L'écriture est un assemblage de mots, l'écrivain est son architecte. Il y a des auteurs qui écrivent une cabane en bois, d'autres une cathédrale,
Jonathan Miles écrit le palais idéal du facteur Cheval, un monument atypique, psychédélique, un asile de doux dingues.
Talmage et Micah vivent dans un immeuble abandonné de New-York qu'ils squattent. Ils sont végans et fouillent les poubelles afin de récupérer les invendus des magasins.
Une heure du matin, Elwin Cross Junior, professeur de linguistique, rentre tranquillement chez lui à Newark lorsqu'un chevreuil heurte sa jeep en traversant la route 202. Il charge la carcasse dans son véhicule pour la dépecer à son domicile comme au bon vieux temps.
Sara Tetwick Masoli fouille dans le box d'un garde-meuble où elle a entreposé les affaires de son ex-mari, décédé dans l'une des tours du Wolrd Trace Center. Elle cherche un plat à rôtir lorsqu'elle tombe sur un article lui rappelant le terrible attentat.
Trois trajectoires de gens ordinaires qui semblent inspirer un bâillement, et pourtant ! Quelle choc !
Jonathan Miles a son style propre, une écriture libre qui ne s'interdit pas au détour d'une phrase, l'ajout d'une réflexion opportune et cinglante, trait singulier de l'humour corrosif de l'auteur. Certains mots gras émaillent le texte et sont les épices qui agrémentent très agréablement la lecture. Les situations les plus ordinaires prennent sous la plume de l'auteur des couleurs, un relief qui font vite oublier leur banalité et rendent le récit spécialement savoureux.
Certains passages sont désopilants (Ex. : première partie, chapitre six, page 125). Sans jamais tomber dans le graveleux,
Jonathan Miles a l'art et la manière d'inventer des personnages qui, même s'ils sont tout ce qu'il y a de plus communs, issus des différentes strates de la société américaine, ont un caractère haut en couleur et des qualités (ou défauts) attachants. Les dialogues sont particulièrement bien soignés et ne rendent que plus de véracité au récit, tant par leur fraicheur que par leur spontanéité.
«
Tu ne désireras pas » est la satire d'une société qui idolâtre la possession, encourage la surconsommation et à laquelle il manque ce onzième commandement. Comme quoi même Dieu n'avait pas prévu notre concupiscence et notre propension à l'autodestruction pour arriver à nos fins. L'homme s'est ainsi extrait du cycle naturel du monde animal et végétal afin de satisfaire ses besoins dont il repousse toujours plus les limites. A l'indispensable, il accumule le superflu, brulant toujours plus de ressources naturelles pour fabriquer toujours plus de déchets qui mettront des années voir des siècles à être recycler pour une partie, à polluer définitivement la planète pour le reste. Il a beau vider ses poubelles dans des décharges, enterrer ses déchets radioactifs dans des mines, « ranger » ses vieillards dans des « EHPAD-hospices-mouroirs », bref, planquer la poussière sous le tapis, il n'en reste pas moins que les reliefs du festin sont là et pour longtemps. Voilà pour la partie visible de l'iceberg. Quant à la partie immergée de notre inclination à souiller le monde, tout a une fin, tout finit par mourir. Et qu'advient-il de ces moments de joie ou de peine qui ont animé notre vie ? une décharge de résidus virtuels, restes de souvenirs jamais recyclés qui flottent sur l'océan de notre mémoire. Des pollutions qui altèrent notre intégrité originellement immaculée. Nous portons en nous le dépotoir de nos propres déjections mentales et comportementales.
Alors revenons à l'essentiel, aux fondamentaux, et laissons la vie nous prendre et nous quitter sans jamais plus avoir l'orgueil de cette soif d'immortalité. Se lever, respirer, lire, boire, se nourrir et observer le merveilleux cycle de la nature sans interventionnisme barbare, voilà un idéal vers lequel il serait bon de s'orienter.
Ce sont ces idées-là que suggèrent les histoires des personnages de
Jonathan Miles, en toile de fond, sans jamais les imposer ouvertement. Ils sont nous.
Il n'y a pas de revendication écologique dans la démarche de l'auteur, simplement une analyse des comportements ordinaires ignorés, refoulés dans une inconscience individuelle et collective mais qui mèneront l'humanité à sa perte.
Que s'est-il passé entre l'époque où l'homme pour subvenir à ses besoins chassait et celle où il pousse un caddy dans un supermarché ? l'évolution ? le progrès ?
Je recommande vivement la lecture de «
Tu ne désireras pas » de
Jonathan Miles, ne serait-ce que pour le moment de plaisir exquis, délectable et drôle que l'on passe, mal grès l'opacité et les borborygmes de certains passages.
Traduction remarquable de
Jean-Charles Khalifa.
La merveilleuse maison d'édition
Monsieur Toussaint Louverture, 464 pages.