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3,96

sur 812 notes
Une écriture subtile, fine, puissante, sensuelle, violente. Un livre magnifique
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Yukio Mishima est un auteur japonais sulfureux de par sa vie, que je me plais à découvrir par petites touches depuis l'an passé, où j'avais écouté une série d'émissions radio très intéressantes sur le personnage. Confession d'un masque est son titre emblématique et j'en avais repoussé la lecture de peur de la trouver trop complexe ou trop dérangeante, je ne savais pas trop. Heureusement, je me suis bien trompée et ce fut une très bonne lecture, édifiante et révélatrice sur l'auteur, qui m'a passionnée de bout en bout.
Dans ce roman quasi autobiographique, l'écrivain confie le récit de son enfance, son adolescence puis ses premiers pas d'adultes dans le Japon des années 20 à 50. Se côtoient ainsi un récit très intime sur sa vie, ses aspirations, ses désirs, sa vision de la vie... et un récit plus vaste sur le Japon traditionnel de ces années-là. C'est passionnant.
La plume de Mishima est d'une rare fluidité. Elle coule allègrement sur le papier alors que je m'attendais à quelque chose de plus ampoulé ou travaillé, ici tout est fait dans la simplicité. Pour autant, l'auteur a tendance par moment à nous perdre dans les méandres de ses réflexions et ça peut être déroutant. Pour en finir sur le style, le récit se découpe en 4 chapitres de longueurs inégales qui marquent les 4 périodes marquantes de sa vie jusqu'à ses 24 ans (?). C'est donc un texte très abordable, qui se lit assez facilement parce que le style est simple et contemporain, tout en restant personnel.
Le personnel et l'intime, sont justement au coeur de ce récit. On y suit un Mishima qui décortique ses pensées et ses désirs depuis tout petit jusqu'à ses années de jeunes adultes. Ce n'est pas un récit linéaire. Il perçoit tantôt quelque chose en lui, qu'il renie ensuite avant de renouer avec plus tard. Mais c'est un récit puissant et saisissant. Il montre ici combien les événements de l'enfance sont essentiels dans la construction de l'individu plus tard. Les choix très particuliers qu'il a subis dans son éducation sont des marqueurs essentiels pour le comprendre plus tard et dans son cas, ça fait un peu peur.
En effet, je ne vais pas vous cacher qu'il y a des moments assez dérangeants dans cette autobiographie. En analysant ses désirs, Mishima révèle sa fascination pour le sang, la violence, la contrainte et ça fait froid dans le dos, surtout quand on connait son parcours. Ça résonne en plus avec un Japon où le nationalisme monte alors en flèche avec les dérives que cela peut occasionner, alors ça peut facilement troubler le lecteur.
Pour autant, c'est très bien contrebalancé par l'analyse très touchante d'un jeune homme homosexuel qui cherche parfois à comprendre sa nature, parfois à la cacher voire la renier pour coller à l'image que la société souhaite avoir de lui. Et la construction du masque qu'il va poser devant son visage est analysée d'une façon saisissante ici, tellement juste de la part de la personne concernée que c'en est très surprenant.
Pour finir, j'ai beaucoup aimé dans ce titre tout ce que l'auteur révélait en filigrane sur la société japonaise de ces années-là, la façon dont ils vivaient avant, pendant et après la guerre, le fonctionnement au sein de ses familles appartenant à une petite bourgeoisie, les codes de la vie d'alors, etc. Il y a plein de petites informations à prendre pour les curieux de cette époque.
Confession d'un masque, plus qu'une autobiographie, s'est révélé être un titre très touchant sur l'éveil au désir d'un jeune japonais attiré par les hommes dans une société où cela est encore tabou. C'est également le tableau d'un époque charnière fait avec beaucoup de subtilité, qui pourra en intéresser plus d'un.
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Un chemin initiatique. Une recherche de son identité et une interrogation sur sa sexualité. Un roman autobiographique touchant, drôle traversé par une obsession de la mort.
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Pioché dans une pal "à lire absolument avant de mourir" et bien c'est indéniablement bien écrit mais qu'est-ce que c'est chiant, à mourir.
Moi qui suis passionnée du Japon, ba à part écouter ses jérémiades on n'y trouve rien dans ce bouquin, l'histoire est rébarbative et indigne d'intérêt.
On dirait l'autobiographie d'Issei Sagawa ratée.
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C'est ce roman qui m'a fait découvrir Yukio Mishima. Ce roman, en grande partie autobiographique, relate la découverte de l'homosexualité par un enfant souvent malade, élevé dans un gynécée. L'oeuvre se découpe en plusieurs mouvements: le premier relate l'enfance du narrateur, le second se penche sur ses premiers émois. le troisième observe le temps de l'adolescence, l'obtention du diplôme du narrateur, et l'affirmation de cette attirance pour les personnes de même sexe que lui. Pour bien comprendre cet oeuvre, nous devons analyser son titre: le terme de "confession" peut vous laisser penser que l'auteur veut s'exprimer au sujet d'une faute. Cependant, le mot à une autre connotation pour les Japonais. Une confession consiste à dévoiler son intimité sans pour autant tout révéler au lecteur. L'auteur se permet également d'introduire plusieurs éléments fictifs dans son récit: Sonoko est un personnage inventé par l'auteur pour les besoins de la progression de l'intrigue, elle est l'archétype d'une jeune Japonaise issue de la bourgeoisie. Dans le récit, le narrateur cherche à se réconcilier avec lui-même et à exorciser les démons qui l'empêchent de s'épanouir et d'accepter son orientation sexuelle. Puisqu'il s'agit d'une confession, l'auteur effectue une rétrospective de son enfance qui se prolonge vers l'arrivée à l'âge adulte. La narration se caractérise par une forte dualité entre le regard critique du narrateur sur son passé, et le regard naïf de l'enfant qu'il redevient à certains moments du récit. Mishima sonde son âme dans se récit où il s'examine sous toutes ses coutures. Nous découvrons sa fascination pour la mort que lui évoque la couleur rouge, ainsi que l'illustration du martyr de Saint Sébastien, laquelle lui permet d'assouvir son désir homosexuel (elle représente un homme nu, blessé).

