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4,15

sur 790 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il faut de l'audace et du courage pour se faire volontairement interner dans l'asile de Blackwell à la fin du 19ème siècle. Mais, la jeune Nellie Bly n'a pas froid aux yeux et un objectif bien précis en tête. Réaliser un reportage de manière clandestine sur les conditions de vie des pensionnaires de cet établissement psychiatrique pour un journal new-yorkais.

Et la tâche se relève étonnamment aisée. Car, pour une femme à cette époque, se faire enfermer est presque un jeu d'enfant. Certaines, simplement par manque d'argent ou parce qu'elles deviennent gênantes pour leurs familles, sont condamnées à être internées à perpétuité alors qu'elles sont parfaitement sensées.

La journaliste restera dix jours sur l'île de Blackwell, dans cet asile insalubre et lugubre où toute personne saine d'esprit serait à même de perdre la raison. Privations, froid, cruauté et sévices du personnel médical, l'enquête de Nellie Bly est édifiante et révèlera le pire.

Ce roman graphique est passionnant, très bien documenté et demeure centré sur le reportage de Nellie Bly dans cet asile. Quelques flashbacks habilement insérés dans le récit nous permettent de découvrir l'enfance et le parcours difficile de la jeune femme qui se bat pour s'imposer dans un milieu dominé par les hommes.

J'ai retrouvé pour mon plus grand plaisir le coup de crayon de Carole Maurel dans cet album doté de sublimes planches. Les couleurs sombres nous restituent à merveille l'ambiance macabre qui devait régner dans cette institution psychiatrique durant cette période. Les illustrations font mouche, le scenario captivant et poignant n'est pas en reste.

Pionnière dans le journalisme d'investigation, ce personnage remarquable et inspirant ne peut que susciter l'admiration du lecteur. Un superbe portrait de femme qui rend un bel hommage à la fascinante et brillante Nellie Bly.
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Quand on parle de l'invention du journalisme en immersion, on pense immédiatement à Albert Londres et on oublie que quelques décennies avant lui, il y eut une pionnière : la jeune Nellie Bly. Très connue dans son pays natal où elle est devenue sujet d'une comédie musicale, a bénéficié d'un timbre à son effigie et a donné son nom à un prix décerné chaque année pour distinguer une journaliste, elle l'est nettement moins en France. le retard est en passe d'être rattrapé : mise une première fois à l'honneur par Pénélope Bagieu dans le tome 2 de « Culottées » en 2017, cette femme de tête se voit consacrer pas moins de trois biographies dessinées en dix mois ! le dernier en date « Nellie Bly dans l'antre de la folie » de Virginie Ollagnier-Jouvray et Carole Maurel paraît dans la collection « Karma » aux éditions Glénat. En quoi réussit-il, lui, à transcender le simple biopic ?

Un renouvellement du genre du biopic

Cet album très fouillé qui a nécessité trois ans de travail n'est pas un biopic au sens classique du terme puisque comme l'indique le sous-titre, « dans l'antre de la folie » Virginie Ollagnier et Carole Maurel choisissent de se focaliser sur les dix jours qu'elle passa dans l'asile de Blackwell. C'est une idée de Pulitzer patron du célèbre journal newyorkais « The World » : pénétrer dans un asile et observer ce qui s'y déroule au plus près, en faisant passer sa journaliste pour une aliénée. Elle pose donc en 1887 sa valise dans une pension pour femmes, déclare qu'elle est perdue et que les autres pensionnaires lui veulent du mal puis qu'elle a « perdu ses troncs ». Elle finit par être emmenée dans un hôpital psychiatrique au large de Manhattan après un diagnostic express. Ce nid de coucou est un véritable Alcatraz: on ne quitte pas l'asile de Blackwell's Island, où les pensionnaires les plus dangereuses marchent attachées par une longue corde, comme des bêtes traînées à l'abattoir. Nellie Bly découvre que des femmes saines d'esprit, des immigrées d'Allemagne, de France ou du Mexique, sont internées à tort…

