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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Si le Zarathoustra de Nietzsche vous parut être un homme admirable, vous découvrirez Par-delà le bien et le mal comme la source théorique de l'application de sa ligne de conduite.


Zarathoustra, on s'en souvient, vivait loin des hommes, retiré dans la montagne, au milieu d'une nature indocile et souvent peu confortable mais qui savait par ailleurs procurer l'extase de la puissance et qui permettait à la force vitale du presque-surhomme de se délier avec panache. Cette vie solitaire (qui n'est pas solitude) aura permis à Zarathoustra de prendre du recul sur les jugements émis par les hommes depuis des millénaires, et qui continuent encore à circuler aujourd'hui alors que la réflexion devrait conduire à cette évidence absolue : ils ne contribuent pas à élever l'homme et lui font perdre l'équilibre lorsqu'il s'essaie à avancer sur la « corde tendue entre l'animal et le Surhomme », la « corde tendue au-dessus d'un abîme ». Encore un bouquin de misanthrope ? Pas vraiment puisque Nietzsche mena une vie très mondaine, au moins jusqu'à ses quarante ans, fréquentant les meilleurs salons de Bâle. La philosophie de Nietzsche n'est donc pas une pure oeuvre spéculative. Elle résulte d'une expérience réelle de la vie sociale, dans ce qu'elle a de pire et de meilleur, nourrie ensuite d'une solitude brusque et forcée qui, dans le contraste, permit certainement à Nietzsche d'élaborer les réflexions qu'on lui connaît.


L'affrontement des forces majeures du Bien et du Mal n'existe pas de manière absolue, et c'est peut-être bien leur avantage. Elles se dispersent sournoisement et il s'agit de les traquer avec attention, ce que fait Nietzsche en s'aventurant dans les domaines des valeurs, des vérités et du pouvoir. Ici, on les appelle péché ou vertu, honte ou pudeur, crime ou charité ; ailleurs on les appelle ignorance ou savoir ; là on les appelle obéissance ou autorité. Mais qui a défini ces normes ? Quelles ont été les motivations de ceux qui les ont choisies ? Avant de cheminer Par-delà le bien et le mal, Nietzsche remonte à leurs sources et voit la dualité émerger avant même la naissance du christianisme, lorsque la morale des esclaves exigeait des conditions de vie plus douces, ralentissant ainsi le développement des hommes puissants –ce qu'on appellerait aujourd'hui « nivellement par le bas » ? Plus de pitié, plus de compassion ; Nietzsche avait pourtant essayé d'en faire preuve après avoir lu les exhortations encourageantes du Monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer, et il avait misé sur l'aptitude de l' « art total » pour y parvenir –mais cette volonté se solda par un échec retentissant lors du Festival de Bayreuth. Nietzsche y perdit toute sa confiance, beaucoup de force, et le goût de vivre lui vint presque à disparaître. Est-il vraiment audacieux de détruire la force vitale des derniers hommes puissants (mais toutefois pas assez pour résister à la contagion néfaste des autres), de les sacrifier dans la tentative de sauver des hommes faibles que rien ne semble pouvoir élever ?


« Plus un homme représente un type d'espèce supérieur, plus ses chances de réussite deviennent minimes : le hasard, la loi du non-sens dans l'économie humaine, apparaît le plus terrible dans les ravages qu'il exerce sur les hommes supérieurs, dont les conditions vitales subtiles et multiples sont difficiles à évaluer. »


Peut-être, en réalité, Nietzsche n'est-il pas si puissant qu'il veut bien le faire croire, et sans doute porte-t-il à bout des réflexions pour tenter malgré tout de s'en convaincre. Pour ma part, peu m'importe que Nietzche soit ou non le prototype le plus avancé du Surhomme. Il s'est peut-être laissé abattre par sa déception, mais il a su la surmonter seul, il a su la magnifier par ses réflexions, sans ne jamais perdre la sensibilité qui fut pourtant cause de son malheur. Et c'est parce que son oeuvre reste toujours sensible, profondément personnelle et authentique, qu'elle charme d'emblée. Pourtant, Nietzsche ne veut embobiner aucun lecteur, qui précise, avec son humour caractéristique : « Mais il ne faut pas avoir trop raison, si l'on veut avoir les rieurs de son côté ; un petit soupçon de tort peut être un indice de bon goût ». Ainsi, à mi-chemin entre le système et l'aphorisme, Nietzsche sépare son livre en chapitres distincts, composé de réflexions plus ou moins longues qui pourront former dans un cas des chapitres, dans l'autre des maximes, passant par le spectre de toutes les formes intermédiaires et s'essayant même à la poésie.