Cela s'explique également par le contexte historique du roman: Confession d'un masque retrace l'enfance de l'auteur au temps de l'effort de guerre (Mishima est né en 1924), une époque où le Japon ne subissait pas encore l'influence de l'occident. le narrateur est contraint de taire et de refouler son orientation sexuelle. le thème de l'hypocrisie (telle qu'on l'entend littéralement, elle renvoie au fait de s'abriter derrière un masque) est prépondérant dans l'oeuvre: le narrateur nous raconte comment il s'est efforcé de simuler l'hétérosexualité. Un récit d'une déchirée entre ses propres désirs et les conventions d'un Japon ancré dans les valeurs d'antan.
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Critique commune à *Confession d'un masque*, de Yukio Mishima, et *Mishima ou la vision du vide*, de Marguerite Yourcenar.

DEUX AUTEURS À DISTANCE



Mishima Yukio, de tous les grands écrivains japonais du XXe siècle, et il y en a eu un paquet, est probablement celui qui exerce le plus de fascination – et pour partie pour de « mauvaises raisons » : sa mort histrionique, comme un événement de la vraie vie qu'on jugerait trop outré s'il figurait dans un roman. Il serait dommage, pourtant, que la mort de l'auteur – bon sang, on ne parle même plus de sa vie à ce stade – gomme par sa folle démesure son oeuvre. Ou en tout cas le meilleur de son oeuvre, car cet écrivain de génie ne rechignait pas à commettre de temps en temps une petite chose alimentaire – qu'importe, les romans, recueils ou pièces de théâtre brillants ne manquent assurément pas ; et, parmi ces titres majeurs, Confession d'un masque occupe une place particulière – celle d'un déclencheur, d'une certaine manière, car, si ce n'est pas le premier roman de Mishima (c'est le second, sauf erreur), c'est néanmoins celui qui, très vite, alors qu'il n'est âgé que de 24 ans, en fait d'ores et déjà une célébrité et un écrivain reconnu et apprécié, aussi bien par la critique que par le public. C'est aussi une oeuvre qui contient en germe un certain nombre d'aspects qui resurgiront par la suite, dans la vie et dans la bibliographie de Mishima – et à bon droit car il s'agit d'emblée d'un texte relativement ambigu, dont je suppose qu'il faut le rattacher au courant très nippon du watakushi shôsetsu, ou « roman du moi », une forme d'autofiction où l'autobiographie de l'auteur ne se dissimule pas totalement sous le récit romanesque, à moins qu'il ne faille prendre les choses à l'envers, et dans tous les cas en se méfiant raisonnablement de ce que l'on nous dit.



