Très beau livre à la fois livre d'art et recueil que je lis par bribes à chacune de mes visites dans la bibliothèque de mon enfance, à chacun de mes retours dans ma ville natale qui gît à 6000 km de mon foyer actuel.
Les textes d'Owen sont admirablement illustrés dans un style surréaliste tout à fait à propos par les peintures de Bogaert. Il y a dans ce recueil un vrai dialogue entre peinture et littérature qui nous saisit comme un froid d'automne et nous fait entrer dans la fiction. Toutes deux agissent profondément mais de manière très abrupte à la fois sur la conscience et l'inconscient afin de nous transporter non pas dans un autre monde mais plutôt dans un entre-monde, presque réaliste mais déjà complètement corrompu par l'imaginaire.
Cela parle d'art, de mort et de relations humaines : À chaque fois, les personnages semblent se côtoyer, vivre ensemble selon une routine bien huilée mais cette routine se trouve à un instant donné brisée non pas comme le font des êtres à la fin de leur histoire d'amour, d'amitié, leur relation professionnelle ou commerciale etc. mais plutôt comme n'ayant jamais commencé, anéantissant l'ensemble du récit qui précède.
Et ce que la peinture comme le texte donnent alors à contempler ce sont des lieux et des objets vidés de leur sens.
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Lorsqu'il ya quelques mois, le feu du ciel frappa une fois de plus la maison, l'éclusier François Boncoeur, fils de Joseph, décédé entre-temps, découvrit une petite tête et un bras minuscule dans la pièce basse où l'eau avait été pompée pour faciliter la réparation des
dégâts.
Sur le pavement humide, ces débris dérisoires, venus on ne sait d'où, étaient ceux d'une poupée de porcelaine au visage blafard et aux cheveux roux. Il mit ces étranges choses dans une petite caisse et s'en fut enterrer discrètement celle-ci au cimetière de Morville, derrière le calvaire de béton où des gens parfois jettent, par facilité, des bouquets fanés.
Les rares initiés se sentirent soulagés qu'ait été accompli ainsi un rite qui ne s'était que trop fait attendre. Ils considérèrent que le sortilège était désormais conjuré et que le feu du ciel ne viendrait plus jamais frapper la maison située au point précis où se rencontrent la route de Pont à Crans et le canal des Ayguières. Il faudra sans doute attendre vingt ans encore pour voir s'ils ont dit vrai. Mais, voyez-vous Monsieur, nous ne serons plus là pour le savoir.
Jean-Baptiste Baronian parle de Thomas Owen