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4,3

sur 661 notes
Comme dans tous ses livres, Joyce Carol Oates nous embarque dans son récit à travers les histoires de chaque personnage.
Il y a d'abord le fait divers terrible : l'assassinat d'un médecin devant la clinique ou il pratique les avortements par un fanatique Pro life.
Qui est ce fanatique, qui est sa famille, qu'a t il vécu avant d'arriver à cette tuerie. Qui est la victime, ses proches, son engagement..
Tout en abordant les sujets de société américains que sont l'avortement, le fanatisme religieux, la peine de mort, l'auteur nous fait entrer dans l'intimité des familles.
Un peu long à mon sens sur la fin au moment des combats de boxe mais c'est un très bon livre.
Rarement déçue avec cette auteur !
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Un jour Luther Dunphy, s'est levé, a pris son fusil et est allé tuer de sang froid un médecin qui pratiquait des avortements. D'un fait divers qui est plutôt un fait de société dans une Amérique toujours plus divisée, Joyce Carol Oates a tiré une immense fresque.

Ce livre est d'une densité rare, même pour cette auteure qui est pourtant rôdée à écrire des romans puissants. Il m'a fallu du temps pour le lire et encore plus pour le digérer.

Le roman aborde des sujets, brûlants dans l'Amérique de nos jours : l'avortement bien sûr dans un premier temps, sujet qui oppose violemment deux parties de la société, mais pose également la question de la peine de mort et du contraste saisissant entre progressisme et ultra-religiosité au sein d'une même société.

Pour autant, Joyce Carol Oates n'est tendre avec personne dans ce roman, le bien et le mal ne font que se brouiller. Elle n'oppose les fous de Dieu aux progressistes que pour révéler, de part et d'autre, les plus terribles vérités, sans verser dans un discours féministe politiquement correct. Ici, tout le monde est à égalité.

