malins, vous qui peut être me lirez : savez vous ce que c'est que l'apeirogon, une forme géométrique à côtés multiples ?
Moi pas, alors j'ai essayé de comprendre, sans succès , puis je me suis heurtée au concept de « dénombrablement infini ».L'infini pour moi ne pouvait qu'être sans nombre, innombrable.
Puis , merci Borges, et son amour pour les Mille et une nuits, un livre bâti sur une infinité d'histoires, il n'est presque pas la peine de les lire tellement on les connaît. Voilà, une infinité d'histoires dont on peut dénombrer chaque épisode, et dont chaque épisode est relié à l'ensemble pourtant disparate. le plaisir de lire est infini, il est aussi dénombrable, puisque chaque livre est différent : lecture dénombrablement infinie.
L'Apeirogon de Colum McCan illustre ce puzzle où chaque pièce est liée avec les autres. Image magnifique, puisque ce puzzle est celui d'un pays en guerre depuis l'Occupation des colonies par l'état juif, créant des zones séparées les unes des autres, donc un contre puzzle.

Samdar , l'éclosion de la fleur du Cantique des cantiques est morte.

Abir , le parfum de la fleur, de l'arabe ancien, est morte.

L'une tuée par trois kamikazes palestiniens déguisés en femme, elle allait avoir 15 ans, la seconde, 10 ans après, à 10 ans par un garde frontière israélien, dont la présence est contestée. Par les autorités d'Israël.

Dans cette guerre infinie qui ne semble pas avoir de solution, la douleur de leurs pères est dénombrablement infinie. Infinie, puisque chaque jour de leur vie ils pleureront, infinie, car rien ne sera plus comme avant, la douleur ne finira jamais, leurs pensées seront mobilisées chaque jour par l'existence de ces fleurs, de ces éclairs de vie, de ces espoirs légitimes. Fauchées.
Elle est aussi dénombrable, les raisons de pleurer la mort d'un enfant sont toutes différentes, ses rires, sa façon de marcher, son amour pour les bonbons, ces petits bonbons enfilés sur un élastique en bracelet, par exemple, les danses et les musiques, leur joie de vivre qui devait, qui aurait dû, qui ne pouvait pas ne pas continuer, les ponts qu'elle aurait pu construire, les livres qu'elle aurait pu écrire, les danses qu'elle aurait pu inventer, tout ce possible, tout ce passé, tout ce futur qui existe dans la pensée des parents, sont des raisons de pleurer. Infiniment.

Alors ils se battent, ces pères contre leur propre désir bien compréhensible de vengeance, puis contre les sentiments qu'ils ne ressentent pas et que le clan opposé voudrait qu'ils ressentent, Rami le juif étant considéré comme traitre, Bassam le palestinien étudiant l'Holocauste, et incompris par ses compatriotes. Ils se battent pour que la paix remplace la peur et la haine et le rejet des uns contre les autres. La manière pour eux de ranimer la vie de leurs filles, de ne pas arrêter d'en parler, de les faire vivre en s'unissant à l'intérieur de la profonde communauté de souffrants qu'ils forment. Et même s'ils se répètent dans les conférences qu'ils donnent, ceux à qui ils parlent découvrent et entendent leur premier alphabet, leur aleph. Ils imaginent que, Borges encore, le temps pourrait se dérouler à l'envers et que les petites continueraient à rire et à danser.

Roman aux multiples facettes, comme la figure géométrique, et où les oiseaux jouent un rôle primordial : On ne sait pas bien comment ils communiquent entre eux, mais ils le font.
Cinq cent millions d'oiseaux survolent les collines de Beit Jala.
Les enfants bédouins chassent à coup de pierre et de frondes ces multitudes d'oiseaux, comme les pierres de l'Intifada qui serviront à la révolte contre l'Occupation, les pigeons servant d'appâts aux faucons, et Burton, le découvreur des sources du Nil, le traducteur des Mille et Une nuits , grand fauconnier dans le désert infini. Tout s'imbrique.

