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EAN : 9782707348197
160 pages
Editions de Minuit (05/01/2023)
3.29/5   168 notes
Résumé :
J’entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l’échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu’au milieu du matelas. Je me terre dans l’angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand e... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
3,29

sur 168 notes
« Nous vivons rangés, à moitié morts »

Dans ce premier roman, Pauline Peyrade confronte Elsa, une enfant puis une jeune femme, à sa mère qui vient d'acheter un appartement, symbole de leur vie rangée. Si la vie en commun n'est pas aisée, entre les peurs de l'une et les aspirations de l'autre, l'émancipation n'est guère plus facile.

Elsa, qui est encore une fillette au début du roman, doit quitter sa maison et son établissement scolaire pour emménager avec sa mère dans le nouvel appartement qu'elle vient d'acquérir, en espérant pouvoir honorer les traites de son crédit.
Pour sa fille, elle a préparé une chambre avec des lits jumeaux, ce qui l'angoisse car, vivant seule avec sa mère, elle ne comprend pas très bien la finalité de ce choix. Pas plus que les angoisses et les injonctions d'une mère qui la phagocyte. Tout en réclamant sans cesse des preuves d'amour à sa fille, elle reste elle-même très intransigeante, puis possessive. On découvrira plus tard qu'elle a été victime de violences.
Pour Elsa, la respiration va venir avec l'arrivée dans son nouvel établissement scolaire. Issa, une belle jeune fille aux cheveux magnifiques la prend sous son aile. Très vite, les deux jeunes filles vont devenir inséparables. Et si sa mère refuse que sa fille passe la nuit chez Issa, elle accepte cette dernière sous son toit. Après tout, elle avait justifié le lit jumeau en affirmant: «Tu pourras inviter tes nouvelles copines à dormir, comme ça». Une nuit qui va se transformer en initiation sexuelle, mais aussi causer leur séparation. Cet Âge Un s'achève avec la reprise en mains par sa mère.
Puis vient l'Âge Deux, une vingtaine d'années plus tard. Si Elsa a trouvé un petit appartement sous les toits, elle n'en est pas libre pour autant. Pourtant ce n'est pas faute d'essayer via les sites de rencontre ou des voisins qui, lorsqu'ils font l'amour, l'émoustille. Mais ces instants ne sont que des pis-aller. Elle reste sous emprise, avant de comprendre, comme le laisse entendre la phrase de Virginia Woolf en exergue du livre, qu'après l'âge de comprendre vient celui de détruire.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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L'auteure vient du théâtre, c'est peut-être qu'ainsi naît un roman bien charpenté, en deux parties, deux actes, quant au titre il est pris à Virginia Woolf .
Tout d'abord la vie d'une petite fille de 7 ans, Elsa, seule avec sa mère, et seconde partie, vingt ans après quand elle a enfin pris son indépendance.
Lorsque Elsa a 7 ans et que sa mère peut s'acheter un appartement, elle s'installe dans son nouvel environnement, s'étonne que sa chambre comporte 2 lits superposés, s'intègre bien dans sa nouvelle école où elle devient l'amie d'une jolie Issa , une amitié qui lui retourne les sens et qui finit mal. Elsa en fait reporte sans en avoir conscience,mais avec violence le comportement incestueux de sa mère. Cette mère est abusive, violente, détraquée aussi au sens figuré. Cette femme éprouve une telle détresse d'être seule que ses fantasmes se reportent sur sa fille. La seconde partie montre une Elsa adulte qui se débat et à bien du mal à se défaire de ce lien dit maternel toxique, lien matérialisé dans le roman par 3 bagues , émeraude, rubis, saphir, offertes par la grand-mère à sa fille et que celle ci voudra transmettre à Elsa.
Et pourtant à la lecture, cette violence apparaît par touche, les mots sont choisis subtilement, au début tout à l'air paisible et pourtant sourd une angoisse diffuse que j'ai bien ressentie.
Du beau travail.

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Avec les Éditions de Minuit, c'est quitte ou double, nuit noire ou pleine lune. La maison privilégie la simplicité des histoires et l'économie des mots, d'où cette impression de minimalisme qui peut exaspérer. J'ai la conviction (ce devrait être toujours le cas, en vérité) qu'il faut lire les textes de ce catalogue d'un trait, sans interruption. Leur magie tient à leur sens du détail.
