Onfray au meilleur de sa forme.
On retrouve sa marque de fabrique, sa verve iconoclaste, une radicalité souvent pertinente. Mais parallèlement, indissociables des dérapages non contrôlés ( ?), des skuds qui zèbrent un paysage d'analyses solidement argumentées.
Mais l'intérêt de ce livre est d'interpeller, de faire réfléchir, ce n'est pas un livre à ranger à coté de manuels desséchés comme des oueds.
C'est un vrai livre philosophique avec comme matrice la vie et l‘oeuvre de Camus, les deux ingrédients étant indissociables.
On sait que ce critère, cette « catégorie » sont déterminantes dans les analyses d'
Onfray ; il a la dent dure contre ces « professeurs de philosophie » qui ont une vie si peu philosophique.
Onfray met en cause ces professionnels de la philosophie qui développent des systèmes très sophistiqués mais qui se révèlent des « maisons inhabitables » des « papillons que l'on épingle » dans une collection, si éloignés de la vie philosophique, de la vie tout court.
Cette appréciation déroule le fil d'ariane principal avec comme point d'orgue l'opposition existentielle entre Camus et
Sartre.
Non sans fondements,
Onfray souligne combien les origines géographiques et sociales de Camus ont formaté sa sensibilité, ses choix intellectuels, politiques. Toutefois, le mode répétitif pour rappeler, au cas où le lecteur l'aurait oublié, les origines très modestes de Camus affaiblit le propos. Et bien sur, cela devient franchement énervant, car derrière ces origines apparaissent en filigrane les propres origines d'
Onfray qui se réincarne un tantinet.
Mais outre la (re)découverte de Camus, l'intérêt principal de ce livre est de poser des interrogations essentielles : qu'est-ce qu'une vie philosophique ? Qu'est-ce qu'une oeuvre philosophique ? Comment donner sens à la philosophie dans un contexte historique dramatique ?
La vie et l'oeuvre de Camus sont à cet égard une précieuse boussole.
« Ni bourreau ni victime »
La subtilité, l'humanité d'un Camus apparaissent plus que jamais nécessaires aujourd'hui où les esprits tendent de plus en plus à être formatés en mode binaire.
Le citoyen qui n'adhère pas à l'Europe, version traité de Lisbonne, est nécessairement anti-européen, souverainiste, frontiste…
Le citoyen reçoit en permanence des injonctions pour se déterminer, comme dans ces votes plébiscites des jeux de télé réalité, « votez 1 ou 2… »
Le mode binaire à l'époque de Camus fut tragiquement utilisé avec la guerre d'Algérie. Il fallait choisir son camp, les actes de barbarie des ultras du FLN d'un côté ou la répression sanglante de l'armée française de l'autre.
« Ni bourreau ni victime », Camus avait la fraternité chevillée au corps. Il ne pouvait adhérer à l'appel au meurtre aveugle d'un
Sartre contre le « colon », en réalité pour la majorité, des êtres humains dont les seuls torts étaient d'être blancs, au mauvais endroit, au mauvais moment.
L'intolérance du philosophe parisien, bien confortable à vivre, fut d'autant plus virulente qu'il avait raté son rendez-vous avec l'histoire, par exemple en 1933 1934 alors qu'il vivait à Berlin.
Rien vu, rien entendu, rien dit, des autodafés, des combats de rue pour exterminer tous les opposants et ceux que le régime nazi condamnait par essence, les untermenschen.
Plus facile de jeter l'anathème sur Camus que sur Hitler…
La vie et l'oeuvre de Camus demeurent par conséquent à jamais une conscience de la condition et de la dignité humaines, bien plus précieuses que certains systèmes philosophiques académiques prestigieux.
Dans ce livre riche et très dense, des faiblesses en particulier au sujet du surréalisme historique et tout particulièrement d'
André Breton.
Onfray peut ne pas apprécier ce mouvement et ses animateurs mais le moins que l'on puisse dire est que, dans cet essai son avis manque de consistance et de rigueur. S'agissant du bouillonnement et de la créativité poétique, artistique, politique qui ont animé ce mouvement ce n'est pas très sérieux, pas très philosophique, d'exfiltrer des citations, des anecdotes sans les situer dans leur contexte, de les analyser soigneusement. Et si des intellectuels ont eu des vies engagées, philosophiques, au cours des ces années noires, ce sont bien les surréalistes. Rien à voir avec l'étiquette de nihilisme de salon ou de terrasse de café parisienne qu'
Onfray colle aux surréalistes. La vie des
André Breton,
Robert Desnos,
Benjamin Péret etc… furent un combat permanent pour la liberté, au mépris de leur confort, de leur « carrière ». Peu d'artistes, d'intellectuels de cette époque peuvent justifier d'une vie aussi exposée et ce du bon côté. Pour
Onfray, seul
René Char semble échapper au dénigrement.
Ce livre est néanmoins remarquable et je lui mets sans hésiter la note maxi