Comment résumer ce livre ?
Mary Midgley a l'habitude de pondre des tomes de 200 à 300 pages, si denses, si structurés, si riches ...
Je crois qu'elle s'élève, dans ce livre, contre des pathologies de la pensée. Et par là je n'entends pas des biais cognitifs, mais plutôt des habitudes, des traditions qui affectent le monde académique en philosophie ou en sciences.
Dans la plupart des disciplines - même en philosophie - l'on a voulu imiter les sciences naturelles, en particulier la physique. Si l'éthique , l'anthropologie ou la psychologie ne pouvaient être des physiques du choix moral ou du comportement humain, au moins pouvaient elles emprunter des méthodes aux sciences naturelles et les appliquer à leurs domaines propres. Ceci afin de se parer de la gloire et de la respectabilité desdites sciences. Bien sûr, enfoncer une vis avec un marteau ne réussit pas très bien. A force de vouloir utiliser des outils conçus pour d'autres usages, on ne produit que des vis tordues et des trous dans les supports. C'est ainsi que bon nombre de questions importantes ne peuvent être posées - car elles ne peuvent être étudiées avec les méthodes empruntées - et que pas mal de réponses obtenues n'ont pas de sens dans la réailité vécue.
Voulant s'isoler des questions intractables du vécu et faire face au déferlement de questions de plus en plus abstraites - coupées de la vie - qu'ils se posent, les académiciens se sont réfugiés encore plus loin et plus haut dans des tours d'ivoire. Au point que l'enseignement est vu comme une activité dangeureuse (elle vous expose aux questions d'étudiants à demi formés) et donc subalterne, à déléguer à des assistants . La discussion, l'ouverture au monde ouvrent bien trop de portes et laissent entre les courants d'air. Idem pour la vulgarisation, qui porte bien son nom.
Les sciences naturelles, en particulier la physique, voir cette petite partie de la physique que l'on appelle physique fondamentale, fort des succès de ces 2 derniers siècles, se sont employés à combler le vide croissant laissé par les philosophes, les théologiens, les praticiens des sciences humaines voués aux méthodes des sciences exactes. Les methodes sont les mêms, mais appliqués avec encore plus de zèle et de conviction. Les sciences naturelles étant, en principe, purement descriptives, leur usage dans d'autres domaines entraîne un certain nihilisme. La bonté, la beauté, la justice leurs sont tout simplement inconnues, et ne peuvent donc être reconnues.Tout au plus pourrait on parler " d'émotions" ou de "subjectivité ", termes fort péjoratifs dans ce contexte. En tous cas, il n'y a là rien qu'il faille prendre au sérieux. L'éthique, l'esthétique, la métaphysique, la littérature, les arts plastiques ne peuvent guère faire l'objet d'une étude digne de ce nom. Les défenseurs les plus bruyants de ce point de vue étaient les logico-positivistes, et si leurs positions ont été démantelés, les mythes qu'ils ont produit hantent encore notre culture.
Tout ceci a commencé il y a bien longtemps, avec la recherche cartésienne d'un fondement à la connaisance. Croyant trouver ce fondement dans le cogito, l'on a posé l'existence d'un penseur, enfermé dans son corps, isolé de ses émotions, et à fortiori des autres êtres humains, qui de toutes façons auraient les mêmes problèmes philosophiques. L'on cherche alors le système qui pourrait relier cet esprit désincarné aux autres dimensions de son expérience - recherche qui développe des systèmes de plus en plus complexes, abstraits et impuissants à rétablir l'homme dans son monde. Pour penser ces systèmes, pour les développer, il faut un groupe de professionnels de plus en plus spécialisés et immergés dans la plus haute abstraction. Voilà où nous en sommes.
Mary Midgley plaide pour l'abandon de ces conceptions fondationalistes. Nous n'avons pas besoin de certitudes absolues, notre savoir ne doit pas, non plus, être inaccessible au doute, parfait, universel et complet. La possibilité d'une telle connaissance est un mythe, et un mythe destructeur puisqu'il mène aux pathologies décrites. Ne tombons pas non plus dans le piège inverse : celui du relativisme, de la subjectivité intégrale où, ma foi tout n'est qu'opinion et toutes les opinions se valent ! Elle plaide pour une ouverture au monde du vécu, pour une conversation par delà les murs de du département ou de la faculté, pour une vue beaucoup plus holiste de l'homme, et pour l'humilité et le réalisme dans les ambitions intellectuelles.