Récompensée par de prestigieux prix littéraires espagnols,
Sara Mesa est devenue en quelques années une autrice incontournable de la littérature espagnole contemporaine.
Véritable événement littéraire en Espagne, son dernier roman, «
Un amour », a été désigné « meilleur livre de l'année » par plusieurs journaux espagnols.
«
Un amour » m'a attirée par sa belle couverture, par la simplicité de son titre. Mais, cette lecture a été très différente de celle à laquelle je m'attendais.
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Nat, une jeune traductrice décide de changer de vie et s'installe dans le petit village rural de la Escapa dans le désert d'Almeria. Elle y loue, auprès d'un propriétaire véreux, intrusif et particulièrement répugnant, une maison délabrée avec un jardin pitoyable. Comme il a été décidé, l'homme lui a trouvé un chien pour lui tenir compagnie, mais ce chien craintif paraît avoir subi des mauvais traitements de son ancien maître et se laisse difficilement approcher.
« Quand elle s'accroupit à côté de lui, se mettant à sa hauteur pour ne pas l'effrayer, il se sauve la queue entre les jambes. À cause de cette attitude agaçante, elle se met à l'appeler Chienlit, parce qu'il faut bien lui trouver un nom. Chienlit n'est pas seulement farouche, il est aussi énigmatique. Il rôde dans les parages, mais c'est exactement comme s'il n'était pas là. »
Nat essaie sans succès de travailler sur la traduction d'un livre, mais ses journées sont longues et solitaires, laissant libre court à des pensées parasites qui envahissent son esprit et son quotidien.
« Mieux vaut ne pas penser, mais les pensées surgissent et se frayent un chemin en elle, s'entassent. Elle voudrait qu'elles ressortent aussi vite qu'elles sont entrées, pourtant elles s'accumulent à l'intérieur, l'une par-dessus l'autre. Cette simple volonté – tenter de les restreindre à un unique aller-retour plutôt que de les laisser s'accumuler – est en soi une pensée trop intense pour son cerveau.
Quand elle aura le chien, ce sera plus facile. »
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Dans ce monde rural très fermé et rude, son choix de vie dérange et amène la méfiance : elle est une étrangère, une femme seule et indépendante. Ainsi, elle a du mal à se faire accepter, à tisser des liens avec les habitants du hameau trop peu nombreux et intolérants.
Ses voisins les plus proches sont un couple de personnes âgées et malades ; Andréas baptisé « l'Allemand » sans aucune raison, un homme taciturne qui vit des produits de son jardin ; Piter, un vitrailliste hippie; et une famille.
L'histoire commence vraiment lorsqu'un orage particulièrement violent éclate. La maison prend alors l'eau de toute part.
Le propriétaire refusant d'entreprendre des travaux dans la maison, Andréas lui propose un étrange marché (sans aucune équivoque) contre la réparation du toit de la maison.
Nat est une jeune femme ordinaire, à un croisement de sa vie où elle est en mal de reconnaissance, vulnérable, désorientée, déracinée, seule. Est-ce pour cette raison qu'après avoir refusé dans un premier temps la proposition de son voisin, elle décide finalement d'accepter ?
« Un changement a commencé à s'opérer en elle. Sa fureur se dissout et cède le pas à un vide dont l'écho assourdit tout son corps. Elle est tombée au fond d'un puits où elle est en train de se noyer. »
Lorsque l'amour arrive sous une forme à laquelle elle ne s'attend pas, on peut se demander si c'est vraiment de l'amour. J'y ai vu davantage une histoire sur l'incapacité d'aimer et de communiquer, sur le besoin de rompre sa solitude, de rechercher un plaisir dans le sexe.
Par cette relation troublante, malsaine, obsédante et cette dépendance gênante, l'autrice cherche à créer un trouble chez le lecteur, elle y réussit parfaitement bien.
« Est-ce une obsession ? Oui, sans nul doute, c'est une obsession. Mais pas seulement, se dit-elle. C'est un rapt, une métamorphose, une transformation radicale du tableau prévisible. Ce qui était à l'extérieur, au loin dans le paysage, ce qui était invisible et sans intérêt, est désormais en elle, la hante, l'ébranle. »
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La narration est sobre, sèche, écorchée, propice à rendre l'atmosphère oppressante et malaisante. Tout est fait pour nous faire ressentir les émotions, les sentiments, les doutes, les blessures, la méfiance de la jeune femme qui se sent à la fois contrainte et menacée. Les paysages nus, la montagne qui domine et écrase le village, l'atmosphère inquiétante et insécure, les personnages masculins dérangeants, les silences envahissants, tout amène à créer une ambiance étouffante et pesante.
« Il suffit d'un frôlement, d'un nouveau rapprochement, pour que l'engrenage se remette à tourner. Remords et désir, soif et vertige s'alternent, telles les dents du rouage. »
Le sort semble s'acharner sur elle : les personnes qui gravitent autour d'elle, toutes les mauvaises décisions qu'elle prend, l'excluent, la marginalisent et la fragilisent chaque jour un peu plus. le lecteur sent bien qu'elle se dirige droit dans le mur, qu'il va assister, impuissant, à son effondrement psychologique.
Je dois dire que, même si je n'ai pas compris cette femme, j'ai tout de même eu de l'empathie pour elle. J'ai ressenti sa peur, sa colère, sa fragilité, son besoin d'amour et d'attention.
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Si ce roman semble me décevoir, c'est que cet amour a été frustrant et trop dur pour moi.
Le titre et la couverture représentant un lévrier m'ont également induite en erreur. Cet amour, je pensais, peut-être bêtement, que c'était son chien qui le lui apporterait. Je pensais que chacun se reconstruirait dans l'amour de l'autre.
Le chien tient une place importante dans le roman, mais pas celle-ci.
Malgré ma déconvenue, je dois reconnaître que
Sara Mesa a le talent pour raconter une histoire qui n'est pas belle, une histoire dans laquelle prédomine des sentiments intenses, profonds, douloureux, sombres, violents, effrayants. L'autrice a su provoquer les lecteurs en les plaçant dans une situation incommodante, car l'amour peut parfois prendre différentes formes ou des chemins détournés, alambiqués, hasardeux, dangereux.
La fin est déconcertante, je ne m'y attendais pas.
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«
Un amour » est un petit roman sur le désir, sur l'image que les autres nous renvoient comme un miroir, sur le besoin d'exister dans le regard de l'autre et en particulier celui des hommes, sur les attentes de chacun dans une relation.
C'est un roman étrange, douloureux, froid, triste qui surprend par son approche inattendue.