Le gang d'Arlette

Le prix Maya 2024 est l'unique prix littéraire en France récompensant les meilleurs ouvrages engagés pour la cause animale. Dans la catégorie Jeunesse dès l'âge de 6 ans, l'album « LE GANG D'ARLETTE » nous invite à suivre les tribulations d'Arlette, une jolie poulette à l'âme activiste. le choix de cet animal n'est pas anodin ; la poule est un animal social qui entretient des relations étroites avec ses congénères. Elle fait preuve d'empathie envers ses pairs. Elle a conscience d'elle-même, mais aussi des autres individus et elle éprouve des émotions complexes telles que la joie, la tristesse, l'anxiété, la peur : elle est donc capable de compassion.

Tout commence par une pleine page aux couleurs chatoyantes et lumineuses, où la belle Arlette, cocotte libre qui aime le popcorn à l'ail qui croque sous le bec, dévale la campagne sur sa Vespa virevoltante. Son dada à elle c'est de faire des clichés d'animaux lointains. Elle a l'âme d'un reporter et sa liberté lui fait frissonner ses ailes et voler son écharpe de soie. A la tablée matinale, alors qu'elle peaufine son anglais et lit le journal ‘La Crête', déboule Pito, bouleversé par sa rencontre avec un chien de chasse en piteux état : échappé de sa geôle, affamé pour mieux chasser, maigre comme un coucou et tremblant de peur.

Ni une ni deux, Arlette toute en émoi, accompagnée de son amie Goguette la mouette, part en campagne pour sauver le rescapé. Une panne de moteur met un terme à leur cavalcade. Quand arrive le dépanneur c'est Jo qui est aux manettes : un cochon jovial et bonhomme arborant un tatouage de saucisse sur sa joue et des côtelettes sur ses bras joufflus. le moins que l'on puisse dire c'est qu'il a de l'humour et du recul. le jars lui aussi rencontré en chemin se mêle à la joyeuse bande. Mais le temps presse. A la question surprenante de Jo à Arlette lui demandant si elle a enfin réussi à s'échapper de l'usine Oeufolie, celle-ci demande plus d'éclairages sur cet endroit qui a des consonances de mouroir. Elle ne pipe pas à un mot de ce qu'on lui dit. Elle ne connait que le vent dans ses plumes et ses chevauchées fantastiques. En apprenant qu'il existe des endroits sur terre où des milliers de ses congénères sont entassés, sans air ni espace pour produire toujours plus d'oeufs, son sang de poulette ne fait qu'un tour. Il faut aller voir ce qu'il se passe du côté de cette usine, temple de la productivité sans âme.

Jo le cochon lui, craint pour ses jarrets mais le jars fait montre de solidarité en s'écriant que « si les poules sont devenues des esclaves pondeuses, il faut que le monde entier en soit informé ». Les oies aussi souffrent du gavage par l'homme : de quoi avoir une crise de foie ! Les rebellions s'enchainent, cochon, poule et oie décident de mettre becs, plumes, pattes en mouvement vers cette usine toute noire au loin qui se profile. Une fois infiltrées à l'intérieur, Arlette et Goguette font face au chaos. L'entassement de milliers de poules pondeuses dans des cages minuscules de la taille d'une feuille A4, provoque la sidération. La lumière blafarde achève de les terrasser de tristesse et d'incompréhension. Arlette est pourtant de la même espèce et elle est libre comme le vent. Il faut que cela se sache car « ce n'est pas une question d'espèce mais une question de justice, de courage et de droit animal ».! le temps de faire des photos choc, les voilà reparties de plus belle.

Quand la vérité éclate au grand jour dans les journaux du lendemain, ce sont des milliers d'animaux qui font le pied de grue devant les portes de l'usine. de là ou elles sont, les poules esclaves doivent sûrement entendre la rumeur de ceux et celles qui se révoltent en leur nom : de quoi porter la voix de celles qui n'en ont pas. le monde entier est désormais au courant des malheurs des animaux, Arlette peut se remettre en marche pour d'autres missions de sauvetage. Grâce à ce gang courageux, la première fête des animaux est inscrite au calendrier. L'humeur est à l'insouciance bienvenue, juste le temps de souffler pour la joyeuse bande qui repart sur les chemins pour sauver d'autres âmes bien en peine.

Ce très joli album jeunesse frappe d'abord par l'alliance harmonieuse d'un dessin généreux aux courbes pleines et rebondies et d'un texte vif et bordé d'humour. Les couleurs sont ultra lumineuses, la vie est éclatante pour tout animal sans entraves. le noir de la ferme usine lui, incarne la privation de liberté, l'esclavage. Les animaux se prêtent mutuellement main forte ; les valeurs d'entraide, de solidarité, d'écoute, de partage, de transmission, accompagneront les jeunes lecteurs à la découverte de réalités qu'il n'y a plus lieu de cacher. La question de l'éthique animale y est traitée avec humour et pédagogie en dénonçant l'enfer des fermes usines, le supplice du gavage d'oies sans oublier certains chiens de chasse élevés dans la misère. Les Editions Dadoclem s'attaquent à la question animale devenue question sociale incontournable. En proposant des oeuvres littéraires et des ressources pédagogiques, elles invitent ses jeunes lecteurs à adopter d'autres modes de pensée ; ici c'est le bien-être animal qui rentre en piste. En opposant des animaux gonflés de joie de vivre à d'autres individus isolés dans leur solitude ou leur mouroir, l'enfant se représente l'existence de mondes différents pour des individus d'une seule et même espèce. Aucun humain n'habite ces pages, seuls les animaux agissent.

Arlette est empathique, les poules le sont réellement. Son combat en infiltrant Oeufolie est aussi le nôtre, pour ne pas laisser les consciences s'endormir face à l'augmentation chaque année croissante du nombre d'élevages en fermes usines. La violence faite aux animaux doit être dénoncée, les enfants d'aujourd'hui sont l'espoir de lendemains moins spécistes. Dans cet album éclairant, nos petits lanceurs d'alerte ont des plumes, des becs, des jarrets, des museaux pour dénoncer la barbarie ordinaire. Leur discours est simple : il ne faut plus passer sous silence le sort infligé aux animaux. C'est aussi de notre avenir dont il dépend. Il en va de notre sens moral.

L'éléphante Maya capturée si jeune et exploitée pendant 40 ans dans des cirques a été libérée en 2018 grâce à une formidable mobilisation citoyenne. Elle a donné son nom à ce prix qui récompense toute oeuvre abordant avec talent l'éthique animale. L'album « LE GANG D'ARLETTE » y a toute sa place tant par la qualité de ses dessins et de ses textes, et du message qu'il véhicule. Un ouvrage à mettre entre toutes les mains encore frileuses ou déjà prêtes à l'action.