Cette histoire fondée sur le récit « Dix jours dans un asile » que Bly fit paraître en feuilleton dans le « World » puis en volume est présenté ici avec du suspense. D'abord parce que si l'on ne connaît pas la vie de Nellie Bly, on peut aisément être dupé au début de l'album et croire que cette Nelly Brown (son identité d'emprunt) est vraiment folle. En effet, le flash-back explicatif sur Pulitzer et « The world » ne vient qu'après. Ensuite parce que le sous-titre choisi est plus énigmatique qu'une simple reprise du titre de l'article et laisse planer le doute : on ne sait pas si elle va en sortir. Les menaces sont nombreuses comme l'indique la couverture. On y voit Nellie Bly de profil, menton en avant et air déterminé. Elle est élégamment vêtue et arbore un chapeau « à panache rose » mais l'arrière-plan est inquiétant : les tons sont bleuâtres, le ciel est chargé et les nuages se muent en de mystérieuses tentacules qui l'enserrent et la rendent prisonnière. En surimpression on aperçoit les encordées, l'asile et des arbres morts.

La matérialisation de la folie et du danger est effectuée dans le corps de l'oeuvre à travers la présence récurrente de monstres proches de Cthulhu tapis dans l'ombre, de tentacules qui envahissent l'espace et de silhouettes fluorescentes. le jeu sur la lumière est aussi partie prenante. On a l'impression que le bâtiment de l'hôpital psychiatrique est malfaisant et crée une atmosphère à la Henry James. On a ainsi un glissement vers le film d'horreur (d'ailleurs hasard ou référence, « l'antre de la folie » est aussi le titre d'un film de Carpenter !) mais cela permet de mieux souligner l'horreur de la situation et de retranscrire l'engagement émotionnel de Nellie qu'on ressent si bien à la lecture de son article.

Une transposition efficace

Virginie Ollagnier et Carole Maurel optent donc pour un traitement fantastique paradoxal qui in fine permet une dénonciation naturaliste. On observe un réel aspect documentaire dans ce roman graphique. Comme la journaliste, les deux autrices « portent la plume (et la mine de plomb) dans la plaie » selon la formule d'Albert Londres. Virginie Ollagnier s'était déjà intéressée à la psychiatrie du début du XXe siècle dans son premier roman : « Toutes ces vies qu'on abandonne » en 2007 mais pousse ici son souci de documentation à l'extrême en s'appuyant notamment sur les actes authentiques d'un congrès de la société américaine de psychiatrie et sur les méthodes de traitements préconisées : bains glacés, camisole en tissu et chimique etc …

On y retrouve également des détails sordides qui transposent bien ceux du récit de la journaliste : aliments avariés, vermine, travail forcé, coups, humiliations psychiques … Les mêmes litotes sont présentes (les visites suspectes des médecins la nuit, la naissance puis la disparition d'enfants au sein de l'établissement). Certains passages, comme les visites de curieux qui viennent voir les folles comme ils se rendraient au zoo évoquent également le roman de « le bal des folles » de Victoria Mas. Pas d'emphase, un simple constat. le lecteur tire ses conclusions et s'en indigne lui-même.

Le dessin n'est jamais redondant. Il donne la part belle aux expressions des personnages, individualise chacune des pensionnaires et nous permet ainsi de nous attacher à elles. Maurel joue également sur les angles de prise de vue, les cadrages et les décors qui sont détaillés et signifiants. Elle varie le découpage et nous offre de superbes pleines pages. Pour dénoncer les conditions insalubres dans lesquelles évoluent ces femmes, les couleurs sont froides, bleutées avec un rendu un peu sali. La dessinatrice utilise également un encrage à la plume et à la mine grasse qui donne un côté très charbonneux parfois aux planches et s'accorde bien avec la noirceur du propos. L'héroïne, quand elle n'est pas encore internée, porte des tons roses (elle a longtemps été surnommée Pinky à cause de son goût pour cette couleur) mais une fois à Blackwell, elle est comme aspirée par le lieu et se fond dans le décor grisâtre.

Portrait d'une personnalité « exemplaire »

Des épisodes de l'album tranchent avec cette dominance, il s'agit des flash-backs car cet album c'est avant tout le portrait d'un personnalité hors-normes. Les flash-backs ne sont pas arbitraires mais montrent le cheminement de Nellie Bly et ses motivations. C'est une perpétuelle indignée, de son enfance déclassée et des violences envers sa mère dont elle a été le témoin, elle garde une rage et une colère. Elle lutte avant tout contre l'injustice et sa volonté de défendre les femmes pauvres en particulier c'est ce que montre fort bien la scénariste.

