Sante Notarnicola ? Illustre inconnu pour moi. J'ai déjà du mal avec l'Histoire de France… pour l'Histoire italienne, je me suis arrêtée à
Malaparte…
Bref c'est une vraie « découverte » pour moi, intéressante et riche d'enseignements. Nous avons là une tranche d'Histoire entre 1950 et 1970 vue sous le prisme d'un « révolutionnaire » sans parti exact mais très apparenté au communisme et à l'ultra-extrême gauche radicalisée.
Le début de cette histoire ne se situe pas si loin de la fin de la guerre, à peine 5 ans ; autant dire que l'esprit de résistance face au fascisme et de solidarité des masses dites populaires (ouvrières surtout) est encore très vivace et le communisme a encore de beaux jours devant lui.
L'auteur est originaire de Tarente, une des régions les plus pauvres de l'Italie où le seul choix qui est offert à leurs habitants est le chômage et pour le Nord, l'usine (Fiat). Beaucoup émigrent donc de ce Mezzogiorno vers les grandes villes du nord : Turin, Gênes, Milan… avec l'espoir d'une vie meilleure ; surtout avoir de quoi manger tout simplement. Et la colère de Sante voyage avec lui.
C'est un activiste convaincu pour qui le Parti (le PCI) est vite trop « restrictif » pour cet esprit rebelle et combattant. Il poursuit donc une quête personnelle et solitaire qui selon lui doit logiquement passer par une lutte armée pour obtenir une justice sociale que les patrons ne reconnaitront ni n'accorderont jamais avec un dialogue pacifique. Il ne peut se contenter de négociations à multiples concessions où le seul perdant sera toujours le même, le prolétariat, les masses laborieuses.
Mais il faut de l'argent pour mener une révolution et pour s'en procurer il ne reculera devant rien mué par une rage inextinguible contre les bourgeois qui exploitent les prolétaires. Il devient avec quelques camarades, braqueur de banques pour nourrir son idéal. A l'échelon national ils seront connus sous le nom de « Banda Cavallero ». Ça l'amènera inéluctablement à la prison. Il découvre alors l'amertume de la trahison. En tant que « vulgaire » bandit, jugé « droit commun » il prend perpète.
Comme le souligne
Erri de Lucca dans sa préface, très intéressante pour la compréhension du contexte d' avant les désillusions, les échecs et l'effondrement de l'idéal communiste marqué par ses dérives et ses extrêmes.
Les luttes d'aujourd'hui ne s'exprime plus de la même manière même si l'esprit de solidarité reste. le contexte de sortie de guerre est très loin désormais. Les discours politique se sont diversifiés et ont perdus en crédibilité avec l'éclatement des gauches. Les dissensions ont divisé au lieu de trouver un consensus et de rester groupés.
La lutte ouvrière ne s'exprime plus en termes de fraternité, de camaraderie mais en termes clivants stigmatisant les différences en jouant sur les peurs des autres. Ils basculent d'un extrême à l'autre qui ne sont pas si loin l'une de l'autre finalement.
Ce témoignage reste nécessaire pour les générations futures. Même si les mots ne sont plus les mêmes, elles pourront comprendre que les acquis d'hier et d'aujourd'hui, qu'ils ne leur semble pas si important de défendre, n'ont pas été le fruit de simples négociations faciles mais de véritables luttes pour des droits arrachés au sens propre du terme : le samedi férié, les huit heures dont ½ de pause déjeuner (eh oui, jeunes gens, ces ouvriers travaillaient 6j/7 et n'avais même pas de pause sandwich). Grâce à eux vous avez ce droit qui vous semble si naturel que vous n'y pensez même pas.
Et d'autres droits acquis au fil des ans qui n'étaient pas du luxe (rappelez-vous qu'en France des gens se sont battus pour avoir le droit au repos pour 4 semaines (les congés payés), trouvez-vous cela excessif ?) Cet acquis vous semble tellement normal, que c'est un « dû ». Mais rien n'est acquis, jamais, sans négociations serrées et réactions parfois radicales pour les obtenir. Certains en sont encore conscient tandis que d'autres sont sous anesthésie générale.
Et le droit de grève parlons-en d'ailleurs comme moyen d'expression parlons-en aussi, même si certains estiment que c'est une prise en « otage » …. Mais, je dis ça, je ne dis rien...
Je ne suis d'ailleurs pas là pour juger les actions de Notarnicola ; je crois à sa conviction profonde de militant pour de meilleures conditions de vie et de travail des masses dites populaires (ouvrières). Aujourd'hui on en parle différemment et ces partis ont été marginalisés par manque de cohésion (et d'esprit solidaire). La violence des actions qu'on qualifiera de terroriste avec l'avènement des "Brigate rosse" reste évidemment discutable.
Le témoignage de
Sante Notarnicola a le mérite d'exister pour ne pas oublier que cette période trouble de fin de guerre n'a été facile pour personne, même si d'aucuns ne sont pas d'accord sur le parcours politique et ses actions extrêmes.
Pour faire « passer la pilule » et surtout sous silence ces soubresauts de l'Histoire qu'a engendré le fascisme et les 20 ans de pouvoir social-démocrate chrétien, une Histoire édulcorée a été mise en avant avec des tubes musicaux de Celentano, et d'autres subterfuges un peu « guimauves » qui a apaisé la mauvaise conscience de certains, ce qui a du arranger un paquet de monde…
La dernière partie, la plus intéressante selon moi se passe en prison où toute la force de son idéal et ses actions font sens. Et justement, une chose me dérange un peu : en bataillant pour que les « droits communs » obtiennent la même légitimité que les « détenus politiques », dont il se revendique, il me donne l'impression de vouloir justifier et excuser ses actions passées en tempérant son engagement de départ, en minimisant leurs violences et en passant carrément à la trappe son implication dans la fusillade qui a fait 5 morts lors de son arrestation.
Il dit s'être laissé entrainer presque malgré lui par deux camarades qui l'on convaincu d'entrer dans ce durcissement de l'engagement et de la lutte. Il se présente comme quelqu'un de prudent qui a été difficile à décider. Il pèse beaucoup le pour et le contre mais finira par accepter pour servir « la cause » à laquelle il croit.
Il présente la trahison, certes énorme et blessante, comme si l'on s'était servi de lui (ce qui est la cas) en usant de sa naïveté de partisan. Ça me donne une impression un peu facile de chercher à se dédouaner en soulignant sa ferveur absolue et sa croyance aveugle.
Autre chose m'a pour le coup « chiffonnée » : qu'est devenue Franca dans l'histoire ? Passée à la trappe elle aussi ?… ou j'ai peut-être raté quelque chose…
En tout cas, je remercie les éditions « Poche En Bas » en Suisse, Paon diffusion et
Pascal Cottin (Culture Plurielle) d'avoir exhumé ce témoignage de 1972 à replacer je le répète dans le contexte de révolution ambiante explosive de l'époque et de l'avoir fait découvrir en France et enfin à Babelio pour leur implication à une large diffusion chez les lecteurs français/francophones.
Remarque : la traduction actuelle «
la révolte à perpétuité » est nettement plus percutante que le titre d'origine italien « l'évasion
impossible », mais ce n'est que mon humble avis…
Voilà, j'en ai encore fait une "tartine"; je ne sais pas condenser... Merci en tout cas à ceux qui auront le courage d'arriver jusqu'à cette dernière ligne! :-)