La Greffe d'idées

Dans la ville du professeur Spoutmoil, il est un événement annuel exceptionnel qui rythme et anime la vie de la cité. Et voilà, comme à l'accoutumée, Jean-Ernest-Auguste-François -Irénée- Gustave -Clément de la Festoierie, premier magistrat de Clémentine-ville, vient de déclarer ouvert le 9e concours municipal d'inventions extraordinaires. Il exhorte ses savants et géniaux administrés à "se faire bouillir le cerveau", à "tourbillonner leurs synapses" et surtout à"exploser leurs neurones". Il faut dire que l'enjeu est de taille. Il s'agit pour tous les concurrents de trouver l'idée unique et brillante qui permettra de détrôner le jusque-là invaincu professeur Spoutmoil depuis des années. C'est donc le branle-bas de combat au coeur de la ville et surtout dans tous les laboratoires des plus officiels aux plus obscures. Les chats, entre autres animaux, et Gaspard, celui de Spoutmoil, rasent les murs craignant de servir à nouveau de cobayes. Les médias y mettent aussi du leur, interviewant, étape après étape, chaque participant, tel que le professeur Gousses d'ail avec sa machine à faire tourner la cuillère toute seule dans le café ou le professeur Barbiturique avec sa machine à couper les cheveux en quatre dans le sens de l'épaisseur !
Mais, attention, le lecteur comprendra très vite que la menace vient de l'association des professeurs Grégoire Grégoire et Encéphalocortex : des hommes sans scrupules mus par la quête de gloire, de pouvoir et de génie préfabriqué. Ils ont en effet décidé de remporter la mise grâce à la greffe d'idées. Celle de Spoutmoil, bien sûr. C'est pourquoi, cette bédé est en quelque sorte un OLNI (objet livresque non identifié) puisqu'elle est faite du tricotage d'humour noir loufoque avec des courses poursuites, avec de la science-fiction et un zeste de philosophie.
Sous ses airs frappadingues, cette bande dessinée utilise , détourne tous les codes du genre, se délecte d'inventions littéraires et lexicales à l'aune des savoureux noms des personnages ainsi que des titres donnés à leurs créations, toutes plus surréalistes les unes que les autres .
Par ailleurs, le lecteur qui adhérera à ce parti-pris n'aura pas le temps de s'ennuyer vu qu'un bon mot, une péripétie voire des questions apparaissent par lots dans chaque planche. Il arrivera rapidement et surpris à l'épilogue, à savoir la dernière planche, à la facture contrastant avec le reste. Et pour cause. Il saura alors ce qu'il va advenir du professeur Spoutmoil et de Tilu son tout aussi génial et fougueux petit-fils.
Le lecteur ne pourra tourner la dernière page sans se dire "ouf" pour toute sorte de raisons et l'ouvrage restera en lui un bon moment. Ces aventures pourtant ultra rocambolesques nous livrent plus d'interrogations que de réponses sur l'importance des idées, de la pensée, sur l'imagination et sur leurs applications, sur l'intelligence qu'on croit ici pouvoir greffer, et sur la course au progrès. Cet ouvrage, en fait, mettant en scène des professeurs Tournesol version XXL nous donne à réfléchir sur l'utilité ( la nécessité, même ?) du génie, souvent source de gloire et de spectaculaire et pas forcément générateur de bonheur dans nos vies.