On suit l'onde de choc provoquée par ce meurtre sur la famille du meurtrier et de la victime. L'auteure avec son talent habituel, sert ses personnages avec une analyse précise et sans concession. Pas un n'est vraiment sympathique à vrai dire : ni le tueur fanatique ni le docteur qui sacrifie sa famille à ses idéaux, mais c'est ce qui fait la force de ce roman. C'est précis, réaliste et cela fait complètement écho aux débats qui agitent la société américaine actuellement.
Ce roman fait sans nul doute partie des grands chefs d'oeuvre de Joyce Carol Oates.
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Dès les premières lignes, le lecteur retrouve la plume de Joyce Carol Oates, reconnaissable et incontournable pour connaître l'Amérique.
Particulièrement dans ce roman au sujet tellement délicat où elle adopte une distanciation brechtienne, laissant ses lecteurs seuls juges de la situation. Et elle maintient cette ligne jusqu'à la toute dernière page des 860. Elle ne nous impose pas sa vision mais on contraire elle ébranle la conscience de ses lecteurs.
Le 2/11/1999 Augustus Voorhees est assassiné par Luther Dunphy.
Gus est médecin et pratique des avortements dans un centre où les femmes l'attendent jour et nuit pour le supplier. Elles attendent planquées dans leur voiture que la horde de manifestants anti-avortement soit partie.
« Parce que tous les gens qui seront au courant parleront de moi avec mépris et dégoût. Parce qu'ils diront de moi que j'ai brisé le coeur de mes parents, que je suis une putain.
Parce que je suis trop vieille. J'ai eu des enfants, si j'en ai d'autres je crois que j'en mourrai. Je suis tellement fatigué.
Parce que j'ai essayé de le faire moi-même avec un pic à glace. Mais j'avais trop peur, je n'ai pas pu. »
La litanie des « parce que » est longue mais le dénominateur commun est la détresse de la femme.
Comme le disait Simone Veil dans son discours « aucune femme ne recourt à l'avortement de gaieté de coeur. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
C'est ainsi que Gus est devenu médecin avorteur, mais il pratique d'autres actes comme la chirurgie réparatrice après un accouchement qui s'est mal passé, traitement du cancer de l'utérus ...
Luther Dunphy est charpentier et père de quatre enfants. Il est travailleur, bien considéré un homme qui jusqu'à ce jour n'a pas fait de vagues.
C'est Luther qui raconte, ce procédé permet à l'auteur de ne pas faire un face à face manichéen, de ne pas faire dans l'analyse simpliste.
Luther se croit investi de cette mission, mais ce n'est pas un illuminé.
Il fait partie d'une église qui encourage ses actions. Son éducation ne lui permet pas de se faire une véritable opinion, étayée par d'autres chapelles loin de ses références familiales.
La Middle-Class a disparu, il y a la classe supérieure qui contrôle tout : médias, politique. Et surtout elle est invisible donc plus puissante encore.
Et il y a les autres, la majorité silencieuse jusqu'au clash. le danger rôde car il est hors de contrôle et suivi de mouvements de foule.
Le lecteur va entrer dans ces deux familles, des failles y étaient annonciatrices de ce chaos qui va faire les faire exploser.
La subtilité pour ne pas dire le génie de Joyce Carol Oates est de nous montrer l'héritage de ces deux pères sur leur fille respective.
Les mères, épouses, chacune à leur façon pérennise l'image de leur époux, mais lâche la barre dans l'accompagnement des enfants, qui se retrouvent seuls face aux actes de leur géniteur.
Naomi Voorhees et Dawn Dunphy ont 12 ans lors des évènements.
Il faut faire face aux journaux, déménager, s'adapter à une autre vie. Elles n'ont pas les mêmes armes, mais de parallèles leurs vies vont se télescoper.
Le premier procès va avoir un jury incapable de se prononcer. Il y en aura d'autres jusqu'à la condamnation à mort. Mais cela veut dire de longs mois à ressasser, à encaisser.
Comment devenir une jeune femme dans de telles conditions ?
La famille de Gus Woorhees a dû déménager de nombreuses fois.
« Ce Centre ! Il engloutit la vie de votre père. Ce sera un soulagement quand nous pourrons partir. C'est "provisoire" …pas " permanent " ».
Lorsque Naomi décidera de faire des archives de la vie de son père, elle sera harcelée. Elle assistera à la liesse qui suit la mort de son père et au mouvement d'aide et de défense en faveur de l'homme qui l'a assassiné.
Le lecteur assiste aux procès comme s'il était dans la salle.
Les dialogues sont d'une grande justesse.
La force de ce roman est de faire que les protagonistes du départ deviennent des rôles secondaires.
Les rôles principaux sont tenus par Naomi et ses archives et Dawn et ses poings sur un ring.
Si le Washington Post clame que c'est le livre le plus important de l'auteur, une chose est certaine c'est qu'il est la quintessence de ce qui fait l'originalité, le moteur de cet écrivain.
Le choix du sujet : l'avortement n'est pas innocent, c'est le Sujet qui cristallise toutes les dissensions. Celui qui montre le mieux les fractures sociales. C'est un sujet phare et pas seulement aux Etats-Unis.
Cet évènement collectif est aussi individuel.
Joyce Carol Oates croit au pouvoir de la fiction pour faire reculer les mouvements : anti-avortement, anti-intellectuel, anti-laïc, anti-humaniste, etc.
Qu'en sera-t-il de la loyauté des filles à leurs pères ?
« C'était une ironie amère : son désir d'honorer son père était inséparable d'une fixation sur son assassin qui l'emplissait de désespoir, de rage, de honte…
Elle ne voulait pas se soucier de Luther Dunphy…de sa vie ou de sa mort. Elle ne voulait pas brûler de haine pour cet homme ni pour les nombreux partisans du droit à la vie (des centaines ? des milliers ?) qui avaient applaudi à " l'assassinat". »
