Jusqu'ici
Joyce Carol Oates m'intimidait un peu. J'avais essayé de lire
Mudwoman qui m'avait un peu ennuyé et depuis je n'osais pas m'attaquer à son oeuvre oh combien prolifique. « Un livre des martyrs américains » m'avait été offert il y a déjà un petit moment et j'ai profité des vacances pour m'atteler à ses 860 pages. Bien m'en a pris car j'ai pris un immense plaisir à cette lecture.
Plongée vertigineuse dans l'Amérique du Nord profonde où les partisans de la liberté de l'avortement et c
eux du droit à la vie s'opposent avec virulence : le récit commence quand un militant prolife assassine un médecin pratiquant des avortements. Cette scène d'une violence inouie va agir comme une bombe à fragmentation et faire exploser la vie de leurs d
eux familles.
Joyce Carol Oates raconte dans le détail ce qui a précédé et ce qui suit cette scène originelle. Pour ce faire, elle donne la parole aux différents protagonistes : le meurtrier, un homme frustre aux ambitions insatisfaites qui trouve dans cette cause une raison d'exister et se croit investi d'une mission divine, la victime, fils d'intellectuels qui va prendre tous les risques pour agir selon ses valeurs en faveur des femmes en détresse, et les filles de l'un et de l'autre qui vont trouver leur chemin pour finir par se retrouver face à face et se reconnaître.
A aucun moment,
Joyce Carol Oates ne réduit son récit un réquisitoire pour ou contre l'avortement. Ainsi elle ne prend pas clairement parti, ni ne porte de jugement moral et c'est cette neutralité qui fait la force du livre. Les seuls pour lesquels elle a des mots durs sont les leaders activistes pro-life qui, de façon totalement hypocrite, appellent à s'en prendre aux médecins « avorteurs » et refusent ensuite d'assumer toute responsabilité quand un militant passe à l'acte. En revanche, l'assassin et sa victime assument,
eux, pleinement leurs actes et leurs conséquences. Ce qu'elle cherche à démontrer, c'est que, dans cette histoire, rien n'est blanc et rien n'est noir : il n'y a pas de saint et de martyr ou plutôt tous d
eux sont saints et martyrs de causes plus grandes et complexes que leurs personnes. Pour ce faire, elle s'attache à restituer les pensées, les sentiments, les hésitations, les convictions, les doutes, les forces et les faiblesses de chacun de ses personnages pour lesquels elle semble éprouver une immense empathie notamment quand elle raconte les itinéraires des d
eux filles que tout semble opposer mais que tout réunit.
La grande simplicité du style est contrebalancée par la complexité du récit qui fait intervenir plusieurs narrateurs : c'est d'une grande virtuosité et on ne se perd jamais.
Voici un roman d'une grande intensité qui prend aux tripes et m'a laissée éblouie par tant de talent.