Par-delà le bien et le mal est un livre gai et chantant qui ressemble à un hymne pour la liberté. L'immoralisme de Nietzsche n'est pas une absence de règles ni de lois, comme ce serait le cas dans un système anarchique –c'est un moralisme personnel, fondé sur la certitude que, les cieux étant désormais vides de tout Dieu, il faut les repeupler par soi-même. Nietzsche dépasse son inspirateur Schopenhauer, ce pessimiste qui ne proposait aucune solution, en exhortant l'homme à rechercher en lui ses propres valeurs et ses sincères aspirations. Il rejoint parfois Spinoza en faisant de la recherche un moteur essentiel du développement de l'humanité et un réconfort contre les bassesses de l'existence, mais il se montre moins extrême et plus sceptique lorsqu'il prévient déjà l'orgueil de ceux qui croiront avoir trouvé LA vérité alors qu'il ne s'agirait en fait que de LEUR vérité, ajoutant à l'Ethique spinoziste la souplesse qui lui manquait peut-être. Enfin, Nietzsche se fait précurseur de l'existentialisme sartrien lorsqu'il dénonce et moque l'hypocrisie des bonnes manières qui, non contentes de berner les autres, aliènent également celui qui en fait preuve par pure convention :


« Sa complaisance habituelle envers toute chose, tout évènement, l'hospitalité sereine et impartiale qu'il met à accueillir tout ce qui l'attaque, sa bienveillante indifférence, sa dangereuse insouciance du oui et du non, hélas ! toutes ces vertus, il a souvent à s'en repentir et, comme homme surtout, il devient trop aisément le caput mortuum de ces vertus. Réclame-t-on de lui de l'amour et de la haine –j'entends de l'amour et de la haine comme les comprennent Dieu, la femme et la bête-, il fera ce qui est dans son pouvoir et donnera ce qu'il peut. Mais on ne s'étonnera pas si ce n'est pas grand-chose, -s'il se montre justement ici faux, fragile, mou et incertain. »


Parce que la philosophie de Nietzsche semble plus légère, sensible et émotive que celle de la plupart des autres « philosophes », on lui a souvent reproché de n'avoir qu'un charme captieux. Ce serait là n'avoir pas réussi à surmonter cette certaine forme de moralité qui oppose la raison à l'émotion car –à bien y réfléchir- quel mal (ou quel bien) y a-t-il à se laisser persuader plutôt qu'à se laisser convaincre ?

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Par-delà le bien et le mal, qu'y a t-il ?
Par-delà le bien et le mal, c'est-à-dire la morale...
par-delà le bien et le mal, il y a le cerveau, comme une voûte céleste multicolore ;
par-delà le bien et le mal, il y a l'humain, trop humain ;
par-delà le bien et le mal, se trouvent l'esprit, le masque des pensées, la corruption, le jugement moral, l'immoralisme ;
par-delà le bien et le mal, se trouvent l'arrogance, la provocation ;
par-delà le bien et le mal, se cache la fameuse volonté de puissance, la vie ;
par-delà le bien et le mal, il y a les devineurs d'âme, et la psychologie.
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Friedrich Nietzsche, au style toujours compliqué ;
Friedrich Nietzsche, manquant toujours d'explicitations, devant être deviné à demi-mots ;
Friedrich Nietzsche, au risque d'être mal interprété ;
Friedrich Nietzsche, cachant, lui aussi, ses vérités dans des délires, des logorrhées, des trucs-bidons, des phrases énigmatiques ;
.
mais Friedrich Nietzsche fonçant tel le taureau, bousculant Aristote, Socrate, l'ironie De Voltaire, les Anglais, la mathématique de Spinoza, Leibniz, l'impératif du vieux Kant, le romantisme de Schumann, et même Jésus et l'invention de Dieu ;
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mais Friedrich Nietzsche fasciné par le génie de Platon, Empédocle, Héraclite, Shakespeare, le combat de Pascal, Delacroix, les psychologues français, l'Europe, Schopenhauer, Hegel, et surtout Wagner ;
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Friedrich Nietzsche analyse, au-delà de la morale, quelques concepts en 9 chapitres.
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Ce que je retiens de cet essai, après avoir lu Humain, trop humain, c'est la fragilité de l'homme, mais ça, on le savait..
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Je pense comme lui, quand il déclare que chaque philosophe détient SA vérité ;
je loue son effort pour tenter, avant Freud, de découvrir les secrets de l'âme ;
je compatis quand il se défoule sur l'Eglise, sa bête noire ;
j'aime bien quand il se définit ainsi :
nous autres, savants ;
nous autres, ermites ;
nous autres, Allemands ;
nous autres, mandarins...
J'aime aussi quand il apostrophe les lecteurs : "Mes amis..."
Je trouve bizarre, mais c'est la mode en 1885, sa classification des matières, plaçant la philosophie au-dessus des autres disciplines ;
Je trouve culottée sa façon de se positionner au-delà du bien et du mal : "nous, les immoralistes", comme avec une sorte de vertu, mais le bien et le mal, c'est issu de l'Eglise, qu'il ne peut pas saquer...
Enfin, au chapitre VIII, il analyse l'Europe, analyse que j'ai retrouvée dans Mein Kampf, sauf pour les Juifs.
Le dernier chapitre est consacré à l'âme, celle de l'homme de proie, avec la volonté de puissance, et, à l'opposé, l'âme d'esclave. Dans cette partie, pour comprendre, on peut remplacer plusieurs termes de Nietzsche par les trois instances que Freud conceptualisera 38 ans plus tard.
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Que m'apporte ce livre ?
J'ai d'abord la joie d'avoir été au bout.
Ensuite, je n'ai pas lu la biographie de l'auteur, mais je me pose la question : pourquoi avance-t-il masqué, ce qui nuit considérablement à la lecture et à l'interprétation ? L'Eglise est beaucoup moins redoutable qu'au XVIIè siècle.
Enfin, je me dis qu'il y a plein de bonnes idées, comme la morale en tant qu'illusion de vérité, la pluralité des morales, la naïveté de suivre la morale ecclésiastique, la peur des étoffes rouges, les cardinaux, l'analyse de la naissance d'une civilisation par sa barbarie "noble" et dure, sa décadence par sa démocratie amorphe et son socialisme, l'opposition : esprits libres vs troupeaux, la hiérarchie de Nietzsche : théologie < science < philosophie, etc...
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... et que c'est dommage qu'une fois de plus, les philosophes ne soient pas plus clairs et mieux diffusés :)


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(Traduction de Patrick Wotling). Lu pour la première fois il y a 2 ans.