Ce que découvre ces deux jeunes femmes c'est qu'il n'y a pas un modèle unique de femme. Pas de standard, en regardant leur entourage avec plus d'acuité elles découvrent qu'il s'agit d'une construction et que sur la route il peut y avoir des aléas pour soi-même comme pour autrui.
C'est un livre très important qui veut croire que si la jeunesse allait aux urnes, elle pourrait changer la donne des élections du 03 novembre 2020…
Souhaitons-le avec l'auteur et pas seulement pour les Etats-Unis.
Un livre qui touche l'âme, dessille les yeux du monde, trop longtemps aveugle.
C'est le plus beau rôle de la littérature me semble-t-il.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 23 juin 2020.
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J'aime les livres de Joyce Carol Oates et j'ai pris du plaisir à découvrir celui-ci. Avec un sujet aussi grave et complexe que la question de l'avortement aux USA, elle parvient nous rendre attachant des personnages et leur famille pris dans leur humanité et loyautés sociales, tout en décortiquant les rouages qui règlent l'affrontement fatal entre tenant et opposant à l'interruption volontaire de grossesse. L'aveuglement religieux et dogmatique est abordé avec autant de détails et de compréhension que la déconnexion des classes sociales aisées avec la population rurale des États-Unis profonds. C'est comme ci Oates tentait de rendre possible une rencontre improbable. Mais essentielle.
La construction du livre est un peu déroutante quand le point de vue glisse vers ceux des filles du médecin assassiné et de son assassin. La question de l'avortement semble à ce moment-là un peu oubliée, secondaire, pour finalement fonctionner comme le révélateur d'une vision plus large de cette société divisée et profondément marquée par des sillons de pensées presque irréconciliable. Un grand roman dont je suis ressorti à la fois satisfait du plaisir intellectuel qu'il m'a procuré et bousculé par le nombres de questions ouvertes dont il s'avère que les réponses simples ou toutes faites sont une illusion. de quoi les martyrs sont-ils le nom ? pourrait être un titre alternatif s'il s'agissait d'un essai philosophie ou politique dont on pourrait attendre une réponse claire, une prise de position. Mais Joyce Carol Oates a bien plus de modestie et de profondeur que ça ! J'ai aimé ce livre et pris du plaisir à plonger grâce à celui-ci dans l'ambivalence et la complexité, sans jamais m'ennuyer, me prendre la tête ou me perdre. Voilà de la littérature philosophie et politique, assurément !
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Publié en 2017 aux Etats-Unis et en 2019 dans la version française.
Joyce Carol Oates aura bientôt 80 ans lorsque son livre est publié en anglais. Cet écrivain n'a de cesse d'écrire sur son pays, les Etats-Unis d'Amérique. Dans ce livre, de nombreux thèmes sont abordés, la famille, l'enfance, l'adolescence, le handicap, la religion qui est un élément central du livre, la boxe qui est une passion de l'auteur, le sport au féminin, le deuil qui peut rappeler celui qu'elle a vécu en 2008, lorsqu'elle a perdu son mari, le droit à l'avortement qui est le thème principal du livre, l'inégalité des chances, la peine de mort, les attentats du 11 septembre, les 3 générations dans la famille.
Suite à l'arrêt Roe v. Wade de 1973 de la cour suprême, l'avortement est autorisé dans les textes. Voir article ci-dessous source Wikipedia :
« Depuis l'arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême, en 1973, la justice américaine fédérale considère que le droit d'une femme à l'avortement concerne le droit à la vie privée protégé par le IVe amendement. »
Les nombreuses adaptations faites par les Etats modèrent ou annulent ce droit.
Les organisations Pro-Vie ne cessent depuis lors de tenter d'abolir ce droit.
Les organisations Pro-Choix combattent âprement pour le défendre.
C'est dans ce contexte survolté que se passe l'action de ce roman.
On est dans la région des grands Lacs, Ohio, Michigan, année 90.
Gus Voorhees est médecin « avorteur » dans une maison de la femme à Muskegee Falls, ou il pratique de nombreux avortements ; il doit être protégé, la « maison de la femme » est sous protection policière, lui-même est accompagné d'un garde du corps. le 2 Novembre 1999, il sera assassiné par Luther Dunphy, un fou de Dieu qui se croit investi d'une mission divine.
Dans la première partie, on nous raconte en boucle, ce qui a poussé Luther Dunphy à assassiner Gus Voorhees, comme était retransmis en boucle les attentats du 11 septembre 2001
Luther est emprisonné, et Gus est mort. Dans les familles des 2 protagonistes, tout est bousculé, la vie n'est plus un long fleuve tranquille.
La famille du médecin est disloquée, la mère est hébétée, Luke a des envies de vengeance, Naomi va entreprendre un travail de mémoire.
La famille de Luther est anéantie, la mère est sans ressource, sans énergie, le fils abandonne l'école, Dawn veut devenir boxeuse, et se battre pour Jésus.
L'auteur nous raconte en parallèle, la vie des deux familles.
Lors du procès de Luther, les souvenirs d'avant le drame, remontent à la surface.
Les thèmes de la condamnation à mort et celui de l'exécution ne seront pas évités.
J'ai été conquise dès les premières lignes par cette histoire. La lecture des plus de 800 pages ne m'a, à aucun moment ennuyé. L'histoire est habilement construite, avec l'irruption du passé dans le présent. Il y a du roman d'apprentissage, les 2 adolescentes vont grandir. C'est une grande fresque de la vie américaine sur une vingtaine d'années, remplie de détails surprenants sur la lutte pour le droit absolu à la Vie, ou au contraire pour le respect de notre vie privée.
Contrairement aux livres précédents que j'ai lus de cette auteur, il n'y a aucune référence à des écrivains ou des livres appréciés par l'auteur. Ce livre est centré uniquement sur la société civile américaine, et ses combats sur les thèmes de l'avortement, et de la religion.


