Je ne suis pas à proprement parler un nothombophile, mais je ne suis pas non plus un nothombophobe ; la preuve en est que j'ai lu quelques-uns des bouquins d'Amélie, dont ce dernier... à propos duquel je vais m'efforcer de vous dire quelques mots.
Ce ne sera pas tâche facile... parce que la tâche n'est pas facile.
De plus, après avoir pris connaissance de quelques critiques et de leurs tombereaux de véhémences, il n'est pas aisé de trouver la voie du milieu.
À propos de critiques, si j'utilise le mot véhémences ( pour les puristes, le pluriel est valide ), c'est bien sûr à dessein.
J'ai en effet été surpris de lire des billets qui tenaient davantage du scatologique que de l'eschatologique.
Pourquoi donc cette exacerbation de ce petit exercice littéraire qu'est la relation d'une lecture ?
Je ne vois aucune autre explication à ce déchaînement des passions si ce n'est qu'
Amélie Nothomb, consciemment ou pas, fait figure, aux yeux de certains d'apostate.
Car en choisissant d'évoquer la passion du Christ, en faisant de Jésus un homme, simplement un homme en butte à sa relation au corps, en consacrant 125 pages à "ça"... il était acquis qu'elle allait ébranler quelques surmoi.
Après avoir terminé la lecture de -
Soif -, ma fille m'a demandé ce qu'en j'en pensais... à savoir si c'est un livre que je lui conseillais.
D'ordinaire, lorsqu'il s'agit d'autres lectures, ma réponse ne tarde pas.
Là, je lui ai dit...
Mais avant de vous révéler ce que fut ma réponse, j'aimerais poser comme postulat qu'
Amélie Nothomb est indubitablement à mes yeux une écrivaine de talent, une femme intelligente, très érudite, fine, subtile, cultivant avec bonheur l'humour et le sens de la formule.
Son oeuvre est , toujours pour ce qui me concerne, caractérisée d'une part par une "création" inégale, et d'autre par par la tentation de l'abandon au facile... qui est une des marques de beaucoup de surdoués.
J'ai donc essayé d'expliquer à ma fille que, pour une fois, il m'était difficile de lui répondre de manière assurée.
Que je faisais un parallèle entre la lecture de ce livre et l'approche de chacun au mystère, à la croyance, à la foi.
Que chacun ne pouvait le lire qu'à partir d'un "intime" qu'il est difficile de partager.
Qu'on peut être bénédictine ou franciscain, vivre dans la même communauté, partager les mêmes règles, les mêmes rites ; la foi de chaque soeur, de chaque frère, est unique et, contrairement aux apparences, ne ressemble pas, ne peut être expliquée à la soeur ou au frère dont on se sent le plus proche.
Bref, que connaissant
Amélie Nothomb, ma "vérité" sur ce livre ne sera jamais la sienne ni la vôtre.
Jésus est donc humanisé.
Jésus est de chair et d'os.
Livré à Pilate, on fait son procès.
Les 37 miracles qu'il a accomplis, lui sont reprochés par ceux-là mêmes qui en ont été les "heureux" bénéficiaires.
L'époux des noces de Cana, au cours desquelles Jésus changea l'eau en vin, dénonce le fait "qu'à cause de lui, on a servi le meilleur vin après le moyen. Nous avons été la risée du village".
L'ex-possédé de Capharnaüm se lamente : " Ma vie est devenue d'une platitude depuis l'exorcisme !"
L'ancien aveugle se plaint de la laideur du monde.
Quant à Lazare, il lui est odieux de vivre avec une odeur de cadavre qui lui colle à la peau.
On connaît la suite : Jésus est coupable et sera crucifié.
Pas tout de suite... licence "évangélique".
Le lendemain.
Jésus passe sa dernière nuit dans une geôle.
Il est confronté à la solitude, à la peur de la souffrance que son corps va devoir endurer, à l'envie de dormir et au sommeil qui ne vient pas, à la
soif... à ses souvenirs.
Dans ses souvenirs revient le choix de naître dans ce pays de chaleur et de soleil... ce pays où il fait souvent
soif.