Ce livre est avant tout infiniment riche et exigeant.

Le dernier ouvrage de la série le gai savoir - Ainsi parlait Zarathoustra - Par-delà le bien et le mal, est, de l'avis même de son auteur, un commentaire de Zarathoustra, qui choisi de dire ici le « non » là ou le précédent livre disait le « oui », et qui dresse un premier bilan de la recherche à laquelle il s'était jusqu' alors appliqué dans ses premières oeuvres.

Aph. 185 « Il ne m'est pas sympathique. » – Pourquoi ? –« Je ne suis pas à sa hauteur. » Un homme a-t-il jamais fait cette réponse ?

Nietzsche adopte ici un ton radical et explicite sa philosophie sous une forme extrêmement claire, qui contraste avec la prose fantaisiste de Zarathoustra. Les grands thèmes de sa philosophie y sont exposés : le refus d'une hiérarchie simpliste entre bien et mal, de la vérité philosophique vide de sens, auxquelles il tentera de substituer des valeurs nouvelles, adoptant comme présupposé que toute chose doit être considérée en fonction de la « volonté », c'est à dire en fonction de l'intention dissimulée de celui qui agit, qu'il ne désire pas s'avouer à lui-même en toute mauvaise foi.

On insistera donc ici plutôt sur la valeur de l'erreur (pour autant que celle-ci procède du moi profond) que sur la recherche de la vérité, sur l'étude de l'histoire naturelle de la morale plutôt que sur la recherche de ses fondements. La philosophie, la religion, la compassion et la pitié, l'égalité (et par là, la démocratie et le socialisme), l'utilitarisme, le nationalisme, une certaine catégorie d'art…autant de cibles pour Nietzsche qui ne manquera pas de rappeler pour chacune d'elles le manque de probité de ceux qui en sont les partisans, la mauvaise foi et la superficialité caractéristiques qui hantent les idéaux de tous bords. Face à cela, il appellera de ses voeux l'émergence de « sur-hommes », une aristocratie refusant l'hypocrisie de la morale, cultivant la probité et la distance avec les autres hommes dans des conflits permanents.

On trouvera également les indissociables rengaines sur les « castes » humaines, l' « élevage » de différents grands types d'esprits humains, le désir d'esclavage, les femmes considérées comme des bêtes sauvages et dissimulatrices… points de vue que l'on ne pourra pas séparer de sa philosophie, et qui encourent toujours le risque d'être soumis soit à de mauvaises interprétations, soit à des utilisations douteuses.

Aph. 40 « […] Tout esprit profond a besoin d'un masque : plus encore, un masque pousse continuellement autour de tout esprit profond, du fait de l'interprétation constamment fausse, à savoir plate de toute parole, de tout pas, de tout signe de vie émanant de lui.»

Dans la profondeur de sa pensée, nous retrouverons, ravis, le « masque », indispensable à tout esprit noble, les puits profonds, l'opposition de la règle et de l'exception, toute une théorie de la dissimulation dans le commerce des hommes qui fait le charme particulier de cette philosophie.

Il faut une fois de plus souligner la qualité de l'écriture, qui est très agréable comme dans le Gai Savoir, et la clarté des aphorismes. N'hésitez pas à vous lancer dans la lecture de ce philosophe, Il n'y a pas de difficulté majeure à entrer dans sa pensée, et vous pourrez constater qu'il ne fait pas vraiment partie de ceux qui usent de gants et manient la langue de bois pour fustiger l'hypocrisie des intellectuels, les institutions vides de sens, le laisser-aller et les démagogies de tous horizons… ! Attention toutefois : il ne faudra pas entamer sa découverte par cet ouvrage, mais débuter bien plutôt par le Gai savoir ou une de ses premières oeuvres, plus introductives. de plus, il faudra être patient, c'est évidement toujours le cas lorsque l'on aborde un auteur nouveau, mais cela est encore plus vrai pour Nietzsche, pour se glisser dans cette étrange philosophie, d'autant plus que nous avons affaire à un auteur facétieux qui aime parfois à se faire comprendre à demi-mot, et il sera de plus véritablement nécessaire d'effectuer un lent travail sur soi pour véritablement comprendre cette pensée. C'est peut être finalement dans cet effort nécessaire que réside l'intérêt profond de cette lecture, qui permet de faire un pas sur le chemin de la probité intellectuelle.