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Je ne m'attendais pas à un livre aussi nuancé sur un sujet qui suscite autant de passions : le droit à l'avortement.

Aux États-Unis, en 1999, un médecin pratiquant des avortements est assassiné par un homme partisant du mouvement "pro-life", un protestant convaincu que Jésus l'a chargé d'une mission, celle de sauver des bébés innocents.

Cette première scène passée, tous les fils emmêlés de cette pelotes complexe sont tirés.
Les histoires des familles sont narrées, celle de l'assassin et celle du tueur, telles un miroir magique reflétant l'humanité de chacun.
Les 2 hommes, Gus Vorhees le médecin aux grands principes et son bourreau, Luther Dunphy, lui aussi sûr de sa cause. Tous deux s'efforçant d'être de bons pères de famille, avec toutes les difficultés que cela représente.
Leurs femmes, avant et après le drame, leurs manières de survivre, leurs fragilités, chacune à sa manière.
Les enfants, les fratries étonnement similaires, avec un aîné garçon un peu froid, et une jeune soeur perdue et laissant éclater sa sensibilité.
Chacun a son destin propre, bien entendu, mais les récits s'emmêlent tant qu'ils finissent par se superposer pour mettre en lumière la rudesse de la vie. Et de quelle manière magistrale !

Le droit à l'avortement est un terrain compliqué, souvent clivant, chacun sent une résonance intime à l'intérieur de soi et il est difficile d'en parler, de l'évoquer même tout simplement.
Or ici Joyce Carol Oates le traite, 840 pages durant, avec neutralité et émotion en même temps, en un magnifique oxymore qui met l'humain au centre de tout.
La fin splendide parachève et transcende ce récit bouleversant.
Lisez le !
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C'est avec beaucoup d'envie, mais aussi une certaine dose de fébrilité, que j'ai démarré ce roman.
D'envie, car il me faisait de l'oeil depuis un bon bout de temps; fébrilité car, avec Joyce Carol Oates je ne sais jamais si je vais être totalement embarquée ou restée, au moins en partie, sur le bord du chemin.
Ce roman fait (presque) l'unanimité. Plutôt que de savoir s'il faisait partie des Grands romans de la littérature américaine, je me suis posé la question s'il s'agissait ici d'un des meilleurs romans de Joyce Carol Oates. J'avoue ne pas avoir de réponse à ma question, n'en ayant lu au final que quelques uns de cette prolifique écrivaine. Je peux par contre dire qu'il m'a marquée car plusieurs semaines après l'avoir terminé, il me reste encore en tête.

