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Poussière dans le vent » de Leonardo Padura est un magnifique roman qui nous embarque pour Cuba alors que le récit est, au contraire, une histoire d'exil.
Le roman débute en 2013, aux Etats-Unis, lors de la rencontre de deux jeunes, d'une vingtaine d'années, Marcos -originaire de Cuba- et Adela. Mais, c'est par une vieille photographie d'un groupe d'amis cubains, prise en 1990 et postée par Clara, la mère de Marcos, que tout va réellement commencer. Cette photo va faire naitre une interrogation au jeune couple tandis que de vieux souvenirs remontent à la surface pour les protagonistes présents sur la photo. Une photo qui nous fait faire un retour en arrière dans le temps, et repartir pour Cuba, dans les années 80/90.
Cette photo représente l'histoire d'un groupe d'amis qui s'est créé autour de Clara, qui a perdu tôt ses parents. Les amis se retrouvent souvent dans la maison de Clara, autour de plats et de boissons que chacun ramène au gré des aléas économiques. La maison mais surtout la jeune femme seront les points d'ancrage du groupe. le noyau dur du clan est composé de Clara, Daro, Bernardo, Elisa, Walter, et Irving…
Cette photo marque le moment avant le basculement, avant qu'un évènement ne vienne tout bouleverser. Ou plus exactement deux, concomitants : la mort d'un des membres du groupe, Walter et la disparition d'Elisa, une belle jeune femme, attirante mais à la face sombre. S'en suivra une enquête policière pour résoudre la mort mystérieuse du jeune artiste. le groupe sera interrogé, des heures durant, ce qui va, bien entendu, perturber et angoisser plus d'un. Et qui sera pour certains l'élément déclencheur d'un départ de l'île, d'un exil.
On découvre au fil des pages l'histoire de chacun des membres du groupe, leur parcours, leurs aspirations, leurs failles, leurs blessures, leurs espérances. Et pour une majorité d'entre eux, l'espoir que le départ du pays puisse enfin leur permettre de vivre leurs rêves et être libres. Peu à peu, par des moyens illégaux ou lorsqu'enfin il sera autorisé de quitter Cuba, ils vont un à un partir vers un ailleurs, jusqu'aux deux fils de Clara, Marcos et Ramses. Seule Clara et Bernardo resteront sur l'île. Clara, celle qui reste le pilier, le centre névralgique du groupe, celle qui fait aussi qu'ils ne peuvent jamais vraiment oublier leur pays.
On suit les différents protagonistes dans leur tentative d'exil, puis dans leur nouvelle vie, et les nouvelles difficultés rencontrés (les papiers, leur diplôme non reconnu et qu'il faut des années pour valider, la recherche d'un travail), avec chacun leurs cicatrices, et leur combat à mener (homosexuel, noir, femme, réussir sa vie dans un pays étranger) et comme un jeu de miroir, on voit la vie de Clara, restée au pays.
Avec «
Poussière dans le vent », Leonardo Padura nous livre une saga politique et sociale de Cuba. Padura nous raconte le quotidien dans ce pays communiste, l'embargo des Etats-Unis depuis 1962, les difficultés de tous les jours pour se nourrir, pour vivre ou survivre, les pénuries aussi bien alimentaires que matérielles, le chômage, le fait de devoir faire attention à tout ce qu'on peut dire, de devoir taire ses opinions politiques et critiques vis-à-vis du pouvoir, de devoir faire attention à l'autre, potentiellement espion du parti… et cette obsession de partir pour bon nombre de cubains.
Et c'est à travers ces différents personnages que Padura évoque les ressentis des cubains, notamment vis-à-vis du ‘'départ''. Il nous présente comme une typologie de ceux qui souhaitent partir, des exilés. A celui qui voit son départ comme une fuite en avant pour enfin être libre, pour ne plus avoir peur, à cet autre qui le vit comme un exil, un vrai déracinement avec un point au coeur parce qu'il n'y a pas d'autres choix, attaché à un espoir de retour ou, au contraire, un autre faisant table rase sur la vie d'avant, et même jusqu'à ce qu'il ‘'était'' avant. Dualité pour leur pays, entre amour et haine, comme une vraie histoire passionnelle ravageuse.
D'ailleurs les histoires d'amour et d'amitié sont loin de manquer … Des histoires sentimentales presque aussi compliquées et ardentes que l'histoire du pays. S'entremêlent secrets, tromperies, jalousies, amours passionnés. Et c'est en partie grâce à cela que l'auteur dessine le portrait d'hommes et de femmes denses, profonds, écartelés parfois par des sentiments ambivalents, des personnages complexes, aux caractères bien trempés. On s'attache forcément à certains d'entre eux. Pour ma part, j'ai particulièrement aimé les moments d'introspection d'Irving, le meilleur ami de Clara, durant sa vie en Espagne.
Peu à peu, par ces différents portraits sombres et lumineux, l'auteur nous dessine les contours de Cuba aux multiples aspérités, un pays à la fois fascinant et terrifiant. C'est toute une société que Padura nous raconte, à travers ces jeunes hommes et femmes, c'est l'histoire de ce pays insulaire à travers leurs histoires, et réciproquement. Car la vie de ces jeunes gens -que ce soit leur quotidien et même leur chemin de vie- est forcément impactée, corrélée à l'histoire politique et économique de Cuba. Ils vivent de manière exacerbée, au rythme des évènements politiques et sociaux du pays. L'auteur nous décrit avec précision ces différentes périodes et faits marquants : la guerre froide, l'embargo avec les Etats-Unis, les liens avec l'URSS, le droit enfin de pouvoir librement sortir du pays, les années les plus difficiles économiquement, laissant les habitants affamés et obligés de vivre de la débrouille.
L'auteur utilise un fil narratif intelligent. En se servant des techniques du roman policier, il réussit à tenir le lecteur en haleine. La mort de Walter reste en effet une énigme tout au long du roman. Accident, suicide ou meurtre ? L'histoire tourne autour de cette mort, des interrogations, des suspicions des uns et des autres mais aussi autour de la disparition d'Elisa, deux évènements qui leur paraissent liés.
Dans ce roman de plus de 600 pages, par de nombreux flashbacks, on revit certaines périodes, mais agrémentés de nouveaux éléments, des points de vue des divers personnages, pour ne pas dire éclairés par de nouveaux indices. Ces flashbacks récurrents mettent encore plus en exergue leurs esprits et comportements imprégnés par ce qu'il s'est passé, par leur passé. Car bien entendu, on ne quitte pas Cuba d'un coeur léger. On laisse derrière soit un tas de souvenirs, d'amertumes, de traumatismes et de culpabilités aussi, de relations parfois houleuses, mais aussi des amis, des parents...
J'ai découvert l'écrivain Leonardo Padura avec ce magnifique roman «
Poussière dans le vent », fort, puissant. Un roman qui marque indéniablement le lecteur. Padura est un formidable conteur, un amoureux de son pays, âpre, chaud et humide tout autant que de ses compatriotes courageux, pugnaces, émouvants …