J'ai tout aimé dans ce livre : sa couverture désuète, douce et poétique ; l'écriture musicale, les partitions déroulées, la danse du premier acte ; l'intrigue, le choix des moments décrits, la ponctuation ; ce dialogue incroyable dans la voiture, tout est là en quelques mots, quel tour de force ! Bravo à l'autrice !
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TOI. – Il pousse la porte. Il t’appelle. Il te cherche. Tu ne lui dois aucune explication. Ce n’est pas de l’amour. Quelqu’un qui t’aime ne te veut pas de mal. Quelqu’un qui t’aime, il te répond quand tu lui parles. Il est content quand t’es heureuse. Il est heureux quand tu souris. Quelqu’un qui t’aime, il ne cherche pas à tout te casser. Il ne cherche pas à tout te prendre. Quelqu’un qui t’aime, tu ne tournes pas sept fois la langue dans ta bouche avant de dire quelque chose. Quelqu’un qui t’aime, il ne s’amuse pas à te faire pleurer. Il ne te force pas à faire ce que tu n’as pas envie de faire. Quelqu’un qui t’aime, il ne te fait pas la gueule parce que tu n’as pas voulu lui tailler une pipe. Quelqu’un qui t’aime, il ne te réveille pas au milieu de la nuit pour te gueuler dessus. Quelqu’un qui t’aime, il ne te punit pas. Quelqu’un qui t’aime ne te punit pas. Il ne cherche pas à te faire peur. Il ne cherche pas à te faire mal. Quelqu’un qui t’aime, ce n’est pas ça. Ça, ce n’est pas de l’amour.
(Voix)
– (À deux.) Pourquoi tu ne dis rien ? // (Murmure.) J’arrive pas à parler. C’est de ma faute. Tu ne m’écoutes pas.
– (À deux.) T’es chiante. // (Murmure.) Je ne t’aimerai jamais.
– (À trois.) Quelqu’un qui t’aime, il ne te force pas à faire ce que tu n’as pas envie de faire. // J’ose plus rien dire. // (Murmure.) Quelqu’un qui t’aime, il ne te force pas à lui tailler une pipe.
– (À deux.) Il tire sur mes cheveux, m’écrase le front contre son ventre. // (Murmure.) Ce n’est pas de l’amour.
(Voix)
– Je t’aime.
– Il voudra te convaincre que tu ne peux pas exister sans lui.)
– (À deux.) Tu savais très bien ce qui allait se passer. // Prends-la. Pourquoi tu pleures ?
– (Murmure.) Quelqu’un qui t’aime, il ne te fait pas la gueule pendant deux heures parce que tu n’as pas voulu lui tailler une pipe.
– C’est une forme de résistance interne. Tu es entrée en résistance.
(Voix)
– Mon amour, mon ange, pardonne-moi.
– (À trois.) Ne te précipite pas. // Ses mains sont calmes. Ça te rassure. // (Murmure.) Numéro cinq. Numéro sept. Numéro neuf.
– (Murmure). Quelqu’un qui t’aime, tu ne tournes pas sept fois la langue dans ta bouche avant de dire quelque chose.
– Je ne suis pas ton père.
– Tu es tellement belle.
– Ce n’est pas de l’amour.
Pauline Peyrade – Quand l’art dramatique se saisit du réel
15 mars 2022
Le point de départ de l’écriture, c’est l’histoire d’une enfant de onze ans qu’un tribunal français a reconnue consentante à son propre viol. Devenue jeune femme, l’écriture l’invite à se faire justice elle-même. La pièce de Pauline Peyrade met en scène la jeune fille et son agresseur dans une situation qui dérape, qui n’est pas préméditée, mais dont il demeure responsable, pour ne pas dire coupable. Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. Parce qu’il y a des points de non-retour, des intolérables. Parce qu’on exhorte les soumis·es à la non-violence, au silence, afin d’éviter que les forces ne se renversent. Parce que les femmes qui usent de la violence deviennent aussitôt des monstres. Parce qu’à la violence répond la violence, implacable, furieuse.
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