Joyce Carol Oates s'attaque ici de front à plusieurs thématiques, fondatrices pourrait-on dire de la société américaine. En effet, on pourrait croire de prime abord qu'elle parle uniquement de la question de l'avortement et des groupuscules « Pro-vie » qui en découlent, en contradiction avec les « Pro-choix ». Mais ce serait finalement très réducteur parce que l'auteure prend ce chemin pour parler également de la place de la religion aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, de la possibilité pour tout Américain de se défendre et de porter une arme à feu. Ce qui fait rire (jaune) – en tout cas ce qui me fait rire jaune- quand on sait que le droit de porter une arme, et donc, par extension, le droit de tuer, est inscrit dans la constitution alors que le droit à l'avortement n'est plus un droit fédéral depuis la suppression de l'arrêt Roe vs. Wade qui autorisait le recours à l'avortement dans l'ensemble du pays. Désormais, ce sont les états qui décident si oui ou non une femme a le droit de disposer de son corps comme elle le souhaite. Et ce qui est fait doublement rire (jaune) est que Joyce Carol Oates a placé son histoire en Ohio, premier état qui a abrogé le droit à l'avortement il y a quelque mois.

L'élément déclencheur de ce livre est l'assassinat d'un médecin avorteur (et encore, le réduire à cela est une erreur) par un « soldat de Dieu », partisan du Pro-vie, ce qui est assez paradoxal quand on y réfléchit ne serait-ce que cinq secondes. de là, elle déroulera le fil de son histoire en parlant bien entendu de ces deux protagonistes ainsi que des victimes collatérales que sont les familles et proches de ces deux hommes, familles se retrouvant inexorablement intimement liées suite à cette affaire. Et n'est pas forcément le martyr du titre celui que je qualifiais au démarrage de ce roman.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre que j'ai trouvé très bien écrit, très dense sans jamais en faire trop même si j'y ai trouvé quand même quelques longueurs. Les thèmes abordés sont bien traités et, surtout, sans aucun manichéisme. Je me doute de quel côté penche l'auteure (quoique je pourrais être surprise) mais rien n'est tout blanc rien n'est tout noir dans ce livre. Elle nous oblige à nous poser des questions, ce n'est pas pour le coup une lecture reposante, le lecteur doit s'y investir un minimum. Est-ce à cela qu'on peut qualifier un roman de Grand ? Si tel est le cas, celui-ci en est un.

En bref, un roman riche, très riche, qui ne peut laisser indifférent, porté par une plume surpuissante, un peu déroutante peut-être quand on ne la connaît pas. Un Grand roman contemporain sur la société américaine, comme elle sait si bien le faire, sur laquelle elle pose un regard scrutateur, vif et acéré. Une Américaine qui parle de son Amérique remplie de contradictions, de clivages, qui ne la ménage pas mais qui, au final, la regarde avec bienveillance et espoir. A quand le Nobel ?
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Cette histoire d'un médecin gynécologue pratiquant les avortements, assassiné par un activiste chrétien, est présentée le plus souvent par la critique comme un récit équilibré et sans parti pris. Elle ne serait pas exactement le face à face entre partisans et adversaires du droit des femmes à disposer de leur corps. le tueur illuminé et le chirurgien humaniste, personnages attendus, seraient renvoyés dos à dos par l'auteure au prétexte qu'ils auraient tous les deux laissé leurs familles dans un état d'extrême fragilité. Et les foetus, les médecins tués, les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, comme le suggère la quatrième de couverture du roman, seraient tous, à titres divers, « les martyrs américains » ?