Par ailleurs, cette obligation pour le lecteur de devoir s'impliquer personnellement dans cette philosophie pour pouvoir la comprendre fait de Zarathoustra un socle indispensable à la lecture de ce livre, alors que celui-ci apparaît dans le même temps comme un commentaire du premier dans le sens où il explique pleinement à quoi s'oppose la philosophie du prophète.
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Pour avoir une bonne perception d'un texte de Nietzche il faut avoir les deux bouts : le texte et surtout ce qui se cache sous celui çi , et l'argumentation philosophique. Ainsi l'on parvient à voir le principe de la philosophie nietzchéenne. Nietzche a un culte profond pour la culture , axe capital de sa pensée, et cela se retrouve dans tout ces écrits . Il se met en quéte par le biais de la culture de la morale de la civilisation. Il établit clairement les deux axes : civilisation et morale et cherche les liens entre ceux çi . Pour lui l'origine de la morale vient des pulsions de l'humain. Il démontre que la morale cherche à cacher ce que l'homme ne souhaite pas que l'on découvre , se réfugiant ainsi dans une sorte de "couverture " qui ne laisse rien transparaitre de ce qui serait jugé mal ... Il démontre donc par là méme que la morale n'est pas innée , elle est une fabrication de l'esprit humain qui se protége avec elle . Voila ce qui pour lui est l'ouverture par ou l'humain se faufile pour que le mal en lui ne soit pas perçu et que le bien paraisse . Son oeuvre a toujours était une quéte de la vie , du Oui a tout , qui selon lui serait la seule maniére de pouvoir vivre réellement ... C'est complexe , mais passionnant si l'on prend le temps de le découvrir .
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On pourrait presque sous-titrer cette oeuvre "la philo amusante". Car malgré l'image tristounette que peut avoir Nietzsche, on découvre dans cette oeuvre beaucoup d'humour. Contrairement, aussi, aux idées communément reçue, c'est un ouvrage très facile d'accès : les textes sont courts et tout à fait compréhensibles. Voilà pour la forme.
Le fond quant à lui ne peut que (re)questionner le lecteur sur les notions de bien et de mal. Dit autrement : quelle valeur à la morale ?
Excellent ouvrage qui gagne à être lu.
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Nietzsche nous confiait : "Socrate, il faut l'avouer, m'est si proche que je me bats presque sans arrêt contre lui.".
Il pourrait en dire autant de Jésus l'autre grande figure auquel il s'opposait vivement.
Nietzsche est un auteur déroutant, difficile ... il semble se contredire à chaque page. Cette impression est très forte à la lecture de ce livre. Tout y est décousu, parfois les aphorismes arrivent en mode rafale par saccades.
Roger Pol Droit en parle admirablement : "on ne voit pas la même chose du haut de la colline et au fond de la vallée. Or Nietzsche ne cesse de changer de point de vue sur le même objet, ce qui n'est pas la même chose que de changer d'avis. Son avis devient autre parce qu'il dépend d'un lieu d'observation différent. Ce qui est directement lié à sa pratique assidue de la marche en montagne : les escarpements, les dénivelés modifient sans arrêt le panorama."
Ou encore : "je me suis rendu compte que Nietzsche ne propose pas une doctrine mais une façon de déplacer le regard. Lui-même n'a cessé, toute sa vie, de se libérer des carcans qui l'enfermaient : le christianisme, l'université, la métaphysique classique … En fait, il livre les moyens d'une libération, donne les clés pour se débarrasser du sérieux, de la pesanteur."

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Chaque livre de Nietzsche contient une myriade de choses à tel point subtiles et profondes qu'à chaque lecture, on y découvre des pensées qui nous avaient échappé ou des interprétations nouvelles. C'est un empire philosophique que l'on peut relire interminablement sans jamais vraiment se lasser.

Ici, Nietzsche se fait un peu spinoziste, en faisant abstraction du bien et du mal, cette interprétation fallacieuse et dogmatique qu'en fit la morale chrétienne car tout part de l'interprétation comme il le dit si bien dans un de ses fameux aphorismes : "Il n'existe pas de phénomènes moraux, mais seulement une interprétation morale des phénomènes".

Puis il s'attaque également à une armée de ces philosophes prédécesseurs tels que Kant, Descartes, Platon, Hume, Locke, même Spinoza en prend pour son grade... Ils s'attaque aussi à l'esprit allemand de son époque, à ce pangermanisme stupide qui donnera au XXème siècle ce que l'on sait. D'ailleurs, à ce sujet, il écrit : "Il serait peut-être utile et juste d'expulser du pays (l'Allemagne) les braillards antisémites".

Il me semble que "Par-delà bien et mal" est probablement le pendant, un peu décousu, certes, de "La généalogie de la morale".
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Ouvrons tout de suite par le titre. Nietzsche se place au delà des valeurs, de cette opposition manichéenne du bien opposé au mal. Il adresse aux philosophes le reproche suivant : leur stupide croyance en l'existence d'un bien ou d'un mal en soi. Il s'annonce donc, par opposition, en penseur d'un nouveau type : « l'esprit libre », capable de créer des valeurs nouvelles, tout à fait détachées de morale. Ce que l'on a nommé philosophie jusqu'à présent ne serait qu'un amoncellement de préjugés. C'est hautement paradoxal, quand on y songe. Un philosophe n'est-il pas, par définition, l'ennemi des préjugés ? En quoi Nietzsche suggère implicitement que les philosophes... ne sont pas des philosophes. Ces penseurs, ces chercheurs de vérité, qui ont recherché l'absolu, ont eu peur de la vie à tel point qu'ils n'ont pas voulu la considérer par delà le bien et le mal. Ils ont nié la vie.