Il était bien temps que je lise Confession d'un masque. Mais j'ai supposé que c'était peut-être aussi le bon moment pour lire un fameux petit ouvrage consacré à l'auteur, et oeuvre d'une prestigieuse consoeur française : Mishima ou la vision du vide, de Marguerite Yourcenar – un essai paru initialement en 1980, soit dix ans après le suicide de Mishima, et qui en traite, forcément, mais sans oublier l'oeuvre derrière le fait-divers. Confession d'un masque, comme de juste, y joue un certain rôle – même si l'académicienne s'intéresse surtout ici à la tétralogie de « La Mer de la Fertilité ». C'est une lecture que je repoussais sans cesse – parce que j'avais le sentiment de ne pas avoir suffisamment lu Mishima (notamment ladite tétralogie, d'ailleurs), et, disons-le, parce que je n'avais rien lu de Yourcenar (les Nouvelles Orientales, c'est très récent pour moi…). Mais je me suis dit, à tort ou à raison, que ce serait le bon moment pour au moins une première lecture – dans l'idée d'y revenir peut-être plus tard, quand je connaîtrais mieux aussi bien Mishima que Yourcenar.



MISHIMA EN ACTEUR



Mais, tout d'abord, Confession d'un masque. Ce roman paraît donc en 1949 – et le jeune Mishima passe aussitôt du statut d'inconnu à celui de célébrité. Ce qui, au-delà des évidentes qualités proprement littéraires de ce volume, peut surprendre un tantinet : le thème en est passablement tabou, et l'époque... « compliquée » (le Japon vient de perdre la guerre et est encore occupé par les Américains). Ceci étant, le genre watakushi shôsetsu était semble-t-il porté sur les récits où les auteurs/narrateurs « avouaient » leurs « travers », ce qui va d'ailleurs bien avec l'idée d'une « confession ». En l'espèce, Mishima, via un narrateur parfois appelé Kochan, mais c'est un diminutif affectueux qui pouvait s'appliquer à son véritable nom, Mishima donc témoigne de son éveil à la sexualité, et plus exactement à l'homosexualité, teintée de fantasmes sadomasochistes (mais probablement masochistes avant tout), dans une société qui ne prise pas exactement ces tendances ; aussi, tout en faisant l'aveu de ses « mauvaises habitudes » (c'est-à-dire la masturbation), se sentait-il contraint de porter ce « masque » de « normalité » en société. Mais l'imposture ne pouvait probablement pas durer, ainsi que l'auteur/narrateur en témoigne, même à demi-mots, à la fin du roman ; pourtant, la question de l'homosexualité de Mishima demeurerait longtemps tabou...



Ici, je suis tenté de faire un rapprochement qui, peut-être, n'a pas lieu d'être, et ne fait que témoigner de ce que mes connaissances en matière de littérature japonaise sont bien trop parcellaires : l'année précédant la parution de Confession d'un masque, un autre grand roman japonais avait adopté un dispositif qui me paraît assez proche – La Déchéance d'un homme, de Dazai Osamu, un auteur presque systématiquement associé au « roman du moi ». Passons sur le fait que les deux auteurs se sont suicidés (pour Mishima, cela ne se produirait que 21 ans plus tard ; et quand on voit le nombre de grands écrivains japonais qui se sont suicidés au XXe siècle, de toute façon…), mais voici deux grands textes de la littérature nippone du XXe siècle, parus en l'espace d'une année, dans lesquels les auteurs, jeunes encore voire très jeunes, exposent leur propre vie, les indices ne manquent pas, mais surtout leurs penchants jugés (par d'autres, mais aussi par eux-mêmes) les plus « immoraux », avec ce qui relève peut-être parfois d'une forme de complaisance, mais confessent avant toute chose que la société dans laquelle ils vivaient leur imposait de porter un « masque » ; le terme même, sauf erreur, revient chez Dazai, quand il pose et justifie sa figure de bouffon. Les deux auteurs usent de ces sujets parfois limites pour en extraire la meilleure littérature, mais il y a assurément une part d'exhibitionnisme dans la démarche – peut-être ne faut-il pas cependant s'attarder trop longtemps sur ce terme méprisant, car l'exposition était en même temps sincère… Reste que le texte de Dazai constitue comme un préambule à sa mort, si celui de Mishima est davantage un préambule à une carrière – et à une vie ? Car, dans Confession d'un masque, on est tenté, le lecteur contemporain est tenté, de faire quelque chose qui était forcément impossible pour le lecteur japonais de 1949 : tirer des traits, dessiner des trajectoires, anticiper tout ce qui suivrait… et pour le coup jusqu'à la mort, oui. La figure du masque, soit du personnage, à vrai dire, n'en acquiert que davantage d'importance.