Là est l'allégorie voulue par l'auteure : la
soif.
Car la
soif est, à ses yeux, synonyme d'élan mystique.
"L'instant ineffable ( gardez cet adjectif en mémoire ) où l'as
soiffé porte à ses lèvres un gobelet d'eau, c'est Dieu... C'est un instant d'amour absolu et d'émerveillement sans bornes. Celui qui le vit est forcément pur et noble, aussi longtemps que cela dure. Je suis venu enseigner cela et rien d'autre. Ma parole est d'une simplicité telle qu'elle déconcerte.".
Tout est là.
Pour certains, cela sera l'objet d'une risée que l'on retrouve dans quelques commentaires... et je ne leur en fais pas reproche.
Pour d'autres, dont je fais partie, et sans être un mystique... tout au moins pas un mystique professionnel, cela va réveiller des souvenirs personnels, convoquer quelques évocations, susciter réflexions et questions.
J'ai vécu trois expériences où j'ai été confronté à l'extrême
soif.
Enfant, après une intervention chirurgicale, je me trouvais en salle de réveil... je mourais de
soif... il était trop tôt pour que l'on me donne à boire.
De temps en temps, une infirmière me mouillait les lèvres et la langue avec une compresse humide de thé glacé... ces instants étaient divins !
S'il y avait un Dieu, il était dans ce thé glacé dont le contact seul me faisait tutoyer les anges. Ressentir ce qu'était la joie pure !
Adulte, devant encore subir une intervention chirurgicale sous neuroleptanalgésie ( sédation consciente )... j'étais à jeun depuis la veille minuit.
Au bloc, ma bouche était empâtée de
soif, ma langue rôtie ne pouvait plus articuler une voyelle... Quelle délivrance ce fut lorsqu'à midi je pus enfin boire un peu d'eau !
Il y a quelques années, lors d'un séjour au Maroc, je me baladais près de Merzouga... le soleil n'allait pas tarder à se coucher.
La plus haute dune nous tendait les bras.
Imprudemment, nous avons décidé de l'escalader.
Nous étions trois.
Quinze minutes plus tard... j'étais seul mais décidé à atteindre le sommet.
Je n'avais plus d'eau.
Mon coeur tambourinait à plus de 400 roulements/minute.
J'ai cru que j'allais mourir d'épuisement et... de
soif.
J'ai atteint le sommet... il y avait deux Marocains... qui ont partagé avec moi leur réserve d'eau. La fraternité, le miracle et le soleil couchant.
Une fois encore, l'Absolu était là dans son extrême simplicité et dans sa générosité nue, innocente, dépourvue de toute attente.
Il y a eu dans ces trois expériences quelque chose de ce que vivent les ermites, les mystiques.
Il y a eu cet instant ineffable...
Après cette nuit, Jésus vit ce qu'on appelle la "passion"... le chemin de croix, le Golgotha, la crucifixion ( le moment le plus fort pour Jésus mourant de
soif, c'est l'éponge imbibée d'eau vinaigrée que lui tend un légionnaire au bout de sa lance ), la mort, et ce qui serait selon certains la résurrection.
Tout est vécu de la façon la plus "humaine" qui soit : à travers ce que vit le corps et ce que ce corps induit au niveau de l'esprit.
La
soif est omniprésente.
La
soif de vie, la
soif d'aimer, la
soif de comprendre, la
soif de... lire.
On fait grief à
Amélie Nothomb des anachronismes...
Un peu d'humour, que diable !
Oups... ne viens-je pas de blasphémer ?
On lui fait de mauvais procès... parce qu'elle cite Malherbe ou
Thérèse d'Avila, parce qu'elle pêlemêle du grec et de l'araméen, qu'elle étymologise à tort.
Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première racine latine... !
Je ne sais pas si j'ai réussi à faire comprendre à quel point, si l'on veut lire ce livre, il est pour une fois de peu de secours de faire appel aux critiques pour se décider.
J'ai passé deux heures dans le désert... j'ai eu
soif... la suite n'appartient qu'à moi.