Un très beau matériau sur le lien Irlande-USA, gâché par trop d'effets faciles.
Publié en juin 2013, et traduit en français dès fin août de la même année par
Jean-Luc Piningre chez Belfond, le sixième roman de l'Irlandais
Colum McCann est à la fois captivant et nettement handicapé par les concessions faites au fil des chapitres à une recherche du "grand public" qui, tout en surchargeant légèrement la barque en émotion facile, omet de laisser à la narration cette part de mystère et de frottement qui, souvent, fait les vrais grands romans...
S'appuyant comme dans son précédent roman, "
Et que le vaste monde poursuive sa course folle", sur des métaphores puissantes mais quelque peu acrobatiques,
Colum McCann dresse ici plusieurs ponts transatlantiques entre l'Irlande et les États-Unis, dans les deux sens de circulation possibles. La première traversée de l'océan en avion sans escale, entre Terre-Neuve et le comté de Galway, en 1919, par les Britanniques Alcock et Brown, est à la fois une belle tranche d'histoire de l'aventure aérienne, et un salutaire rappel de l'imposture politique et publicitaire que représenta quelques années plus tard la célébration de la traversée en solitaire de Charles Lindbergh, avec des moyens autrement lourds. le voyage en Irlande de l'afro-américain abolitionniste Frederick Douglass, en 1845, alors qu'il n'était même pas encore officiellement affranchi, constitue aussi un émouvant morceau de roman historique, et un captivant témoignage sur le laborieux processus d'émancipation qui devait aboutir (après la monumentale guerre civile américaine, toutefois) à l'abolition de l'esclavage par le 13ème amendement, le 31 janvier 1865. La mission de paix en Ulster du sénateur américain George Mitchell, en 1998 (qui aboutira, après de titanesques efforts, aux accords du "Good Friday"), est aussi une belle mise en roman d'un troisième et dernier "passage réel" entre Irlande et États-Unis.
C'est dans la deuxième partie du roman, lorsqu'aux traversées non fictionnelles ainsi reconstruites succèdent de pures inventions, usant de personnages puisés dans les arrières-plans des précédentes, autour desquels McCann tisse toute une trame de liens familiaux, de coïncidences et de rencontres apparemment improbables, que les choses se gâtent : malgré un sens de la narration indéniable, les effets d'émotion faciles, les clichés légèrement larmoyants et les retournements dignes de mélodrames rustiques finissent par emporter, trop fortement, la crédibilité du récit et la tension de l'histoire en devenir, noyant peu à peu les 100 dernières pages dans l'anecdotique se voulant profond mais n'y parvenant guère.
Il reste donc à l'issue le regret de voir un si beau matériau et une écriture habile ainsi gâchés par un abus de facilité, de ficelles et d'effets galvaudés...