Le roman de Mishima s'ouvre sur des tableaux saisissants d'une enfance remémorée au prisme de fantasmes divers, généralement liés, d'abord à l'art, plus tard à la littérature. Il est intéressant, à ce propos, de constater combien les références avancées par l'auteur sont généralement européennes, bien plus fréquemment en tout cas que japonaises. Quoi qu'il en soit, dans ces pages vibrantes et d'une élégance chargée de perversité, l'auteur se livre à une auto-analyse exhaustive, traquant dans les moindres souvenirs, probablement idéalisés, les sources de son être adulte – sources qui ne peuvent que témoigner de ses « mauvais penchants ». Nous voyons ainsi le petit Kochan, élevé par sa grand-mère assez « spéciale », s'enthousiasmer pour de beaux chevaliers – un, tout particulièrement, dont les traits androgynes l'émeuvent, bien avant qu'ils soient en mesure d'exciter ses hormones, jusqu'à l'instant fatidique où la vérité lui apparaît : c'est en fait le portrait d'une femme, une certaine Jeanne d'Arc… et le charme est rompu. Mais les chevaliers peuvent avoir d'autres atouts aux yeux du petit Kochan – tout particulièrement celui qui, combattant un dragon, subit mille douleurs et mille morts : Kochan, ou plus exactement son être adulte se repenchant sur son enfance de sorte à la rendre plus romanesque (un masque parmi tant d'autres), perçoit bien que ce sont ces souffrances qui lui plaisent – et quand le conte s'autorise la fantaisie de ressusciter le héros et de lui donner l'occasion de vaincre, le petit lecteur se sent floué : il relit sans cesse l'histoire, mais en n'en conservant que les passages de souffrance et de mort – c'est le reste qu'il censure, en masquant les mots malheureusement positifs de sa petite main d'enfant.



L'éveil à la sexualité, bientôt, changera la donne – ou, non, l'éclaircira, au fil d'un récit qui se déroule comme naturellement de causes en conséquences. le passage, très célèbre, et tellement fort, vaut bien d'être cité (pp. 42-45) :



Je commençai par tourner une page vers la fin du volume. Soudain apparut, à l'angle de la page suivante, une image dont je ne pus m'empêcher de croire qu'elle était là pour moi, à m'attendre.

C'était une reproduction du Saint Sébastien de Guido Reni, qui fait partie des collections du Palazzo Rosso, à Gênes.

Le tronc noir et légèrement oblique de l'arbre servant de poteau d'exécution se détachait sur un fond de forêt sombre et de ciel crépusculaire, ténébreux et lointain, dans le style de Titien. Un jeune homme d'une beauté remarquable était attaché nu au tronc d'arbre. Ses mains croisées étaient levées très haut et les courroies qui lui liaient les poignets étaient fixées à l'arbre. Aucun autre lien n'était visible et le seul vêtement qui couvrît la nudité du jeune homme était une grossière étoffe blanche nouée lâchement autour des reins.

Je crus deviner que le tableau représentait le martyre d'un chrétien. Mais comme il était l'oeuvre d'un peintre épris de beauté, appartenant à l'école éclectique issue de la Renaissance, même cette image de la mort d'un saint chrétien dégageait une forte odeur de paganisme. le corps du jeune homme – on aurait pu le comparer à celui d'Antinoüs, le bien-aimé d'Hadrien, dont la beauté a été si souvent immortalisée par la sculpture – ne montre aucune trace des épreuves du missionnaire ou de la décrépitude qu'on trouve dans les représentations d'autres saints ; au contraire, il n'y a là rien d'autre que le printemps de la jeunesse, rien que lumière, beauté et plaisir.