Pour lire ce magnifique roman, il nous semble, qu'il faut avoir plus d'une idée à la fois. Ramener le récit, sans autre forme de procès, à la seule douleur identique des deux familles et plus particulièrement à celle analogue des filles, Naomi Voorhees et Dawn Dunphy, narratrices obsédées par la mémoire de leurs pères, c'est nous semble-t-il, n'en n'avoir qu'une seule. Joyce Carol Oates dresse, évidemment dans toute sa complexité et avec toutes ses contradictions, le portrait de la société étasunienne d'aujourd'hui. Pour ce faire, elle particularise le drame américain avec des personnages de chair et d'os. Elle fait confiance à son lecteur et ne donne naturellement pas son point de vue – depuis le vingtième siècle, en bonne littérature, il se donne rarement. Cela n'empêche nullement qu'elle en ait un et même plusieurs complexes, contradictoires et surtout affirmés ; cela n'interdit pas non plus que le lecteur, et pourquoi pas la critique, puisse en avoir un et même plusieurs complexes et contradictoires ; cela n'interdit pas d'avantage qu'il puisse sortir des sentiers battus de la psychologie neutraliste et de l'horripilant désengagement.


La société étasunienne, scientifiquement et techniquement hyper développée mais socialement archaïque, épuisée de moralisme protestant et fracturée par d'abyssales inégalités, est aujourd'hui durablement ébranlée dans ses valeurs profondes. Des évènements, tels que l'égalité des hommes et des femmes, sont venus perturber l'ordre du monde. Des humanistes, comme le Docteur Augustus Voorhees et son épouse, vont faire corps et s'enthousiasmer pour cette nouveauté ; ils vont, risquant leurs vies, être activement fidèles à ce qui est venu bouleverser le rapport des hommes et des femmes dans leur pays. le gynécologue va s'opposer de toutes ses forces dans le roman à ceux qui, indifférents, font comme si rien n'avait eu lieu ou, plus exactement, va s'opposer à ceux qui sont convaincu que si ces idées neuves n'avaient pas surgi, les choses seraient pour l'essentiel identiques. C'est ici la classique position réactive de la famille et de la descendance grande et petite bourgeoise du Docteur Voorhees, qui tente d'annuler la nouveauté dans la puissance tranquille de la conservation et du confort. Mais plus sérieusement encore, le gynécologue, pratiquant les avortements, va devoir ne rien céder au camp de ceux qui, franchement hostiles, considèrent le droit des femmes à disposer de leur corps comme une irruption étrangère et nocive qui doit être absolument annihilée. Dans cette haine du nouveau, de tout ce qui est moderne et différent, nous reconnaissons naturellement l'obscurantisme qui habite la très prolétarienne et démunie famille Dunphy. Pour en finir avec la présence du nouveau, croit-elle, il faut liquider les faiseurs d'anges qui sont la nouveauté incarnée. Les activistes protestants avec Amos Dunphy, forment dans le roman un corps fictif, « les soldats de l'Armée de Dieu », qui est le rival du corps de vérité du Docteur Voorhees. Ce corps bien entendu, au nom de Dieu, tente d'imposer un passé fixe que les évènements, pense-t-il, ont mutilé et dissimulé.


