Un ouvrage d'utilité publique, surtout si vous êtes de ces personnes qui ont une confiance absolue et naïve dans le pouvoir de l'argumentaire. Car face à certaines personnalités, qui fonctionnent diamétralement autrement, l'échange peut facilement tourner à l'aigre. L'auteur commence par rappeler la "double malédiction de l'incompétence" abordée dans les sciences de l'éducation : ne pas savoir est une chose, mais ne pas savoir qu'on ne sait pas, là est souvent l'écueil... Les adeptes de la dialectique et de l'analyse restent ainsi souvent pantois face à la répartie redoutable de ceux qu'ils considèrent comme des ignorants (qu'ils soient d'ailleurs de bonne volonté ou de mauvaise foi, c'est un peu comme le bon et le mauvais chasseur pour les connaisseurs).
Car les outils communicationnels utilisés par ces derniers ne se fondent pas sur le raisonnement, il s'agit plutôt pour eux, lors d'échanges conflictuels, d'effectuer une sorte de performance. Cette prestation scénique, sorte de danse qu'ils maitrisent et dont ils savent qu'elle placera certains locuteurs en état de sidération, est dénuée pour eux d'affect, incarnant simplement leur mode de communication privilégié.
Il est donc important pour l'avenir de la démocratie de mieux comprendre ces deux système qui coexistent et s'entrechoquent souvent. L'auteur l'illustre très justement avec les analyses des débats successifs entre
Hillary Clinton et
Donald Trump (maître de l'art de l'ignorance s'il en est), particulièrement édifiants : la première s'estimant plus légitime, ayant une connaissance aiguë des dossiers et une analysé plus aboutie des situations et problématiques et pourtant, se retrouvant régulièrement mise en difficulté par quelques formules vides ou gestes outranciers.
Ce choc des modes communicationnels, dont ces exemples sont désormais considérés comme "cas d'école", doit être pris en compte par ceux qui doivent échanger avec de tels interlocuteurs. L'on considère ainsi qu'il existe deux systèmes communicationnels, l'un horizontal et l'autre vertical. Chaque humain utilise de manière privilégié l'un ou l'autre, mais nous sommes en théorie tous aptes à manier les deux, ou du moins à décrypter celui de l'autre. Alors que les personnes horizontales axent l'essentiel sur le contenu et l'équilibre, celles qui utilisent le mode vertical sont plus réceptives aux messages de pouvoir et de rang, en particulier non verbaux,et aux stratégie de territoire. Lorsque deux personnes échangent sur des modes différents, c'est un peu comme si elles parlaient deux langues étrangères l'une à l'autre. Aucun jugement de valeur n'entre alors en compte, c'est juste le mode de communication qui diffère et ne permet pas un échange productif.
L'auteur détaille ainsi les trois niveaux d'escalade constatés lors d'échange verbaux "conflictuels". le high talk, qui se fonde sur l'argumentaire et l'échange "diplomatique", le basic talk, dans lequel on passe à une expression presque lapidaire, en répétant simplement si besoin le message réduit à son strict minium ou en recourant à des "formules toutes faites", puis le move talk, qui s'appuie sur le langage corporel et les jeux de scène pour assoir son rang et faire valoir sa supériorité. de fait les adeptes d'une communication horizontale utilisent de façon privilégiée le premier échelon, mais sont déroutés lorsque leurs interlocuteurs "verticaux" recourent aux deux autres, qui sont pour eux le mode communicationnel le plus adapté et pertinent. Pour parvenir à s'entendre et à s'écouter il s'agit donc de recourir alternativement à ces trois modes, en fonction de celui utilisé par le locuteur, qui lui fera tout pour éviter le premier niveau, surtout lorsque la conversation porte sur un domaine d'incompétence manifeste pour lui.
L'auteur donne quelques astuces pour parvenir à alterner ces systèmes linguistiques différents. Comme toujours c'est une question d'entrainement et d'évaluation du niveau de l'échange ; pour les personnes "horizontales", se préparer au pire et le mettre en scène en amont avec d'autres permet de pratiquer et d'affuter ses répliques ou son jeu. Lorsque l'on est décontenancé par les propos d'un interlocuteur "vertical", il est également conseillé de laisser un silence, de passer en move talk le temps de se reprendre, puis de réduire ses phrases au stricte minimum en ralentissant son débit de parole, de répéter ces formules simplistes voire toutes faites plusieurs fois si nécessaire, le tout avec aplomb. Passer en mode "maître Yoda" en somme, cela permet en plus de dédramatiser la situation et son propre désarroi.
Peter Modler termine cet ouvrage édifiant avec une sélection de quelques formules impersonnelles à utiliser en cas de "légitime défense", comme "l'avenir nous le dira", "sans commentaire". Il donne quelques astuces pour désarçonner les menteurs pathologiques, en posant quelques questions sournoises et liste les dix règles d'or qui vous permettrons de survivre à toutes les situations.