Son incomparable nudité blanche rayonne sur un fond de crépuscule. Ses bras musclés, les bras d'un garde prétorien accoutumé à bander l'arc et à manier l'épée, sont levés selon un angle gracieux et ses poignets liés sont croisés juste au-dessus de sa tête. Son visage est légèrement tourné vers le ciel et ses yeux grands ouverts contemplent avec une profonde sérénité la gloire céleste. Ce n'est pas la souffrance qui erre sur sa poitrine tendue, son ventre rigide, ses hanches légèrement torses, mais une lueur d'un mélancolique plaisir, pareil à la musique. N'étaient les flèches aux traits profondément enfoncés dans son aisselle gauche et son côté droit, il ressemblerait plutôt à un athlète romain se reposant, appuyé contre un arbre sombre, dans un jardin.

Les flèches ont mordu dans la jeune chair ferme et parfumée et vont consumer son corps au plus profond, par les flammes de la souffrance et de l'extase suprêmes. Mais il n'y a ni sang répandu, ni même cette multitude de flèches qu'on voit sur d'autres représentations du martyre de saint Sébastien. Deux flèches seulement projettent leur ombre tranquille et gracieuse sur la douceur de sa peau, comme l'ombre d'un arbuste tombant sur un escalier de marbre.

Mais c'est plus tard que toutes ces interprétations et ces observations me vinrent à l'esprit.

Ce jour-là, à l'instant même où je jetai les yeux sur cette image, tout mon être se mit à trembler d'une joie païenne. Mon sang bouillonnait, mes reins se gonflaient comme sous l'effet de la colère. La partie monstrueuse de ma personne qui était prête à éclater attendait que j'en fisse usage, avec une ardeur jusqu'alors inconnue, me reprochant mon ignorance, haletante d'indignation. Mes mains, tout à fait inconsciemment, commencèrent un geste qu'on ne leur avait jamais enseigné. Je sentis un je ne sais quoi secret et radieux bondir rapidement à l'attaque, venu d'au-dedans de moi. Soudain la chose jaillit, apportant un enivrement aveuglant.

Un moment s'écoula, puis, en proie à des sentiments de profonde tristesse, je portai mes regards autour du pupitre devant lequel j'étais assis. Un érable, en face de la fenêtre, jetait alentour un reflet brillant – sur la bouteille d'encre, sur mes livres de classe et mes cahiers, sur le dictionnaire et sur l'image de saint Sébastien. Il y avait un peu partout des taches d'un blanc de nuage – sur le titre imprimé en lettres d'or d'un manuel, sur le flanc de la bouteille d'encre, sur un angle du dictionnaire. Certains objets laissaient échapper des gouttes molles, comme du plomb, d'autres luisaient d'un reflet terne, comme les yeux d'un poisson mort. Par bonheur, un mouvement réflexe de ma main pour protéger l'image avait empêché que le livre ne fût souillé.

Ce fut ma première éjaculation. Ce fut aussi le début, maladroit et nullement prémédité, de mes « mauvaises habitudes ».



Cette épiphanie, car l'excitant martyre lui confère d'emblée quelque chose de sacré (et, à nos yeux de lecteurs, on y voit l'origine de ce qui est peut-être la plus célèbre photographie de Mishima), cette révélation, donc, n'est peut-être pas immédiatement vécue comme telle – notamment parce que, dans la société japonaise des années 1930 plus encore qu'aujourd'hui, outre que les « mauvaises habitudes » suscitent invraisemblablement la suspicion voire la colère, comme elles le font étrangement toujours, dans cette société, donc, les inclinations de Kochan sont inavouables. le collège, le lycée, sont des manufactures de normalité – bien hypocrites cependant : les jeux des garçons sont comme de juste imprégnés d'un érotisme, et parfois (souvent) d'un homoérotisme à peine dissimulé, qu'il serait vain de nier. Et puis, bien sûr, il y a ces figures qui excitent les fantasmes : Omi, le voyou, plus âgé que les autres, dur, beau. J'ai envie de relever combien les amitiés et attirances scolaires, dans La Déchéance d'un homme et dans Confession d'un masque, peuvent se reprendre, se refléter, ou se répondre, parfois se contredire, mais, je crois dans un même mouvement. de manière plus assurée, il apparaît que Kochan/Mishima conservera toujours une attirance pour les voyous, les brutes, dont la fin du roman témoigne, comme l'arrivée au terme d'une démonstration mathématique pas si compliquée en fin de compte. Cette fascination pour le corps masculin, peut-être héritée de la statuaire ou de la peinture, trouvera enfin à s'incarner dans l'investissement maniaque de Mishima dans le culturisme : honteux de son corps frêle, celui de Kochan, celui qui s'est fait réformer pendant la guerre, il entendra se sculpter, se parfaire – comme un livre, comme une mort.