La morale appauvrit la diversité des hommes, en les réduisant tous à deux qualificatifs : « bien » ou « mal ». Alors que l'homme est multiple de nature, est riche, empli de forces contradictoires. Ou, du moins, il devrait l'être. Voilà ce que serait l'homme détaché de morale, l'homme par delà le bien et le mal : un être de pulsions, de désirs, de domination. Seulement, cette catégorisation de l'homme sur ce seul critère mièvre (bon ou mauvais) flatte hautement le moraliste. Celui-ci, comme tout homme incapable d'objectivité et de lucidité, se choisit bien entendu pour modèle. Ne compare-t-on pas son prochain à soi ? Ne le juge-t-on pas par rapport à soi-même ? Évidemment si. On se croit naturellement bien plus valeureux que ce que l'on est, on aime à se rehausser, à s'imaginer être un modèle. Ainsi, nos actes sont forcément « le bien ». Et leur inverse ne peut point être une différence intéressante, une saine altérité, la preuve d'une enrichissante variété d'êtres. Non, la différence d'avec soi ne peut être que « le mal ». le moraliste trouvera légitime alors de penser que corriger l'autre, c'est le faire agir à sa manière. Seuls ceux qui agissent comme lui seront jugés « bons ». La société étant composée, dans sa grande majorité, d'êtres peu réfléchis, peu lucides ni objectifs, voilà comment nous arrivons à une homogénéité factice et terne non seulement, à une masse veule et grégaire, quand l'humanité devrait être une richesse de différences. Mais pire : c'est ainsi que l'homme stagne et jamais ne s'élève. Il prend pour modèle le bien moral, c'est à dire le commun, et s'efforce d'en suivre les lois et préceptes sans jamais n'interroger cette loi ni tenter de surpasser quiconque. Toute sa vie, il s'efforcera d'être le plus fidèle non pas à ce qu'il est intrinsèquement, mais à ce que son semblable attend de lui. Il ne fera de son existence qu'une stricte copie du commun et du piètre. Il est gouverné par les lois morales, et tous ses choix, tous ses actes, ne sont décidés qu'en fonction de cette crainte d'être différent, de ne point se conformer et d'être jugé « mauvais ». Il s'évertue donc à ne jamais se distinguer. Il ne peut se démarquer, faire montre d'une personnalité atypique, d'un élan de génie, d'un noble et sain orgueil, d'une belle et vive cruauté, d'un juste mépris. Il ne peut tout simplement et naturellement pas obéir à ses instincts. Il les refoule par automatisme, en sorte qu'il mourra sans jamais ne s'être rencontré lui-même. Il ne se connaît pas et ignore même qu'il pourrait devenir quelqu'un. Il est le commun, comme l'est son voisin, son frère, comme l'était son père. Il aura tout de même la prétention de se distinguer et de se croire différent, bien à tort : il aura peut-être gagné plus d'argent, épousé une plus belle femme, amassé plus de connaissances universitaires. N'importe : tout cela n'est qu'apparences et vêtements. L'homme nu, lui, est strictement le même qu'un autre. Il est tout le monde et il n'est personne.

Voilà en quoi la morale s'oppose à la vie. Elle tue la vie, elle étouffe l'instinct de vie et de vitalité qui constitue pourtant l'homme naturel. Les philosophes moralistes ont donc nié, renié la vie elle-même, quand le vrai philosophe doit nier la morale et donc dépasser le « bien » et le « mal » au profit de l'humanité, de la saine et naturelle humanité. Ceci est pour le titre.

La suite me fut un peu éreintante. J'ai été surprise de certaines positions de Nietzsche qui m'ont parues, pour la première fois depuis que je le lis, un peu confuses et paradoxales. Nietzsche remet en question, toujours en évoquant les « philosophes », la philosophie de la volonté. Il cherche à déceler ce que suppose le « libre-arbitre » et soulève un paradoxe. Si l'on a cherché, depuis que la philosophie existe, à considérer que l'homme était libre (de ses actes notamment), c'est pour mieux lui montrer comme il commet des « fautes », et donc comme il mérite d'être jugé et puni pour ces fautes, puisqu'elles étaient évitables par son libre-arbitre. L'affirmation selon laquelle l'homme est libre n'aurait, selon Nietzsche qu'une intention : la recherche de sa culpabilité. La conscience (morale) est cruelle et même contre-nature, ce que j'admets volontiers. La morale n'est pas raisonnable, et encore moins naturelle. Elle va à l'encontre de l'instinct, de la vitalité, de ce qui constitue l'homme. Elle étouffe l'Homme en l'homme. Cependant, de là à prétendre que la notion de libre-arbitre est en tort... il m'a fallu une longue gymnastique mentale pour pouvoir me le figurer comme Nietzsche l'entendait. En effet, si l'on admet que l'homme dispose de son libre-arbitre, qu'il a le choix entre faire le bien et le mal (seul choix proposé par la morale), on peut lui reprocher tout manquement moral (un acte d'égoïsme, par exemple). Pour Nietzsche, l'homme n'a pas de libre-arbitre. Il est dominé, dirigé, commandé par sa puissance et son instinct, par sa condition d'homme, par sa naissance. Ainsi, on ne peut le juger responsable d'actes jugés moralement inacceptables. Il s'est écouté, voilà tout. Comment aurait-il fait autrement que d'obéir à ses instincts ? Est-ce qu'on juge le lion de manger une gazelle ? Il a été l'homme naturel, non soumis aux lois morales. C'est qu'il faut comprendre que Nietzsche n'a pas la même définition de « libre-arbitre ». Il l'associe seulement au choix entre bien et mal, sur des critères dictés par la religion notamment.

