Je ne sais si vous êtes comme moi, mais je me demande souvent à la lecture d'un livre, pourquoi il a été écrit, de quel point de départ, de quelle résonance. Je crois que les livres sont une forme de thérapie, voire d'exorcisme, à la fois pour le lecteur et pour l'auteur d'ailleurs.
Quoique pour l'auteur, pas sûr que l'écriture guérisse toujours, parfois elle ravive des plaies mal cicatrisées.
Ici,
Rosa Montero nous dévoile dès les premières lignes les circonstances qui l'ont amené à écrire ce livre. Elle a perdu l'être cher, l'être avec qui elle partageait sa vie depuis une dizaine d'années. Fracassée, dans sa vie, mais aussi dans son écriture, elle était devant une page blanche et semblait ne devoir jamais retrouver l'inspiration, pire même l'envie.
Je crois que pour écrire, il faut l'envie de partager, de soulager, de poursuivre le chemin.
Rosa Montéro n'avait plus ces envies, n'avait plus la curiosité, celle qui vous fait aller au bout d'une page pour ressentir encore et encore le petit pincement, la petite angoisse, qu'y a-t-il à la page suivante ?
Son éditrice - je crois qu'il n'y a pas de bons auteurs sans bons éditeurs - lui fait alors passer le journal qu'écrivit
Marie Curie peu après la mort de son mari, une mort atroce dans la plénitude et la force de sa vie encore jeune (il est mort le crâne broyé par la roue d'une voiture à cheval). Un journal intime de quelque 20 ou 30 pages. Elle sent que Rosa qui pourrait n'écrire qu'une préface pour ce journal intime, y trouvera bien plus, peut-être même une façon d'écrire sur sa propre expérience.
Alors, comme le dit Rosa, « L'idée ridicule de ne plus jamais te voir » n'est pas un livre sur la mort ou sur le deuil, ce n'est pas une biographie de
Marie Curie, bien qu'il y ait un peu des deux, non, c'est plutôt un roman sur des destins croisés, une réflexion sur nos vies.
Elle retrace pas à pas l'histoire de
Marie Curie – histoire que je ne connaissais pas - née Polonaise à un moment où la Pologne n'existe plus (comme souvent les siècles derniers, la Pologne était Russe) dont la maman est morte. Manya Skłodowska (qui ne s'appelle pas encore
Marie Curie) est une femme admirable, géniale et courageuse, mais une femme dans un pays qui n'existe pas, dans un temps où les femmes n'existent pas.
Prétexte, le journal intime de
Marie Curie, sa lecture par Rosa, nous portent à la réflexion sur la difficulté d'être femme, sur ce que signifie d'être une scientifique de génie (deux prix Nobel dans deux catégories différentes, quand même! Cas quasi unique dans l'histoire!) dans un temps où seuls les hommes peuvent être "de talent".
Marie Curie y est parvenue, souvent au prix de la négation de sa féminité, de sa beauté, en s'interdisant toute frivolité.
Au-delà du cas de
Marie Curie, Rosa nous donne à réfléchir à toutes ces femmes qui ont ouvert les portes de notre société masculine et machiste.
L'évocation des destins croisés de ces deux femmes, est prétexte à de belles pages, parfois très drôles (la légende de la papesse Jeanne vaut son pesant de cacahuètes!) parfois émouvantes.
Retour à l'écriture pour Rosa, qui reste pudique sur la mort de son Paco, sur l'idée ridicule de ne plus jamais le revoir, consciente que « …la littérature, ou l'art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s'applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu'on parviendra à jeter à l'intérieur un coup d'oeil rapide comme l'éclair. Ce flash illumine les ténèbres, mais de manière si brève qu'il n'y a qu'une intuition, pas une vision. En outre, plus vous vous approchez de l'essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve au coin des mots. le plus important des bons romans s'amasse dans les ellipses, dans l'air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases. C'est pour ça, que je crois, que je ne peux rien dire de plus sur Pablo: sa place est au centre du silence.»
Il faudrait parler du style de
Rosa Montero, je n'en ai pas le talent, alors tout ce que je peux en dire c'est que le livre n'a été écrit que pour moi, aucun doute là-dessus.
Il est peut-être aussi écrit pour vous.