Mais il y a un entre-deux – qui peut étonner. de fait, Confession d'un masque progresse initialement comme le récit de la découverte par Kochan de son homosexualité, d'abord dans les livres, puis au collège et au lycée – sans pour autant nouer de véritables relations charnelles. Mais le propos, au-delà, n'est finalement pas celui de l'acceptation de son homosexualité, pas du moins avant les tout derniers paragraphes, et pas vraiment non plus celui des souffrances que l'impossibilité sociale de s'assumer ainsi susciterait : dans toute la seconde moitié du roman, c'est bien l'idée du « masque » qui domine – mais de manière justement dépassionnée. La quatrième de couverture parle d'un « récit torturé sur la frustration du désir » ; c'est pour partie vrai, et pourtant insuffisant, je pense – car le désir même frustré n'a pas forcément beaucoup de place dans ces pages. La tentative, même condamnée d'avance, de feindre la « normalité », notamment au travers d'une amourette sciemment plate car forcément vide avec une jeune femme du nom de Sonoko, donne bien davantage le sentiment d'une neutralité fade (si le style est tout sauf ça !), ni désir, ni véritable refoulement – une mauvaise pièce de théâtre, où les acteurs portent nécessairement des masques, et feignent des émotions qu'ils seraient bien en peine de ressentir… en pleine connaissance de cause.



Cet entre-deux, d'ailleurs, ne concerne pas que le désir sexuel – à moins qu'il ne faille y associer, et il faut probablement le faire, les fantasmes masochistes suscités dès l'enfance par ces contes revisités où le dragon triomphe du chevalier, et d'autres plus tardifs, comme ce festin cannibale aux accents sadiens, qui contamine les rêves inavouables de Kochan en pleine tourmente molle. D'une certaine manière, le Japon en guerre est comme une hyperbole de ces fantasmes – avec moins de grandiloquence, pourtant ? Car le jeune homme, guère investi dans ses études, ne vibre alors pour rien – son masque déteint sur absolument tout le reste, atténuant les contours jusqu'à les effacer. le Mishima de la fin des années 1960, qui dirige une société paramilitaire, et loue l'empereur à la moindre occasion, jusque devant ces étudiants gauchistes qui, ceci mis à part, lui paraissent comme des frères, est aux antipodes du Kochan des années de guerre, décrit par le Mishima de 1949. Indifférent à la guerre, tout de même trop heureux, malgré ses poses, d'y échapper en raison d'un début de tuberculose (qui lui fera honte plus tard), le jeune homme ignore les batailles perdues, et les bombardements et leurs drames, comme si ce grand suicide du Japon militariste et nationaliste n'était pas assez masochiste pour véritablement l'exciter ; je suis tenté, ici, d'établir un parallèle avec le Pavillon d'or. Et Kochan semble perpétuellement en attente – du mariage avec Sonoko, pourraient avancer certains, dont la principale intéressée ? Non : Kochan ne poussera pas la mascarade aussi loin. Il continuera d'attendre – et reprendra en fait la mascarade d'une manière plus mesquine encore, en s'accordant des rendez-vous volés avec une Sonoko mariée ; en dernier recours, c'est à ses côtés, dans cette atmosphère pesante de faux adultère, qu'il prendra finalement conscience de ce dont il a besoin – soit tout autre chose.