Le roman de Pauline Peyrade n'échappe pas à la règle. Tout est dans le ressenti, dans cette atmosphère étouffante et poisseuse. Il faut un vrai talent pour susciter l'angoisse entre deux meubles Ikea. Je ne retiendrai ni l'histoire, ni le style mais une mise en scène implacable, un huis clos dans lequel les personnages principaux, la mère et la fille, peuvent imploser à tout moment.
Le sujet du roman est somme toute assez banal : une mère de famille à la dérive dont le navire se délabre, risquant d'entraîner dans son naufrage l'unique trésor qui puisse encore la sauver. L'appartement est ce navire. Il est toujours question de l'embellir, de le remettre à flots. Projet sans cesse repoussé. Sous cette métaphore, « L'âge de détruire » est l'illustration, implacable et subtile, du déclassement social, de la déchéance, d'une indigence qui s'empare des consciences tel un virus infectant l'organisme.
J'ai été captivée, mais aussi frustrée par quelques ellipses (je pense à la relation avec la petite Issa – magnifiques pages 48-50).
Bilan : 🌹
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J'avoue que tout le long de la lecture de ce texte (à l'écriture délicieuse mais au sujet particulièrement éprouvant), je me suis demandé sur quelle terrible catastrophe allait déboucher ce tête-à-tête étouffant entre une mère toxique, tyrannique, violente et sa fille Elsa. La mère vient d'acheter un appartement et l'enfant arrive dans un espace nouveau qu'elle n'a bien sûr pas choisi. Elle va devoir s'adapter à une nouvelle chambre, un nouveau quartier, une nouvelle école. C'est peut-être ce qui caractérise l'enfance : accepter des choses qu'on n'a pas choisies. Difficile d'échapper à l'emprise de l'adulte dont on dépend, difficile de s'opposer, de protester, de dire non. Subir. Subir les lieux. Subir la nourriture. Subir les choix, tous les choix, les bons et les mauvais. Se soumettre. Ne jamais rien dire. Attendre de grandir. Mais échappe-t-on vraiment un jour au poids de la famille et aux traumatismes de l'enfance ? Ici, le regard de l'enfant s'attache à observer les lieux, les choses et le temps qui passe avec beaucoup de minutie, comme si la contemplation du monde, en lui emplissant l'esprit, allait lui permettre d'échapper à sa mère, à ce huis clos insupportable et particulièrement oppressant. Une mère paumée qui s'agrippe à sa fille (physiquement et moralement) pour s'empêcher de couler sans se rendre compte qu'elle l'entraîne elle aussi dans son naufrage. L'écriture à la première personne, sensible et sensuelle, rend parfaitement bien les états d'âme d'une enfant réduite au silence à cause d'une mère abusive et égocentrée, une mère qui chaque jour détruit un peu plus sa fille. Et c'est la façon dont l'enfant perçoit ce quotidien, cette violence sourde, silencieuse et répétée qui nous est racontée à travers son point de vue.
Un texte fort et puissant qui dit toute la violence familiale : une lecture en apnée dont on sort épuisé tandis que les dernières lignes nous mettent à terre. Magnifique !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Les premières lignes du roman de Pauline Peyrade frappent par leur extrême précision, comme si la narratrice, une enfant dont on ne sait rien encore, cherchait à tout scruter pour comprendre l'incompréhensible, à tout nommer pour nommer l'innommable. C'est vraiment ce ton qui frappe d'emblée comme une grande réussite en même temps qu'il met mal à l'aise. Nous sommes donc placés en état d'ultra-vigilance, nous demandant le coeur battant ce qui se passe de si horrible dans cet appartement où vivent la narratrice et sa mère; et quand viendront les scènes qui peuvent tenir lieu de réponse, nous ne comprendrons pas plus que cette petite fille ce qui se passe, et cela en dépit de phrases affutées comme des lames. C'est cet état de sidération de la victime qui est si bien rendu qu'il est partagé par le lecteur.

Au-delà du thème de la maltraitance d'une fille par sa mère, dont la violence bouscule forcément mais n'incite pas à se jeter le coeur léger dans la lecture, ce que je trouve très fort dans ce texte est son écriture parfaitement tenue. Chaque mot est porté au maximum de son expressivité et s'enchaîne comme un chapelet de petites bombes parcimonieusement lâchées, à la précision de tir redoutable.
