Ce tome comprend les épisodes des ABC Warriors parus les progs (numéros) du magazine hebdomadaire britannique 2000 AD suivants : 119 à 139, en 1979. Tous les scénarios ont été écrits par
Pat Mills. Aux dessins, se succèdent Brett Ewins,
Carlos Ezquerra,
Dave Gibbons,
Brendan McCarthy, Kevin O'Neill. Pour bien comprendre qui sont Hammerstein et Ro-Jaws, il vaut mieux avoir lu Ro-Busters: The Complete Nuts and Bolts Vol. I & Ro-Busters: The Complete Nuts and Bolts Vol. II, car
Pat Mills n'est pas adepte des résumés en cours d'histoire. du coup pour pouvoir saisir quelques références, le lecteur a intérêt à avoir lu les épisodes des Ro-Busters.
Hammerstein emmène plusieurs ex ABC Warriors sur le site de la dernière bataille contre les Volgans. Lors de la guerre contre les Volgans, 100 millions de robots ont trouvé la mort. Hammerstein était alors le commandant d'une unité d'ABC Warriors : A pour Atomique, B pour Bactériologique et C pour Chimique. Il se battait aux côtés de Joe Pineapples et Happy Shrapnel, 2 autres ABC Warriors. le récit se déroule ensuite pendant la guerre contre les volgans, dans les années 2080. Hammerstein a attiré sur lui l'attention du colonel Lash, un militaire humain, qui lui assigne des missions. La première s'avère être un test qu'il accomplit avec Happy Shrapnel et Joe Pineapples. Hammerstein ayant fait ses preuves, le colonel (qui reste dans l'anonymat) lui confie d'autres missions qui consistent à recruter d'autres Guerriers ABC, un par un.
Hammerstein et ses 2 compagnons doivent commencer par recruter Mongrol, un robot qui ne reconnaît que la force et qui se bat pour retrouver Lara, une jeune fille qui l'a reconstruit alors qu'il n'était plus qu'une tête sans corps. La recrue potentielle suivante sort de l'ordinaire puisqu'il s'agit de Deadlock, le grand sorcier de l'ordre des chevaliers martiaux. À cette occasion, Hammerstein explique à ses compagnons ce qu'est cet ordre et comment ces chevaliers se battent avec la puissance de leur esprit. La recrue suivante est en train de perpétrer un massacre d'innocents : il s'agit d'un gradé dans l'armée robotique des Volgans, appelé Blackblood. Il ne reste plus qu'à recruter le robot indestructible Steelhorn qui prend le nom de The Mess, après un petit accident. le colonel Lash se révèle alors aux 7 ABC Warriors et leur indique leur mission : se rendre sur Mars qui a été terraformée et colonisée, pour éviter le massacre des civils dans la guerre que se livrent les entreprises minières.
ABC Warriors est une série qui a passé l'épreuve du temps, avec des changements réguliers dans la composition de l'équipe de robots, avec des illustrateurs de niveau différents, mais souvent très bons, et même excellents, et toujours le même créateur pour guider leur destinée, à savoir
Pat Mills. En 2013, ils sont même retournés sur Mars : ABC Warriors: Return to Mars, illustré par
Clint Langley. Dans ce premier tome de l'intégrale, le lecteur assiste donc à la constitution de l'équipe, pratiquement un robot à la fois.
Pat Mills commence par un épisode prologue (dessiné par Kevin O'Neill) pour rappeler que ces robots ont servi dans les guerres Volgan et que nombre d'entre n'en sont jamais revenus. L'invasion des Volgans s'est fait en deux temps, ayant débuté en 1999 en Angleterre, avant de s'étendre des décennies plus tard aux États-Unis. Il s'agit d'un événement que l'on retrouve dans d'autres séries de 2000 AD, mais qui a été extirpé de la continuité de Judge Dredd. Tout commence avec Invasion!. le début de la série ABC Warriors revient donc en arrière par rapport à Ro-Busters avec cette mission rassemblant progressivement les ABC Warriors et dont le titre évoque le film Les Sept Mercenaires (1960, The Magnificent Seven) de John Sturges.
Pat Mills utilise une approche un peu déroutante pour caractériser ses robots. Il s'agit donc d'êtres mécaniques dotés d'une programmation qui leur permet de formuler des pensées indépendantes. de ce fait en fonction des spécificités de leur programmation, de leur spécialisation dans la guerre, de leur morphologie (les caractéristiques physiques de leur corps), ils acquièrent des expériences différentes, ce qui induit le développement d'une forme de personnalité propre à chaque robot. le scénariste insiste bien sur le fait qu'aux yeux des humains, il ne s'agit que d'objets dont la fonction première est d'être sur le champ de bataille à la place des êtres humains. le lecteur retrouve donc parfois comme un écho déformé des thèmes que Mills a pu aborder dans la série Charley's War dessinée par
Joe Colquhoun. À partir de ce postulat, il écrit des histoires mêlant science-fiction et guerre. Il s'amuse bien avec les différents robots, leur donnant à chacun une histoire personnelle et des capacités de plus en plus étranges.