Nietzsche est le philosophe qui refuse l'idée du libre-arbitre. Il y oppose la force vitale. La volonté n'est pas libre, elle est seulement forte ou faible. La liberté est une illusion causée par la religion. L'homme détaché de morale agit selon ses instincts, ses pulsions, ses réflexions propres, son jugement non biaisé.

« La névrose religieuse » serait à l'origine du libre-arbitre, et par extension de ce sentiment de mauvaise conscience qui rend l'homme malade alors qu'il n'a fait que suivre ses instincts. Voilà pour la névrose : l'homme se créer une maladie lui-même, dont il souffre sa vie durant. Il étouffe ce qui est grand en lui, et quand il ne l'étouffe pas, il en éprouve une grande culpabilité, qui est illégitime et évitable : il suffit de ne pas vouloir se conformer aux préceptes moraux pour n'éprouver aucune culpabilité, pour ne point se rendre malade, donc, et enfin s'épanouir en tant qu'Homme. Cependant, il ne se rend pas malade seul, on l'y aide. La notion de « péché », insidieusement rabâchée par les prêtres, constitue pour eux une forte manière de domination. La « niaiserie religieuse » introduit la culpabilité en l'homme, le tient fermement attaché. L'homme coupable doit alors racheter sa faute ... par la religion justement. C'est ainsi que les religieux fidélisent ce que l'on nomme à juste titre les fidèles.

Ce que l'on nomme les vertus, c'est à dire les qualités suggérées par la morale telles que l'altruisme, la bonté, la chasteté, ne sont que des dérèglements. Les vertus contrarient les instincts, dénaturent les hommes, empêchent leur puissance de s'exprimer.

Il faut donc, selon Nietzsche, que Dieu meurt, et une fois qu'il sera mort, réinventer une morale en rejetant ce dualisme bien/mal. La nouvelle morale - et j'ignore pourquoi Nietzsche a gardé ce mot, qu'à mon sens il aurait dû tout à fait exclure - doit rendre à l'homme tout son potentiel, quand la moralité chrétienne l'étouffe et le maintient dans un état de faiblesse et d'impuissance (la morale des esclaves).

Il y a quelques mois encore, j'aurais été d'accord avec Nietzsche sur ce point. Je l'aurais approuvé inconditionnellement. Seulement, j'ai lu depuis un texte très profond qui est allé bien au-delà. Nietzsche s'est trompé d'ennemi en citant Dieu. La mort de Dieu n'aurait rien changé. le Dieu chrétien est sans doute arrivé bien à propos, dans une société qui l'attendait pour excuser tous ses travers. Mais je m'arrête là. Cette idée n'est pas de moi, j'y adhère seulement, et le texte n'est point encore paru. Dommage. Cette idée est probablement tout à fait inédite et révolutionnaire.

J'ai été surprise de trouver dans cette oeuvre un début d'analyse du rôle de la femme, qui devrait rester très éloigné de celui de l'homme, et avant tout pour son bien. Selon Nietzsche, le combat pour l'égalité homme/femme conduit irrémédiablement la femme à l'esclavage elle aussi. C'est que Nietzsche poursuit sa réflexion au sujet de l'asservissement causé par le libre-arbitre. le femme lutterait pour devenir aussi libre que son époux, et donc aussi asservie qu'il l'est en fin de compte. Dominée avant par le seul mari, qu'elle peut malgré tout et assez facilement manipuler à sa guise, de par ses attributs, ses jeux de séduction, ses qualités presque naturelles de manipulation (et Nietzsche le dit sans affect ni vengeance. C'est à peine un défaut), elle le serait bien plus si on lui accordait son libre-arbitre : elle deviendrait soumise aux lois religieuses et morales au même titre que ce dernier, et elle en serait tout aussi écrasée de sotte culpabilité que l'est son mari. de même, la femme lutte pour avoir le droit de travailler, quand ce droit est avant tout, lui aussi, une domination, non plus de son mari mais d'entités bien plus écrasantes et avilissantes : de la société, du pouvoir, de l'argent. Par ailleurs, la femme lui apparaît comme dénaturée par ces combats futiles que sont les luttes pour l'égalité des sexes. Ainsi, Nietzsche trouve évidemment que la femme est stupide de réclamer une plus grande servitude que celle qui est la sienne. Ne vaut-il pas mieux n'être dirigée que par un seul sot que par une multitude ? Elle serait donc bien bête d'envier le sort de son époux, plus stupide et avili qu'elle ne l'est.