"Les battements de mon coeur font trembler mes os, ma gorge, mes cuisses, mes poumons sont sur le point d'éclater" (p97) : on sent au coeur de cette phrase (et plus précisément dans le rôle tenu par "mes poumons", fin de l'accumulation ou début de la proposition d'après ?) un glissement imperceptible et souterrain qui la fait bouger au point de la menacer, créant ainsi une zone trouble au plein coeur de la netteté. Les phrases sont à l'image du roman, troué par un abîme que la maîtrise du style n'arrive pas à circonscrire. C'est bouleversant et très beau.
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critiques presse (7)
OuestFrance
06 juin 2023
La romancière américaine dessine le portrait d’une jeune fille, irritante et attachante, paumée un été au milieu des riches
Lire la critique sur le site : OuestFrance
LeDevoir
17 mai 2023
Un secret terrible et inconcevable qui se reproduit, entre colère, enfermement et soumission, d’une génération à l’autre. Un appétit vorace qui pousse une mère à dévorer ce qu’elle-même a créé.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
SudOuestPresse
12 mai 2023
Dramaturge, metteuse en scène remarquée, la trentenaire Pauline Peyrade a été récompensée pour son roman « L’Âge de détruire » paru aux Éditions de Minuit.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LeMonde
21 mars 2023
Si L’Age de détruire n’est pas un roman sur les premiers émois, il est celui des pulsions. Cet intérêt pour le charnel s’inscrit au sein d’une écriture doublement saisissante : bouleversante et attrapant dans ses lignes toute la matérialité des choses, à laquelle la romancière, par ailleurs dramaturge, réserve une attention prédominante.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
21 mars 2023
Dans son premier roman « l’Age de détruire », la dramaturge décrit la relation d’une enfant avec une mère toxique et abusive.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
20 février 2023
Dans un premier roman âpre et tendu, la dramaturge Pauline Peyrade met en scène la relation toxique d’une mère avec sa fille.
Lire la critique sur le site : LaCroix
SudOuestPresse
16 février 2023
Autrice pour le théâtre, Pauline Peyrade aborde, dans son premier roman, la violence familiale
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
« ÂGE UN
Les mollets sculptés et les pieds douloureux dans ses escarpins à talons carrés, debout, seule au milieu de la chambre, ma mère trace une petite croix dans l’angle supérieur gauche du plan de l’appartement. Au-dessus de la croix, elle note le mot « cloques ». Juste en dessous, elle précise « plafond ». Elle lève les yeux et fixe un moment la peinture boursouflée, les bulles maculées de taches vertes aux contours dilués au-dessus de sa tête. Les restes d’un dégât des eaux. Il y a peu de risques que cela s’aggrave. Elle se demande si une telle remise en état lui coûterait cher en travaux. Un soupir lui échappe, bref et nerveux.
L’appartement fait cinquante-six mètres carrés. Il occupe le quart du troisième étage d’un morceau de résidence construite dans les années 1970, un ensemble de tours jaune clair de différentes formes géométriques, rassemblées autour d’une cour pavée de ciment vieux rose incrusté d’éclats de quartz et reliées entre elles par des parkings souterrains, des ascenseurs aux intérieurs couverts de moquette marron et de miroirs, des cages d’escalier en béton et des passerelles de verre aériennes. Il compte deux chambres, un salon, un balcon à l’embranchement du salon et de la deuxième chambre qui surplombe la rue, une cuisine, une salle de bains et des toilettes. Du blanc et de la toile de jute fibreuse habillent les murs. Du carrelage blanc ou rosé protège les espaces exposés à l’eau et à la saleté. Une moquette à poils ras couleur vert menthe couvre les sols des couloirs, du salon et de la chambre qui donne sur le balcon. La deuxième chambre, située à l’extrémité nord, du côté de la cour intérieure, se distingue par sa moquette mouchetée, bleu mer et blanc.
Ma mère n’a jamais fait faire de devis de sa vie.
Depuis qu’elle a quitté la maison de son enfance, elle a occupé ses différents logements sans s’en sentir responsable, de passage, les mains vides. À présent qu’elle s’est mis en tête d’acheter un appartement, elle compte et recompte, vérifie ses calculs pour s’assurer que c’est financièrement possible. Elle épluche son nouveau contrat de travail, parcourt les lignes qui détaillent son salaire à s’en user les yeux.