Ces retours en arrière sont amenés avec fluidité lors de la nuit de veille que s'impose Nellie à la pension afin de manquer de sommeil et de passer plus aisément pour folle puis lors de ses insomnies à l'asile. Ils ne constituent pas une digression mais prolongent le propos. La vie de Nelly Bly permet, en effet, comme ses écrits de dénoncer la maltraitance dont est victime la gente féminine. le sort de sa mère d'abord « condamnée » à se remarier pour survivre à la mort de son père car spoliée par les enfants du premier lit puis par le notaire et surtout son exemple à elle. Nelly n'est ainsi jamais embauchée comme l'aurait été un homme mais demeure pigiste même après son coup d'éclat et quand elle dérange on tente de la remettre à sa place « de femme » et on veut lui confier la rubrique théâtre ou la page jardinage …On a ainsi un savant jeu d'échos entre le microcosme de l'asile et le macrocosme de la société de la fin du XIXe : certaines femmes sont envoyées là -bas parce qu'elles sont des poids pour leur famille qui ne peuvent plus subvenir à leurs besoins, parce qu'elles n'obéissent pas parce qu'elles ont trompé leur mari. On cherche à brimer les individualités et à faire entrer les femmes dans une norme…

C'est donc un magnifique album agrémenté comme toujours dans la collection Karma d'un beau cahier graphique final avec des recherches de personnages, des pleines pages inédites et surtout une passionnante interview des deux autrices menée de main de maître par le directeur de collection Aurélien Ducoudray. Virginie Ollagnier y décrète « Nellie est entrée dans ma vie lorsque j'ai cherché des modèles de femme à ma fille ». Au-delà de l'anecdote de Blackwell, cette aventure « dans l'antre de la folie » montre la dure condition féminine dans la société occidentale de la fin du XIXe et le rôle clé joué par la jeune femme « pour donner la parole à ceux qui en sont privés » et dénoncer les injustices. Nous quittons la journaliste juste après le succès et les retombées médiatiques, politiques et sanitaires de son premier gros coup et l'on se prend à rêver d'un nouvel album qui mettrait en exergue cette fois comment Nellie Bly a fait non seulement de ses écrits mais aussi de sa vie un combat émancipatoire et l'on aimerait que les autrices nous embarquent dans un tour du monde en soixante douze jours ou derrière les lignes …
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Ma première rencontre avec Nellie Bly s'est faite grâce à l'entremise de Pénélope Bagieu dans Les culottées. Cette femme m'avait déjà fasciné donc quand j'ai vu qu'une bande dessinée lui était dédiée, je n'ai pas hésité une seule seconde.

Nellie Bly est un personnage d'envergure, une journaliste d'investigation qui n'a pas froid aux yeux. Elle décide de "jouer la folle" pour se faire interner à l'asile Blackwell. La facilité de son emprisonnement, car il s'agit bien de cela, est déconcertante. Elle y reste 10 jours avant de demander de l'aide à un ami car les conditions sont épouvantables. Elle découvre toute l'horreur de la "charité" de cette institution allant de la maltraitance à la torture en passant par le viol. Dès sa sortie, elle dégaina sa plume pour rendre justice à ces femmes, à ces femmes brisées que la violence a davantage affaiblies. On croise des femmes qui ont été "mises" ici car elles encombraient leur famille, des femmes qui n'avaient nulle part où aller, des femmes qui n'ont pas compris comment elles sont arrivées là, des femmes dépressives, des femmes faisant face à des tourments psychologiques mais nous ne croisons pas de médecins cherchant à comprendre et à les aider. C'est d'une brutalité sans nom !

J'ai beaucoup apprécié aussi les retours dans le temps pour nous parler du passé de Nellie et plus précisément d'où vient sa fougue. Cette analepse n'enlève en rien l'essence même du sujet principal de cette bande dessinée : l'auteur fait une digression mais reste complètement connecté au récit.

Les graphismes sont superbes. Ils représentent bien l'univers sombre et empli de noirceur du récit.