Les Voorhees et Dunphy composent ainsi une histoire dans laquelle péniblement au fil des pages une vérité fait son chemin et s'arrache par son universalité aux circonstances de son apparition – l'archaïsme de la société étasunienne. Cette histoire est remarquablement rapportée par Joyce Carol Oates. L'écriture du roman, sans la joliesse des phrases, y est ramassée, rythmée et d'une implacable efficacité. Chaque personnage à sa voix propre, aussi les plus opaques et les plus taiseux existent ici formidablement. le tourniquet des positions des uns et des autres dans le roman définit une séquence importante de l'Histoire étatsunienne en cours. Il faut patiemment partir de chacun des personnages ; il faut accepter la réaction des Dunphy et leurs formes extrêmes comme symptomatiques de la nouveauté féministe qui ne cesse de venir au monde pour faire corps avec le récit. le rapprochement de Naomi Voorhees la conservatrice et Dawn Dunphy l'obscure, se fait dans la douleur des expériences et la subjectivation des vérités. « On ne pense jamais ni par décision volontaire, ni par mouvement naturel. On est toujours forcé de penser. La pensée est une violence qui nous est faite » disait Gilles Deleuze. La contrainte pour Naomi et Dawn dans ce « Livre de martyrs américains » est double: il y a la contingence brutale du meurtre et de la condamnation à mort des pères, qui exposent à des choix non désirés ; il y a aussi la construction point par point des opinions personnelles qui soumet à des disciplines et des idées antérieurement inconnues. Dawn Dunphy l'ouvrière, vouant une foi aveugle à son père, harcelée et violée au collège, décide d'en imposer au monde des hommes en devenant boxeuse professionnelle. Joyce Carol Oates, passionnée par la boxe excelle à décrire ce milieu, ces combats et ces entrainements. « Arrêtez le combat » hurle Naomi lorsqu'elle assiste effarée à un match avec Dawn, « le marteau de Jésus ». Ces quelques mots annoncent le dénouement magnifique du roman qu'il ne faut pas dévoiler. Joyce Carol Oates alors abandonne le « ils » pour passer au « nous », un « nous » d'une communauté de destin de femmes libres désormais.
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Joyce Carol Oates est un peu comme Louis Ferdinand Céline: elle écrit les mains plongées dans la merde, nous attrape par les cheveux et nous oblige à regarder et à sentir. C'est pourquoi, je ne lis ses œuvres qu'avec parcimonie car ça me bouleverse trop. Un Livre des martyrs américains est une somme, un très long roman sur deux Amériques inconciliables. Alors d'abord il y a Luther Amos Dunphy, le pasteur raté, le chrétien évangélique pro-Life. Enfin bon, pro-Life quand ça l'arrange. Parce que quand il s'agit de tuer un médecin avorteur, la Life n'a subitement plus la même valeur. Toute la première partie lui est consacrée, à lui et à sa famille, à sa jeunesse, à sa formation, à ses rapports avec les autres et c'est loooong. Car Dunphy est détestable. C'est un sale type répugnant mais dans les romans d'Oates ce n'est pas si simple car Dunphy a une blessure... Bref, un jour, "guidé par la main de Dieu", il tue Gus Vorhees, un médecin progressiste, beau gosse, père de famille, apprécié de tous. Logiquement, on pourrait se dire que c'est lui le gentil mais en fait, pas forcément, car si Gus Vorhees est résolument du côté des femmes, il ne l'est pas forcément de la sienne... Et puis, c'est un abominable donneur de leçons, hypocrite et narcissique, qui prône une ouverture d'esprit de pure façade.
Alors qui sont les martyrs ? D'abord les bébés à naître, "arrachés du ventre de leur mère". J.C Oates est une sacrée garce: elle sait se mettre à la place de et dévaster notre zone de confort. Quiconque lit Un Livre des martyrs américains aura du mal à prétendre que les embryons ne sont qu'un amas de cellules. Les femmes ensuite: celles qui n'auront pu avorter à cause des manifestants ou de la fermeture de leur centre de soin. Le roman évoque nombre de cas poignants de femmes désirant (le terme est mal choisi tant pour certaines le choix est crucial) avorter. La victime du meurtre bien sûr : le médecin et un "dommage collatéral". Les victimes (en général) de toutes les tueries "identitaires" perpétrées par des fous furieux de tous bords. Les victimes de la peine de mort. Là aussi, si quelques uns d'entre nous, devant la médiatisation des crimes de Michel Fourniret ou de Nordhal Lelandais pourraient , dans une crise de délire vengeur, désirer le rétablissement de la peine de mort, je conseille la lecture du passage sur la réalité d'une exécution par injection létale, le sommet horrifique du roman. ça pique. Enfin, les familles des protagonistes. J.C. Oates s'attache particulièrement aux parcours parallèles des deux filles, celle de la victime et celle de l'assassin. Cette dernière partie est celle que j'ai préférée, notamment grâce aux extraordinaires scènes de boxe. Enfin, je suis contente d'avoir terminé - au bout de 2 mois ! - car j'ai encore souffert. À quand le Nobel pour Oates ? Elle a 82 ans, faudrait y songer, car ils ne sont pas si nombreux les auteurs contemporains à aller ainsi au cœur des problématiques sociétales, à en faire une analyse précise sans crier avec les loups et sans exposer leur nombril.
