Parmi les thèmes récurrents chez l'écriture Nothombienne, la laideur et la beauté se partagent la part du lion avec son corollaire, la nourriture, et l'ensemble du système digestif.
Je m'empresse d'ajouter que, chez l'autrice Belge, la laideur peut être élevée au rang de la sacro-sainte beauté (
Péplum).
Tout commence en 1992 par un livre prémonitoire mettant en scène un écrivain octogénaire, misanthrope et misogyne.
Dès lors, la boulimie de l'écriture ne la quittera plus (le rapport à la nourriture dans ses romans déborde même sur celle d'une gloutonnerie de mots : elle écrit au moins quatre romans par an pour n'en publier qu'un et, contrairement à son premier personnage, entend bien laisser les autres dans un coffre sous haute surveillance tout en entretenant dans la même foulée une correspondance assidue avec quelques-uns de ses fans – à tel point que l'on peut se demander s'il n'y aurait pas plusieurs Amélie pour abattre un tel labeur).
Elle publiera chaque été, un mois avant la médiatisée rentrée littéraire, un court roman avec cette régularité de métronome que possèdent celles et ceux qui veulent se rassurer contre quelque chose.
Roman prémonitoire ? Certes mademoiselle Nothomb n'a rien de commun avec son premier personnage, à part ce rapport fusionnel et quasi charnel à l'écriture. le titre du seul roman inachevé dans le roman porte le même titre (
hygiène de l'assassin), elle énonce les 22 écrits comme une litanie, un chapelet que l'on déroule en psalmodiant une prière sans objet (en fait, Amélie est déjà au-delà du chiffre 22 concernant les simples parutions annuelles).
Autre trait particulier chez Miss Nothomb : le choix des mots (elle truffe ses courts romans d'au moins cinq ou six vocables que même le petit Robert ou la grande Larousse ne recensent pas) jusque dans les patronymes.
Prétextat Tach sera le premier d'une longue lignée.
Prétextat... ça ne s'invente pas ! Tout juste : Saint Prétextat fut un évêque de Rouen mort en 586 qui se fête le 14 avril.
Chez Nothomb, les mots ne sont jamais inventés, mais déterrés d'un oubli collectif. Miss Nothomb, paléontologue de la langue française ?
Revenons plutôt à nos moutons, en l'occurrence cette
hygiène de l'assassin. Prétextat, à quelques mois d'une fin proche (cancer des cartilages), convoque quatre journalistes pour le simple et seul bonheur de les ridiculiser, les humilier. Et ça marche à la perfection avec les trois premiers. Des hommes, justement.
Un misogyne de cet acabit ne saurait souffrir d'être interviewé par une « femelle » (ce sont ses propres mots). Et pourtant.
Commence alors une joute verbale sur près de cent pages où il sera question de percer à jour le grand mystère, l'imposant secret dont Prétextat garde jalousement la clé.
Au-delà de cette simple rhétorique – j'ai un titre alternatif à cette « hygiène » : la rhétorique des cartilages – se développe une réflexion sur le rapport au corps, que l'on retrouvera dans quasiment TOUS les romans d'Amélie, y compris ceux, plus intimes, parce qu'un brin autobiographiques dont elle émaillera son oeuvre.
Nothomb possède une écriture charnelle. Pas juste sensuelle, bien que parfois les deux se superposent. Charnelle. En cela, aucun homme ne pourrait écrire ses livres. Peut-être est-ce pour cette raison que son public est majoritairement féminin.
Les femmes ont un rapport plus proche avec leur corps que ne peuvent l'avoir les hommes, même les plus maniérés. Cela découle (désolé pour cette digression langagière) de la menstruation. Voir s'épancher chaque mois son propre sang change radicalement la donne. Pour moi qui voue une peur bleue (comme le sang?) des prises de sang, je trouve que les femmes puisent leur force dans le fait qu'elles connaissent mieux leur corps. Elles y sont obligées, quelque part. L'homme restera toujours un peu étranger à lui-même. Un rustre qui ne connaîtra ni les hauteurs insoupçonnées d'un plaisir multiplié par quatre chez la femme, ni les affres de la souffrance ultime. Il fera la guerre, sera outrageusement égoïste, imbu de lui-même jusqu'à une compétition affolante dans tous les domaines (tous les sports sont, à l'origine, masculins, à part le seul qui allie grâce et corps : la danse). Je n'insiste même pas sur le côté Freudien de l'apparence évidente du sexe de l'homme, tandis que celui de la femme reste caché, mystérieux, plus intime.
Dans les livres d'Amélie, il sera toujours question du corps, qu'il soit effrontément sublime ou démesurément repoussant. Chaque personnage aura sa propre définition de la beauté et de la laideur. Mais tous auront un corps fait de chair et de sang.
La chair et le sang, tel pourrait être cette entreprise globale que je fais le pari de mener à bout cette année : relire TOUS les Nothomb et en parler.