Elle doute encore des chiffres qui lui disent que c’est à sa portée et peine à se départir de l'idée qu'elle est en train de voir trop grand, au-delà d’elle. Devenir propriétaire, c’est suivre l’ordre des choses, pour elle, et c’est précisément ce qui lui semble anormal. Elle se regarde accomplir les démarches, rassembler les papiers, livrer chaque nouvelle pièce que la banque lui réclame pour l’ajouter au dossier, remplir et signer les documents sans ciller, comme une enfant soucieuse de faire ce qu’on lui demande, sérieusement et sans y croire tout à fait.
Un courant d’air frais navigue dans la chambre, accompagné d’une rumeur douce qui s’élève de la cour. La fenêtre est ouverte. C’est le début de l’automne. Ma mère frissonne. Par réflexe, elle regarde sa montre et oublie de lire l’heure. Sa serviette en cuir caramel pèse au bout de son bras. Malgré le froid, ses cheveux s’imbibent de transpiration à la naissance de sa nuque et de son front. Son épaule craque. Son tailleur rouge foncé, froissé par les frottements avec le siège de la voiture, lui tient chaud. L’odeur de la sueur filtrée par le coton de son chemisier la gêne. Elle porte une fine chaîne en or autour du cou, un bracelet d’or au poignet droit, une montre simple au poignet gauche, et trois bagues serties de pierres précieuses que ma grand-mère lui a offertes. Chaque bijou a une origine et une signification précises. Elle n’en change et ne s’en sépare jamais.

Ma mère plonge la main dans la poche de sa veste, ses doigts cherchent à tâtons son briquet et ses cigarettes. J’aime leur forme et le dessin sur le paquet, une gitane qui danse avec un éventail, mais je déteste leur odeur. Elle mord dans un filtre blanc, une flamme mince lui brûle le bout du nez. Son cou se contracte. Elle souffle profondément. La fumée se perd dans les boucles de la moquette en laine synthétique, bleues et blanches, minuscules, innombrables. La vue de ma mère se trouble. Elle a l’impression de les voir bouger.
Le bleu plaira à Elsa, elle pense. Les enfants aiment le bleu. Elle écrase sa cigarette contre le rebord de la fenêtre, la referme d’un geste rapide. Elle fouille à nouveau dans la poche de sa veste, en tire une tablette de chewing-gum enrobée dans du papier argenté. Elle plie la gomme contre sa langue, froisse l’emballage dans sa main. De la poussière à la chlorophylle poisse ses doigts. Elle prend une inspiration rapide, inonde sa bouche de salive, avale l’écume parfumée. Elle fait une bulle verte qui gonfle entre ses lèvres et éclate avec un bruit sec. Elle regarde encore une fois les cloques pendues au plafond avant de quitter la pièce.

Nous emménageons à la fin du mois d’octobre 1993. J’ai sept ans. Je change d’école. Je fais beaucoup d’efforts pour que ma mère ne remarque pas ma tristesse. Elle ne parle presque plus que du déménagement, des peintures à rafraîchir, des équipements qu’elle doit acheter. Elle s’exalte de la chance que nous avons, que j’ai, d’avoir bientôt un endroit à nous. Elle me dit que personne, là d’où elle vient, n’a jamais connu ce bonheur jusqu’ici. Personne là d’où elle vient, ça veut dire sa mère et elle-même.
Le jour de l’emménagement, elle vient me chercher à l’école en voiture. C’est un vendredi, la veille des vacances. Elle a pris un après-midi de congé avant le week-end pour apporter quelques-unes de nos affaires et installer les premiers meubles dans le nouvel appartement. Je ne l’ai visité qu’une seule fois et il était vide. Il ne m’a laissé aucune impression particulière, si ce n’est que je l’ai trouvé grand.
Je l’aperçois près de la grille, au bout de la cour de récréation. Elle porte un jean et un sweat-shirt, ses cheveux sont relevés en une queue-de-cheval. Elle parle avec la maîtresse qui s’occupe de l’étude. Quand elle me voit, elle me fait un grand signe de la main. Je n’avance pas. J’ai la conscience très nette de me trouver au seuil d’un changement sans retour. Je me répète que je me trouve ici, dans cette cour, pour la dernière fois de ma vie. Je m’efforce d’éprouver le concret de cette idée.