Voilà un exemple parmi une infinité d'autres du puzzle Apeirogon, ensemble lié autour de la douleur de la perte d'un enfant, dans un pays en guerre, alors que pourtant la vie « ordinaire » continue, une infinité géniale et multiple, multiculturelle et éveillant l'esprit et le coeur, un roman foisonnant, complet avec 1001 entrées, nous sommes toujours dans les mille et une nuits….ou dans le conte persan « la conférence des oiseaux » où la huppe est l'oiseau choisi, servant d'emblème au peuple d'Israël…… jusqu'à la colombe de la paix peinte par Picasso.
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Puissant, unique, incroyable, à nul autre semblable, éblouissant, lumineux qui marque durablement son lecteur…
Par sa construction, ce livre est un véritable OLNI (objet littéraire non identifié). 1001 chapitres composent et décomposent ce récit puisqu'ils ne sont pas dans un ordre linéaire. Ces chapitres se répondent, se mirent les uns dans les autres, comme les multiples facettes de l'apeirogon (la figure géométrique au nombre infini de côtés).
Voilà un moment que ce livre était dans ma PAL, et j'ai plusieurs fois repoussé ma lecture, intimidée par le sujet et les critiques dithyrambiques.
Les adjectifs sont innombrables pour décrire ce livre ; profond et déstructuré, multiple et protéiforme, intimiste et exubérant…
Colum McCann nous plonge dans la vie de Rami l'Israélien et Bassam le Palestinien. Tous les deux pleurent. Ils pleurent la mort de leurs filles.
Rami pleure Smadar, 13 ans, nommée « La vigne », « L'éclosion des fleurs » tuée par des kamikazes qui se sont fait exploser devant un café à Jérusalem, alors qu'elle se promenait avec des amies.
Bassam pleure Abir, 10 ans, « le parfum », « La fragrance de la fleur » en arabe ancien. Abir, tuée un matin par un policier des frontières israélien sur le chemin de l'école, après s'être arrêtée à l'épicerie pour acheter des bonbons.
Ce plaidoyer pour la paix raconte l'histoire vraie de Rami et Bassam qui portent inlassablement leur parole de non-violence, de réconciliation entre les peuples pour que les morts cessent enfin de tomber dans les deux camps, que chacun prenne conscience des terribles drames qui se jouent de part et d'autre du mur de Jérusalem, et que derrière chaque mort, il y a des familles meurtries à tout jamais.
« Comme je le dis toujours, découvrir l'humanité de votre ennemi, sa noblesse, est un désastre, parce qu'il n'est plus votre ennemi, il ne peut plus l'être. » (p.268)
Afin que l'autre ne soit plus un être désincarné : « on considère l'autre comme un objet et pas comme une personne similaire à nous-mêmes »
Cet ouvrage est un véritable exercice de style, mon seul regret étant que la parole perde un peu de sa force au fil des pages, car les nombreuses redites et digressions font que le message s'essouffle un peu.
Ce livre porteur d'espoir incite à la réflexion et fait rêver d'un monde en paix dans lequel une balle ne vient pas broyer les os de la tête d'une petite fille qui s'achète des bonbons.
« La seule vengeance consiste à faire la paix. » (p.410)
Qui sait, peut-être un jour, les hommes entendront-ils peut être raison et le cri de douleur des familles assassinées. Rami and Bassam have a dream …
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Je découvre Column McCann. Ressenti immédiat : c'est un écrivain courageux
Car le sujet traité, les rapports entre Israël et la Palestine, est périlleux
Plusieurs années de recherche et d'écriture pour aboutir à ce gros livre parfaitement maitrisé
Une construction en 1001 chapitres, référence bien sûr aux Mille et une nuits
Une franchise décapante sur la politique de colonisation israélienne
Column McCann dit que les Palestiniens sont les victimes des victimes
Et c'est vrai que sur le terrain, en Israël, c'est extrêmement troublant voire incompréhensible de voir ce mitage du Territoire, ces colonies (un terme qu'on croyait réservé aux livres d'Histoire) savamment implantées pour renforcer l'emprise géographique d'Israel
Et tous ces check-point, ces contrôles incessants , ces murs en béton, ces barbelés, ces militaires omniprésents
Quand on arrive en Israël pour la première fois,avec une assez bonne connaissance géopolitique de la région, cette réalité du terrain est très déstabilisante
Column McCann le décrit très bien de façon méthodique comme un observateur impartial mais perplexe
Le but du livre n'est pas de critiquer Israël mais de décrire une réalité quotidienne
Colum McCann est un optimiste
Il n'est pas là pour condamner mais plutôt pour nous apporter un formidable message d'espoir
A travers l'histoire tragique et émouvante de ces deux pères, un Israélien et un Palestinien, qui ont tous deux perdu une fille dans un attentat
Plutôt que de ressasser le « conflit israélo-palestinien », il nous raconte l'histoire de ces deux hommes qui vont inlassablement parcourir le monde pour raconter leur histoire , leur refus de la haine et leur espoir toujours intact de vivre en paix avec l'autre
Démarche courageuse et dangereuse , héroïque même
La structure du récit peut surprendre et dérouter les lecteurs habitués à des récits plus linéaires
C'est vrai. Nous sommes ici avec un grand écrivain qui assume son originalité et son érudition
Vous l'aurez compris : c'est une oeuvre majeure , une ode à la paix et à l'espoir
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