Grâce à ce roman j'ai compris quelque chose sur le politiquement correct, cancer comportemental qui nous vient de cette folle Amérique. Je me dis finalement que ce baume sirupeux est peut-être nécessaire pour éviter que les communautés ne se sautent à la gorge en permanence. La "paix sociale" est à ce prix. Bientôt en France ? Probablement.
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Muskegee Falls, Ohio, 2 novembre 1999.
Une journée comme une autre, ou plutôt qui n'aurait pas du être différente d'une autre.
Mais…..
Lorsque Augustus « Gus » Voorhees, médecin arrive au centre des femmes de la petite ville dans lequel il officie depuis quelques mois, il est « attendu » comme tous les jours par des opposants à l'avortement.
Gus Voorhees est l'un de ces médecins qui pratiquent l'avortement dans cette Amérique profonde prenant ainsi des risques considérables.
Mais ce matin-là, un homme a décidé que Gus Voorhees qu'il considère comme un criminel à grande échelle le comparant même aux médecins nazis, a décidé de passer à l'action.
Cet homme s'appelle Luther Amos Dunphy, il est catholique fondamentaliste, membre de « l'Armée de Dieu » et engagé dans une branche encore plus extrémiste appelée « Operation Rescue ».
Il ne va donc pas hésiter à abattre à bout portant Gus Voorhees et Tim Barron un ancien Marine vétéran de la guerre du Viêt-Nam engagé pour protéger Gus.
Gus était menacé il le savait, lui le médecin qui aurait pu comme son père choisir la médecine privée et engranger des millions de dollars, passer ses soirées dans des cocktails mondains, ses week-ends sur le green des golfs et ses vacances avec sa famille en visitant le monde.
Mais Gus avait choisi la médecine publique et surtout plus spécialement de s'occuper des femmes et de leur permettre le choix de ne pas continuer une grossesse non désirée ou à risque.
Oui Gus était menacé, il était même le numéro trois de la liste « Avis de recherche : les tueurs d'enfants parmi nous » qui recensait des médecins à éliminer.
Luther Amos Dunphy issu de cette population de blancs pauvres peu éduqués (Luther avait du mal à lire, et d'ailleurs ne connaissait pas d'autres livres que la Bible) vivant essentiellement dans ces petites localités rurales où le chômage et l'alcool sont un fléau.
Luther, qui, pour très croyant qu'il était, était en fait un homme violent et infidèle, dont l'épouse toute aussi exaltée que lui (c'était d'ailleurs elle qui l'avait fait entrer au sein de l'Eglise missionnaire de Jésus de Saint-Paul) n'était qu'une ombre.
Et Joyce Carol Oates va nous conter la vie de Gus et celle de Luther pour essayer de savoir comment un tel drame a pu se produire.
Mais surtout elle va s'attacher à l'après, et comment Jenna la femme de Gus que l'on pourrait qualifier « d'intellectuelle de gauche » et comment Edna Mae la femme de Luther qui elle est une « extrémiste religieuse » vont poursuivre leur vie.
Elle va aussi s'intéresser aux enfants, Gus en avait 3 et Luther 4, et surtout à Naomi Voorhees et à Dawn Dunphy qui avaient 12 ans quant le père de la première a été assassiné par le père de la seconde.
Une lecture très déstabilisante, et surtout s'il fallait encore le démontrer, la preuve que le fossé ou plutôt l'abysse qui sépare ces deux conceptions (pro-life / pro-choix) est énorme et qu'au lieu de se refermer il se creuse de plus en plus, alors que le droit à l'avortement est un droit qui recule dans de plus en plus d'états, notamment ceux de cette Amérique profonde que nous décrit Joyce Carol Oates.
Mais en France, alors même que ce droit vient d'être scellé dans la Constitution de notre pays, il y a aussi des opposants qui s'ils ne vont pas jusqu'à tuer les médecins n'en mènent pas moins des actions virulentes.
Un sujet grave qui certainement divisera pendant encore longtemps « pro » et « anti ».
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Thème : Joyce Carol OatesCréer un quiz sur ce livre

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