Pourquoi Jésus s'est-il laissé crucifier ? Telle est la question qu'
Amélie Nothomb se pose depuis des dizaines d'années. «
Soif » n'est pas celui de ses livres dont la lecture m'a été la plus agréable, mais je recommanderais ce texte à ceux qui souhaitent entrer dans l'intimité de l'auteure, en leur conseillant toutefois de compléter leur lecture par quelques interviews d'
Amélie Nothomb.
Commenter ce livre de ma distinguée compatriote expatriée m'a demandé plus de peine qu'à l'accoutumée. Car je pense que pour apprécier sa pleine valeur, il est nécessaire de prendre le temps de s'informer sur les intentions d'
Amélie Nothomb. On peut assez facilement trouver des interviews où elle s'en explique. J'en ai écouté trois, d'une petite demi-heure chacune. Bien entendu, elles se recouvrent, mais pas complètement. Je vous recommande une démarche similaire, avant ou après votre lecture, sinon vous risquez d'être déçus.
En effet, «
Soif » ne m'a pas procuré le plaisir de lecture auquel
Amélie Nothomb m'avait habitué. Certes, les premiers chapitres sont drôles et pétillants et les derniers sont également fluides et plaisant à lire. Mais entre les deux, c'est plus pénible. J'ai déploré des lourdeurs m'obligeant à relire des paragraphes; plus d'une fois, j'ai trouvé les réflexions confuses, comme si, pour une fois,
Amélie Nothomb bafouillait. Déçu…
Par contre, j'ai perçu la même réalité différemment une fois que je l'ai replacée dans son contexte. Dans les entretiens que j'ai écoutés attentivement, en me disant d'ailleurs qu'un recueil d'entretiens d'
Amélie Nothomb mériterait d'être publié, l'auteur rapporte que Jésus fait partie de son univers depuis sa plus tendre enfance. Élevée dans une famille catholique, elle a reçu l'éducation religieuse habituelle. À présent, elle dit avoir une « foi intransitive »: elle croit, mais sans pouvoir dire en quoi elle croit. Elle est dans un état de croyance, disons, ce que personnellement, je peux parfaitement comprendre.
Elle revendique être une grande
soiffarde et un des grands messages de son livre est que, pour elle, la
soif est une incarnation de la foi. Cette déclaration surprenante aurait davantage de sens pour moi si elle avait parlé de l'étanchement de la
soif plutôt que de la
soif elle-même. En effet, j'imagine fort bien l'apaisement, la sérénité, que la foi, même « intransitive », peut apporter à un croyant qui éprouve de la peine. Dans ce sens-là, je conviens qu'un verre d'eau puisse apporter une sensation analogue à quelqu'un qui serait fort as
soiffé. J'y vois un rapport à la méditation de pleine conscience qu'
Amélie Nothomb évoque à d'autres endroits du texte. Elle l'avait également évoquée sous une forme plus humoristique dans « Le comte de Neville »: « C'est un enseignement du Bouddha: Quand tu fais la vaisselle, fais la vaisselle. ».
Même si la
soif a donné son titre au roman, c'est plutôt la crucifixion qui en est le thème principal. Et là, on rentre dans l'intime, dirais-je. Dans ses interviews,
Amélie Nothomb raconte qu'elle ne parvient pas à comprendre, ni à admettre, que Jésus se soit laissé crucifier. Elle fait l'hypothèse qu'il aurait pu l'éviter, par exemple en fuyant avec son amoureuse,
Marie-Madeleine. Cette question la taraude depuis très longtemps. Depuis des dizaines d'années, elle a en projet d'écrire un livre sur ce thème. Elle explique qu'elle a laissé passer les années car elle ne se sentait pas prête à en entamer l'écriture. Atteignant la cinquantaine, elle a décidé de se lancer avant, dit-elle, de n'en être plus capable. Elle rapporte que l'écriture en a été extrêmement ardue, que bien souvent elle pensait ne jamais y arriver. Je n'ai aucun doute sur sa sincérité. Mais alors, la lourdeur que j'évoquais plus haut m'est devenue touchante: j'y ai vu toute la difficulté que peut avoir une personne à exprimer des sentiments ou des réflexions qu'elle doit faire remonter du plus profond d'elle-même.
Dans «
Soif », l'accent est mis sur l'incarnation de Jésus. Il devient un être humain qui éprouve la souffrance d'un corps humain.
Amélie Nothomb met dans la bouche de Jésus ses propres interrogations. Il se demande pourquoi il se laisse crucifier. Il se torture l'esprit en se disant que permettre sa mort est se haïr soi-même. Et comment peut-on inciter à aimer les autres comme soi-même si l'on se hait ? Si j'ai bien lu, n'hésitez pas à me corriger si je me trompe, Jésus mourra sans réponse à cette question, mais il mourra dans une certaine paix de l'esprit; je vous laisse découvrir comment. J'imagine que la révolte d'
Amélie Nothomb s'en est trouvée apaisée également.
Si je comprends bien,
Amélie Nothomb n'apprécie pas cette manière qu'a l'Église de glorifier la souffrance. Cette question m'intéresse et j'ai bien envie d'ajouter sur ma pile un bon ouvrage d'histoire du christianisme, en particulier pour savoir si la croix en est le signe de ralliement depuis les premières années.
En conclusion, la note que j'ai accordée à «
Soif » surestime le pur agrément de lecture que j'en ai retiré; elle reflète plutôt tout l'intérêt que ce livre a suscité en moi en me faisant entrer dans l'intimité de l'auteur. Je ne recommanderais donc pas ce livre à ceux qui voudraient simplement découvrir le style d'
Amélie Nothomb, mais je le recommanderais chaleureusement à ceux qui s'intéressent à cette auteure.