Je vous conseille vivement cette bande dessinée pour découvrir le travail d'une des pionnières du journalisme d'investigation ! Quand je me suis rendu compte que cette bande dessinée ne retrace qu'une petite partie de sa vie, cela me donne envie de soulever des montagnes.
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Avant même la lecture, les différentes chroniques vues ici avaient provoqué un coup de coeur pour le travail de Carole Maurel. Un coup de coeur ça ne s'explique pas…
J'ai beaucoup aimé cet album. L'histoire évidemment, contée par des flash-backs audacieux, celle d'une femme très attachante qui veut s'affranchir, s'exprimer, donner la voix à ceux qui ne l'ont pas, aider les plus fragiles, qui veut être libre. Celle aussi des autres femmes croisées, des histoires déchirantes et cruelles. Mais je suis aussi touché par l'univers crée par Carole Maurel : les couleurs et surtout les personnages… ces yeux, ces regards, ces expressions, ces émotions si bien exprimées. Je suis conquis.
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Remarquable et édifiant ! J'ignorais l'existence de Nellie Bly et suis très heureuse de l'avoir découverte à travers cette BD absolument superbe et qui me donne envie de découvrir d'avantage cette femme remarquable.
Bravo à Virginie Ollagnier (scénariste) et à Carol Maurel (dessinatrice) pour cette magnifique collaboration. On ressort de cette lecture bouleversé, interpellé et avec un certain soulagement. La joie de retrouver sa liberté après un plongeon de près de 200 pages dans un univers aliénant.
Qu'une femme puisse être internée parce qu'elle n'est pas utile la société ou ne répond pas au rôle que celle-ci attend d'elle nous paraît aberrant. Mais il existe encore bien des endroits dans le monde où cela se produit encore.
Merci aux "Nellie Bly" qui dénoncent toujours et encore ces situations monstrueuses.
Décidément je suis de plus en plus conquise par ce style de BD.
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Une jeune femme, considérée comme folle, est envoyée dans l'asile psychiatrique sur l'île de Blackwell à New York. Elle y découvre un monde atroce, fait de brimades, de privations, de violences… sur des femmes qui loin d'être démentes ont pour principal tort avant tout d'être des femmes (pauvres qui plus est).
Ce récit sera publié dans un journal avant d'être publié dans un livre (toujours disponible) : "10 jours dans un asile". Car contrairement aux autres femmes internées, Nellie Bly, journaliste intrépide, avait pris ses précautions pour en sortir rapidement, la plupart y restant jusqu'à leur mort (assez rapide d'ailleurs), faute de soutien extérieur. En cette seconde partie du XIXe siècle, les États-Unis sont en plein essor industriel et économique, mais les idées ont encore du mal à progresser. Ainsi les femmes dépendent intégralement des hommes et une réaction de révolte ou d'indépendance pouvait les envoyer en asile pour hystérie ou autre mal féminin. Cette enquête fut la première grande réussite de Nellie Bly, qui eut énormément de mal à se faire publier dans les journaux de l'époque et dut prendre des risques pour sa santé et sa vie afin d'obtenir toutes ses informations.
Virginie Ollagnier, qui n'en est pas à une première concernant les débuts de la psychiatrie (je ne peux que vous conseiller l'excellent "Toutes ces vies qu'on abandonne"), fait ici le portrait d'une jeune femme déterminée (elle n'a que 23 ans lors de cette enquête), nous décrit les conditions terribles dans les asiles à cette époque et les conséquences que les écrits de Nellie Bly auront sur la situation. En sachant que la journaliste devra justifier de ses dires… devant un parterre d'hommes, bien sûr.
Quant à la dessinatrice, Carole Maurel, elle apporte une note de sensibilité magnifique, alternant planches très colorées relatant des épisodes passés de la journaliste, et celles se passant dans l'asile, sombres, hantées par des fantômes, hachurées et « sales », nous montrant ainsi toute l'horreur de ces maisons. Les personnages sont décrits en quelques traits, simples (en apparence !), allant à l'essentiel et pourtant ne manquant pas de sensibilité.

L'ensemble est une réussite totale, nous faisant découvrir l'oeuvre d'une pionnière : en tant que femme, en tant que féministe, en tant que journaliste d'investigation, inventant le reportage en immersion quelques décennies avant Albert Londres.
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