" En somme, pour Simenon, chercher à énoncer quelque chose d'essentiel sur l'homme et peindre l'homme avec de plus en plus de vérité, c'est la même chose. L'art et la vie se confondent. Il n'y a, en fin de compte, qu'un problème : écouter (non pas inventer) les mots vivants, ceux qui, spontanément, font être des personnages que la réflexion ne peut plus atteindre. Leur vérité psychologique n'est plus que la vérité du style de l'écrivain. "
Thomas Narcejac, "Le point omega" -- in "Simenon" de Francis Lacassin et Gilbert Sigaux, Plon, 1973 (reproduit dans le hors-série "Le Monde" n° 23, septembre 2014 - Une vie, une oeuvre : "Georges Simenon -- Le patron", page 100)
" Le secret de Simenon ? Avoir su tôt quelles étaient ses limites puis avoir eu la folle sagesse de savoir jusqu'où les dépasser. Non en "écrivain", et encore moins en homme de lettres, mais exclusivement en romancier.
Il a le génie de nous faire accéder directement à l'universel sans jamais nous interpeller. Pas de gras dans son oeuvre. On est à l'os tout de suite. De quoi s'agit-il ? De mensonge, d'humiliation, de trahison, de culpabilité, d'amour, d'envie, de jalousie, de honte... Mais à sa manière, plutôt noire, avec des perspectives sombres où la rédemption n'existe pas. Ses histoires sont souterrainement organisées comme des tragédies grecques : crise, passé, drame, dénouement ; les plans de ses villes épousent inconsciemment la topographie de sa Liège natale : l'école, l'église, le bistro... ; ses personnages sont saisis dans leur ultime vérité au moment précis où ils vont aller jusqu'au bout d'eux-mêmes. C'est avec ses moyens réduits à l'essentiel (sujet, verbe, complément) et ce qu'il appelait des "mots-matière" (...) qu'il a accompli le tour de force d'expliquer à des dizaines de millions d'hommes et de femmes à travers le monde, ce qui leur arrivait mieux qu'ils n'auraient su le faire. "
Pierre Assouline "La littérature à l'os" -- introduction du hors-série "Le Monde" n° 23, septembre 2014 - Une vie, une oeuvre : "Georges Simenon -- Le patron", page 3)