Human Target : Second Chances

Ce tome fait suite à Chance Meetings (minisérie en 4 épisodes de 1999 + numéro spécial "Final cut" de 2002) ; il vaut mieux l'avoir lu avant même si ce n'est pas indispensable. le présent tome contient les épisodes 1 à 10 de la série mensuelle débutée en 2003. Tous les scénarios sont de Peter Milligan.

Épisode 1 - les derniers films réalisés par Frank White sont de plus en plus violents et ont provoqué une réaction viscérale de la part d'un spectateur. Il a décidé de tuer le réalisateur qui impose de telles horreurs à l'esprit des spectateurs. Épisodes 2 & 3 - John Matthews était un comptable ayant aidé ses patrons à frauder. Il a profité des attentats du 11 septembre 2001 pour se faire passer pour mort auprès de ses employeurs, de sa femme et de ses 2 enfants. Mais la réussite inique de ses anciens patrons le pousse à chercher vengeance. Épisodes 4 & 5 - Après un match exceptionnel, Ruben Valdez, la star de l'équipe de baseball, se défenestre depuis son appartement situé au vingt troisième étage. le directeur de l'équipe engage Christopher Chance pour trouver une explication. Épisode 6 - Un fou furieux cherche à tuer le prêtre qui s'occupe des bonnes oeuvres dans un quartier très défavorisé de New York. Chance essaye de déterminer l'identité et les motifs de l'individu avant qu'il ne frappe à nouveau. Épisodes 7 à 9 - Des membres d'une ancienne cellule terroriste composée d'américains sont assassinés les uns après les autres. Chance croise par hasard la route de l'un des derniers membres, la prochaine cible pour élimination. Épisode 10 - Un taulard s'évade de prison et demande Chance de prendre son apparence et d'effectuer une cavale spectaculaire pendant 5 jours, le temps qu'il puisse revoir sa jeune épouse et en profiter.

Peter Milligan est un scénariste qui n'hésite à essayer des registres divers et variés, avec des succès divers et variés. Il écrit aussi bien des comics de superhéros, mais généralement avec une approche un peu différente (X-Statix, 5 Ronin ou Sub-Mariner - The depths pour Marvel), que des séries pour Vertigo (Shade, the changing man, Hellblazer à partir de Scab, ou Greek Street). Parfois, ses histoires sont pathétiques de banalité, parfois elles comprennent des éléments originaux qui les font sortir de l'ordinaire, plus rarement elles prouvent qu'il peut être un auteur aussi distrayant qu'intelligent. Les aventures de Christopher Chance s'inscrivent dans cette dernière catégorie.

Milligan commence très fort avec le premier épisode d'une trentaine de pages. Alors que le lecteur est à peu près sûr d'où est Christopher Chance, Milligan introduit subrepticement le doute. Ensuite il construit un thriller bien noir et plein de suspense. Mais il ne s'arrête pas là ; il introduit un métacommentaire en toile de fond, sans jamais le matraquer au lecteur. le réalisateur tourne des films de plus en plus violents, de plus en plus traumatisant pour les spectateurs qui n'y voient qu'une forme de divertissement. Milligan constate comment ses propres scénarios sont en train d'évoluer et ce que ça implique quant aux attentes du lecteur et au plaisir qu'il en tire. Il renverse insidieusement le rapport entre l'auteur et le lecteur en indiquant qu'il est en train de jauger le lecteur. Après une entrée en matière aussi magistrale, la suite se devait d'être à la hauteur.

Et Peter Milligan ne faiblit pas. Avec la deuxième histoire, il aborde le traumatisme du 11 septembre d'un point vue dépourvue de mièvrerie, en rappelant que le capitalisme américain n'a pas produit que de blanches colombes, tout en en continuant de développer le questionnement de Christopher Chance sur l'individualité et l'identité. Ce dernier thème est abordé chaque fois sous un nouvel angle dans les épisodes suivants, toujours avec une perspicacité impressionnante, et une pertinence relative à l'histoire racontée. En bon anglais, Milligan ne mâche pas ses mots sur les tares des États-Unis, en tant que nation impérialiste. L'épisode sur le prêtre est un peu facile en termes de dénonciation, mais ceux sur le terrorisme né de bons américains à la peau blanche offre une mise en perspective sans merci du terrorisme venant de l'extérieur. Milligan raconte avant tout de bon thriller qui respecte le point de départ de la série (C. Chance se déguise pour prendre l'identité d'un autre), et ces récits s'appuient sur de solides composantes psychologique et sociopolitique. Ces dernières se lisent en filigrane du récit sans jamais prendre le pas dessus.

Les épisodes 1 à 5 sont illustrés par Javier Pulido, les épisodes 6 à 10 par Cliff Chiang. Leurs 2 styles sont assez proches et évoquent celui de Darwyn Cooke, en un peu moins juvénile. Ils dessinent des silhouettes simples délimitées par des traits en nombre restreints, mais avec une capacité de reconnaissance et de distinction entre les personnages maximale. Pulido est à la frontière du dessin cartoon, Chiang en est un peu plus éloigné avec un encrage un peu plus soutenu. Ce qui les sépare des dessins pour enfant, c'est qu'ils maîtrisent un langage corporel adulte, ainsi que des expressions des visages traduisant des sentiments complexes. Ils savent également dessiner des décors qui donnent au lecteur le sentiment d'être dans l'atmosphère du lieu, et d'être dans un endroit spécifique et non générique. Enfin Lee Loughridge (le metteur en couleurs) utilise une palette étendue qui couvre aussi bien des couleurs sombres que claires, sans tomber dans la composition choc ou flashy.

Pour conclure, il ne reste plus qu'une prière à adresser à la branche mature de DC Comics. S'il te plaît, Vertigo Comics, réédite aussi les épisodes 11 à 21.