Le lecteur garde à l'esprit que la personnalité et les capacités spécifiques de chaque robot découlent de la manière dont il a été fabriqué et programmé. Il ressent très vite une forme d'empathie pour la grosse brute qu'est Mongrol, apitoyé par son attachement à Laura, consterné par son manque de capacité de réflexion. Il sourit quand il comprend que Deadlock fait partie d'un ordre dont la mission a amené les robots qui le composent à développer des capacités surnaturelles. Mills s'amuse à pousser la logique jusqu'au bout, en estimant que l'obstination de ces robots particuliers a pu leur permettre d'acquérir des capacités mentales inaccessibles aux êtres humains normaux, a pu leur permettre de faire de l'art du tarot divinatoire une véritable science. le scénariste fait se rejoindre la plus haute technologie et la magie ou la sorcellerie, dans un raisonnement logique. Dans un autre ordre d'idée, le lecteur éprouve des difficultés à concilier le dégoût qu'il peut éprouver à l'encontre de Blackblood, de sa fourberie et de sa cruauté, et du fait que ce robot ait développé ses caractéristiques du fait de sa programmation, quasiment sans volonté propre.
En parallèle, le lecteur ressent la maîtrise que
Pat Mills a des récits de guerre. Il ne porte pas aux nues la valeur guerrière, le courage dans la bataille, la virilité à triompher de son adversaire. Comme à son habitude, il met en avant le coût en vie humaine, l'inhumanité de régler ses problèmes par des conflits de grande envergure. Il met donc en scène des soldats sacrifiés par leur commandement, des individus littéralement formatés pour tuer sur les champs de bataille, des personnes à l'esprit simple embrigadées et endoctrinées pour donner la mort au nom d'individus qui ne mettent jamais les pieds sur un champ de bataille. Il met également en scène les populations devant survivre dans des villes dévastées par la guerre, les civils pris au milieu d'un conflit ouvert (le massacre de Bougainville), les populations indigènes qui voient arriver des colons qui se battent sur leur territoire, ou encore les profiteurs que sont les marchands d'arme. le lecteur apprécie la conscience politique de
Pat Mills qui transforme un récit de guerre en une analyse décillée du prix à payer par les individus pris dans le conflit, civils comme militaires.
Bien sûr, ces épisodes sont dans la continuité graphique des épisodes des Ro-Busters puisqu'il s'agit pour partie des mêmes artistes. Cependant le lecteur ressent une évolution dans les pages. Il ne s'agit plus uniquement de pages parfois un peu appliquées avec des cases aux angles aigus pour en augmenter l'agressivité. Dans le prologue, les dessins de Kevin O'Neill laissent déjà transparaître son humour grinçant, en particulier dans les coups massifs portés par les robots, et les dommages occasionnés. Les dessins de
Brendan McCarthy sont encore assez sages par rapport à ce qu'il fera dans la suite de sa carrière, mais le lecteur découvre déjà quelques cases surréalistes que ce soit Happy Shrapnel en robe ou le masque à maille métallique d'Old Horney. Ses dessins gagnent en psychédélisme pour les épisodes 127 et 128, consacrés à Steelhorn, dans lesquels McCarthy se lâche plus.
Mick McMahon n'a pas encore complètement versé dans l'exagération des formes et les contours anguleux qui seront sa marque de fabrique, mais le langage corporel des humains est déjà grotesque et le lecteur voit la souffrance et l'angoisse dans les postures des civils du massacre de Bougainville. Il donne des corps de plus en plus mécaniques aux guerriers ABC au fur et à mesure des épisodes qu'il dessine, les éloignant de tout semblant d'humanité, de vraies machines.
Dave Gibbons n'a pas encore atteint sa complète maturité et ses dessins précis sont encore un peu chargés à la lecture. Pour l'épilogue, le lecteur retrouve Kevin O'Neill le temps de 3 pages. Des angles inattendus commencent à apparaître dans les contours des formes, conférant une dimension monstrueuse et outrageuse à tout ce qu'il dessine.
Cette histoire des ABC Warriors permet au lecteur de découvrir comment s'est constitué l'équipe, et de faire connaissance avec la majorité des Guerriers ABC. L'intrigue reste un peu trop linéaire et éparpillée au gré de l'inspiration du moment. Les artistes appartiennent tous au haut du panier, mais ils sont encore en phase de transition entre les conventions graphiques établies du magazine 2000 AD, et leur personnalité graphique définitive. Loin d'être une lecture pesante et obligatoire pour découvrir ce pan de l'histoire des comics britanniques, cette histoire se découvre avec plaisir et recèle à chaque épisode des moments poignants.