Le récit de Mishima est assurément d'une grande force – mais il est aussi surprenant, notamment en ce que la trame attendue d'une certaine manière est en définitive remisée de côté. La frustration du désir est bien là, mais relativement à l'arrière-plan, passé les chapitres de l'enfance et de l'adolescence (qu
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Torses musclés, éphébophilie, fascination pour la mort surtout si prématuré, réflexions sur la beauté. Tous se qui fascina Mishima tout le long de sa carrière est présent dans cette semi autobiographie ou il est impossible de faire le tri entre les éléments autobiographiques et les inventions de l'auteur.
C'est à mon avis l'un des rares ouvrages de Mishima qui à mal vieilli. Ce qui pouvais paraître innovent, insolent voire même scandaleux dans le Japon des années 1950 n'as quand même plus le même aspect transgressif pour un lecteur francophone des année 2010.
Pour quelqu'un qui souhaiterais découvrir l'oeuvre de Mishima Je ne pense qu'il faille commencer par ce livre, à moins d'avoir une même fascination pour les éléments précédemment cités se qui n'est pas mon cas.
Cela reste quand même un livre d'un auteur majeur de 20ème siècle.
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Voilà un des livres les plus étranges que j'ai pu lire de ma vie.

Pour commencer, il n'était pas du tout ce à quoi je m'attendais. La quatrième de couverture m'avait fait pensé à un roman autobiographique sur le parcours d'acceptation de l'homosexualité.

Bon en fait, non. C'est la jeunesse d'un homme qui se sent différent et qui ne comprend pas toujours. La plupart du temps il pense que ce qu'il ressent vis à vis du monde est normal. Il voit bien des différences alors les autres gens mais il pense que c'est essentiellement physique. 

Ce n'est pas exactement l'univers que j'aime lire pour ce qui est du Japon, il n'y avait que le "côté obscur" et celui était quand même assez trash parfois. Concrètement, ce livre parle d'un homosexuel mais assez déviant. Les images qu'il utilise pour ses "mauvaises habitudes" (#branlette) sont gores, sanglantes et pleine de mort. Pas très réjouissant donc. 

Le côté psychologique était pas spécialement très approfondi alors que la lecture nous emmène en plein dans le vice d'un seul homme. Qui est plus ou moins isolé sans trop se sentir seul. Ce roman m'a laissé un goût d'inachevé, j'aurais aimé savoir ce qui se passe après le fait qu'il se rende compte qu'il est gay. Pas juste le fait de prendre conscience. 

Puis quand on s'intéresse à la vie de l'auteur, on se rend compte que c'était pas toujours tout rose et que le roman autobiographique que j'avais entre les mains n'était que le début des problèmes... 

En somme c'était une lecture assez longue pour peu de détails, qui m'a pas vraiment plus. 
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C'est mon second livre de cet auteur et il a l'air d'avoir un passé torturé, même si c'est un roman, il est clairement autobiographique.
Cette vie romancée m'a bien intéressée car elle montre une partie du Japon que je ne connaissais pas, celle de l'autre côté du miroir, celle que ne perçoit le regard d'un étranger.
L'époque doit également jouer sur ce qu'a vécu l'auteur, sur son homosexualité dans les années 1930-40, même sans être dans son cas cela fait relativiser sur le masque que beaucoup portent en société, pour s'y conformer ou à l'inverse pour sortir de la masse.
Un brin philosophique, un bouquet de sentiments.
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J'ai presque honte de moi et de ce que je vais écrire : je n'ai pas aimé ce roman...
Le narrateur est antipathique. Il passe son temps à se plaindre de sa "différence" et à pleurer sur son sort, mais ne fait rien non plus pour s'assumer (même si s'assumer en tant qu'homosexuel, en 1945 et au Japon, ne devait pas être évident). Et puis, au lieu de se trouver "anormal" parce qu'il est attiré par les autres hommes, il devrait plutôt se préoccuper de ses tendances morbides et de sa fascination pour le sang, les mutilations, les blessures et la mort (ce problème-là est bien plus sérieux que son homosexualité).
De plus, les très longues et très répétitives introspections ont un peu gâché mon plaisir de lecture.
Je reconnais que la plume de Mishima est magnifique : poétique et délicate, toute en nuances. Ce qui renforce encore ma déception de ne pas avoir "accroché" à ce roman.
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