Par delà le bien et le mal est probablement l'une des oeuvresNietzsche fait le plus référence à la femme. Il enchaine en arguant que la femme est dénaturée par ses nouveaux combats. Contrairement à ce qu'il est logique de penser au sujet de Nietzsche, il ne dénigre pas entièrement la femme. Il la présente même comme le plus sacré des mystères, comme une énigme qu'aucun homme ne peut résoudre. de nature fragile, d'une distinction biologique indépassable - puisqu'elle porte l'enfant- la femme naturelle (c'est à dire non dénaturée par de stupides combats et des prétentions à devenir aussi sotte que ne l'est un homme) est un être qui nécessite et mérite une protection. Elle aurait tout à fait tort de ne point vouloir garder cette position. Cependant, il ne reconnaît à cette femme aucun rôle intellectuel évidemment, hormis celui de compléter son mari. Une bonne alliance serait donc l'alliance entre un homme brillant et une femme favorisant son génie, en l'aidant à s'accomplir et au dépassement de l'humanité, ce qu'il nomme « trouver une profondeur à sa surface ». La femme idéale doit pouvoir pressentir la puissance de l'homme, même si elle ne la comprend pas, et l'aider à s'épanouir. « le bonheur de l'homme est : je veux ; le bonheur de la femme est : il veut ». Une femme doit avoir une première qualité, pour le bien commun : elle doit savoir élire. Et surtout une femme intelligente. Elle devra choisir un mari qui lui est supérieur, de sorte que leurs enfants, si elle les élève bien, seront un apport intellectuel qu'elle fera à la société tout entière.

J'entends déjà les bien-pensants hurler au scandale. Tant pis. Si je ne me sens pas le moins du monde inférieure intellectuellement à l'homme - et surtout pas à l'homme contemporain - j'admets que je préfère être l'assistante et la facilitatrice d'un génie que la féministe qui parvient par un savant calcul de parité. C'est dit. Je songe à Anais Nin qui a tenu ce rôle pour Miller, mais également à la première épouse de Steinbeck, femmes qui j'ai enviées et admirées mille fois, alors qu'aucune féministe n'a réussi à produire cet effet sur moi. Il ne s'agit pas là de renoncement, ni d'abnégation conne, mais d'une belle capacité à élire, à reconnaître le génie, il s'agit d'une capacité encore à admirer, à s'imprégner de ce qui est supérieur et à l'aider à s'épanouir. Par pour le bien-être de son compagnon mais pour le bien de l'humanité, ainsi que pour sa propre élévation. Comment s'élever plus haut et plus vite qu'en vivant à la droite de Dieu ? Il n'y a finalement pas de plus bel égoïsme que de vouloir être l'assistante d'un génie.

N'importe, Nietzsche n'était pas un goujat misogyne particulièrement. Il était misanthrope, voilà tout. Les hommes aussi sont, selon lui, limités et faibles, mais à d'autres niveaux. Voici pourquoi il n'entend pas que la femme envie leur position. Son oeuvre montre ainsi l'une des conditions nécessaires à la naissance du surhomme: deux parents sains, intègres, puissants. En quoi cette humanité renouvelée n'exclût pas du tout la femme. Elle y a son rôle à jouer. À la nuance près que Nietzsche ne parle de la femme que par rapport à l'homme. Il exclut d'emblée toute autonomie de pensée, tout rôle individuel. Peut-on seulement lui reprocher ? A-t-il connu ne serait-ce qu'une ou deux femmes admirables et autonomes ?

C'est tout logiquement que cette réflexion sur la femme le conduit à parler d'amour. Nietzsche se refuse à distinguer convoitise et amour. Il s'agit pour lui de la même pulsion. Et j'ai souri, vraiment, à lire son explication. L'homme marié considérera qu'on convoite sa femme. Il usera d'un terme péjoratif parce qu'il craindra pour son avoir, pour son trophée. Il s'estimera volé par avance si on ose aimer sa femme ! Et comme il n'est point admirable, il a besoin de ce qui le rassurerait quant à ses chances de la garder, il a besoin que l'autre ne soit qu'un voleur, un envieux, un méchant. En revanche, l'homme non marié qualifiera la même pensée d'amour, parce qu'insatisfait et assoiffé, il voudra forcément glorifier son appétit sous la forme du bien : amour. Cette réflexion amusante se vérifie tous les jours. N'est-ce pas touchant, Mesdames, que l'une de vos amies tombe amoureuse et parle élogieusement d'un homme ? Elle l'aime, n'est-ce pas ? C'est si beau ! Mais si la même amie parle en ces termes de votre mari, cela devient tout de suite inacceptable. C'est une envieuse, pour ne pas dire une salope, pas vrai ? N'est-ce pourtant pas le même sentiment éprouvé ?

L'amour est donc avant tout une possession, ou un désir de possession. Rien de plus. Tous les amours, d'ailleurs. L'amour du savoir n'est-il pas l'envie d'en accumuler plus, de posséder le savoir ? Appelons-nous un savant autrement que : Maître ? L'amour de la vérité est, lui, une aspiration à la nouveauté, sans cesse renouvelée. Nous avons possédé une vérité, l'avons faite nôtre. À présent qu'elle est acquise, nous nous en lassons (et c'est heureux !) et partons en quête d'une vérité encore plus grandiose et éloquente. On se sera donné du mal pour parvenir à cerner une vérité, pour mettre le doigt sur une idée neuve. Cela nous aura pris tout notre temps et notre énergie. Mais seule la quête compte. La possession de cette vérité la rétrécit. Elle ne suffit pas à combler le véritable chercheur de vérités. Il lui en faut chercher une autre. Il lui faut se métamorphoser avant de se lasser de lui-même.

Il en est de même pour les bienfaiteurs. L'homme compatissant au malheur d'autrui nomme aussi cela : amour. Alors qu'il ne saisit qu'une occasion de prendre possession du malheureux, qui sera toujours son obligé.

Tout amour est une possession. C'est généralement un prétexte pour dominer l'âme de l'autre. Et d'ailleurs, en ce sens, ce n'est pas péjoratif selon Nietzsche. Il suffit de sortir de la mièvrerie morale et galante pour exploiter l'amour en tant que force vitale. Etre l'élu d'une femme, c'est l'avoir conquise, et donc être un conquérant. C'est donc appauvrir et spolier tous les autres, c'est écraser ses concurrents par la possession de la femme. C'est être un redoutable prédateur, du moins pendant la chasse. Pourquoi avoir fait de la fidélité une loi morale ? C'est que le prédateur doute de ses talents à pouvoir garder sa proie bien longtemps. La loi morale rend légitime son long sommeil. Jamais plus il n'a ensuite à se battre, à rivaliser, à écraser ses adversaires. Jamais plus, une fois marié, il n'a à être un conquérant. C'est très pratique. Cependant, Nietzsche évoque quand même un amour idéal, suprême, magnifique, entre deux être, qu'il nomme amitié et qu'il avait parfaitement décrit dans le gai Savoir : « une soif supérieure et commune d'idéal qui les dépasse : mais qui connaît cet amour? Qui l'a vécu? Son véritable nom est : amitié ».

Cette chronique diffère un peu de ce que je propose d'habitude. Je ne la nomme d'ailleurs pas une « critique » ni même une note. J'aurais pu écrire : hommage. C'est qu'il faut une forte confiance en ses capacités intellectuelles pour « critiquer » Nietzsche. Moi, lorsque je le lis, lui et un ou deux autres seulement, je m'assoie et prends des notes, écrasée d'intelligence et humiliée presque de ne point avoir réfléchi suffisamment. Cependant, l'humiliation ne m'est jamais une importunité, bien au contraire. J'aime être écrasée. Je n'as
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C'est une étude et une dénonciation des valeurs morales de la civilisation. C'est aussi un rappel des anciennes façons de procéder, comme par exemple lorsqu'on jugeait un acte seulement selon ses conséquences. Ce qui a bien changé depuis longtemps.
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C'est un livre pour les adeptes de philosophie, de sociologie, mais aussi pour ceux qui ne sont pas figés sur leurs "valeurs" sans même savoir sur quelle base elles reposent. C'est un livre qui, au milieu d'autres ouvrages de l'auteur, propose autre chose.
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Bonne lecture...
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Belle découverte du texte de Nietzsche dans sa version livre-audio offerte par Babelio et l'éditeur (Thélème), via une opération masse critique (je remercie vivement les deux). Une fois n'est pas coutume, je ne parle donc pas ici du contenu, mais du contenant, atypique, qui porte et sert le texte avec précision. Une pochette simple, sans chichis, un CD, pour 2h55 de lecture offerte. Ça tombe bien, ma villégiature en campagne s'annonçait, juillet débarquant avec son soleil caniculaire.

Première expérience auditive pour moi depuis l'école maternelle. La voix du lecteur - Julien Allouf - est belle, posée, le ton clair, on boit les mots du philosophe à la moustache, avec facilité et enthousiasme. J'ai donc testé cette écoute sur la route des vacances, parfait accompagnement de circonstance. Attentif au moindre détail du pamphlet critiquant le dogmatisme des philosophes chrétiens et platoniciens, la route file à toute berzingue. On ne voit pas le temps passer, ni l'essence filer. Attention cependant, l'abus de Nietzsche sur le macadam peut entraîner de sérieuses pannes d'essence.

Je l'avoue, le concède volontiers, les aires de repos ont peut-être été quelque peu écourtées à l'occasion, afin de rejoindre le philosophe allemand, mais il faut me comprendre, on arrivait sur la partie originale dans laquelle Friedrich pousse à remettre de la créativité dans une pensée trop ancrée dans les croyances. Ça vous fait aisément sauter un pipi ou deux.

Idiotie de l'homme se fantasmant subitement éclairé, je me sentais bien plus apaisé au volant de mon véhicule, éloigné des bisbilles habituelles, concentré sur l'"esprit libre" que Nietzsche tentait de faire naître en moi (j'ai manqué d'expérimenter cette liberté en fraudant deux ou trois péages autoroutiers, en vain, ma liberté n'était pas placée dans le larcin).

Bref, ce que je cherche à démontrer ici, c'est l'absolue modernité du texte, ancré dans notre quotidien, résonnant aujourd'hui plus que jamais, universel et inventif. Il est certain que je vais me pencher plus régulièrement sur ce genre de propositions (le catalogue des éditions Thélème est très intéressant et fourni), parfaites pour s'instruire sur la route, relativiser la vie, au lieu de hurler sa bile au volant.
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