Elsa, tu viens ?
Je commence à marcher. Je gravis les secondes
comme une nageuse à contre-courant, tiraillée entre mon désir d’obéir et une résistance dérisoire au mouvement à l’œuvre. Je porte mon regard au-delà de la grille, j’étouffe de toutes mes forces la tentation de regarder en arrière et un dernier espoir qui traîne de tordre le cours du temps. Ma mère m’attend. Ses yeux me tirent à elle comme une ligne de pêcheur. Elle a l’air d’être très heureuse. Ses joues sont un peu rouges, ses pupilles brillent d’excitation. Je m’arrête à côté d’elle. La maîtresse me dit quelques mots gentils, elle me souhaite d’aimer mon nouveau quartier, de me faire des amies. Je souris poliment. Je suis pressée de partir.
Ma mère fait ses adieux et me prend par la main. Elle m’entraîne dans la rue. J’ai une surprise pour toi.
Nous montons en voiture, elle oublie de me dire d’attacher ma ceinture. Nous roulons au pas. Je ne regarde pas mon école qui s’éloigne, les façades qui défilent derrière la vitre. Je fixe les mains de ma mère sur le volant. Elle porte ses bijoux mais ses ongles sont sales. Une éraflure fraîche traverse son avant-bras. Mes yeux remontent vers sa nuque étroite et dégagée. Des moutons de poussière sont accrochés à ses cheveux.
La voiture s’enfonce dans le tunnel qui mène au parking. Ma mère se gare et coupe le moteur. Je descends, l’odeur stagnante de pneu et d’essence brûlée me donne mal à la tête. Nous longeons une rangée de places vides, puis nous pénétrons dans une salle carrelée et froide où s’arrêtent les ascenseurs. Ma mère appuie sur le bouton d’appel. Une flèche rouge s’illumine. Je renifle. Je serre les bretelles de mon cartable entre mes doigts, mes poings l’un contre l’autre sur mon cœur. Nous montons au troisième étage. La cabine sent la pluie. Je remarque un graffiti, un nom suivi d’un chiffre, gravé dans l’angle inférieur du miroir, à hauteur de mes yeux.
La clé tourne bruyamment dans la serrure. Elle pousse la porte et me fait entrer dans l’appartement.

Le salon est encombré de cartons. Elle y a disposé le mobilier, un canapé en faux cuir noir, une table basse et une étagère en rotin, comme elle l’a pu. La télévision débranchée gît à même le sol, quelques chaises sont rangées contre le mur. Des valises et des sacs-poubelle empêchent l’accès au couloir de la salle de bains.
Viens.
Ma mère se dirige vers le deuxième couloir, celui qui mène à ma chambre. Elle est à l’opposé de la sienne. Dans l’autre appartement, nos chambres étaient collées l’une à l’autre. Je n’ai jamais dormi loin d’elle. En chemin, je jette un coup d’œil à la cuisine. Elle est encore plus impraticable que le salon. Des piles d’assiettes enrobées dans du papier journal
encombrent l’étroit plan de travail. Le frigidaire, poussé entre la table et le placard mural, ressemble à un iceberg à la dérive. L’évier déborde de casseroles, d’ustensiles et de plats de tailles et de formes diverses.
Je retrouve ma mère à l’entrée de la chambre, le bras tendu vers l’intérieur de la pièce.
Ça te plaît ?
Je reconnais la moquette bleu mer. Les sacs de voyage où j’ai rangé mes jouets et mes vêtements, ma petite table à dessiner sont rassemblés sous la fenêtre. Contre le mur, je découvre deux lits superposés.
Ma mère me regarde, elle espère que je dise quelque chose. Son souffle court trahit son enthousiasme, son impatience est encore lisible sur son visage. Je reste un moment sans comprendre. Une chambre à deux lits. Je n’ai ni sœur, ni frère, ni perspective d’en avoir. J’ai toujours connu ma mère seule. Jusqu’ici, elle ne m’a présenté ni amies, ni amoureux. Elle n’en parle pas non plus. Une hostilité imprécise naît en moi, mêlée de crainte et de colère, comm
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J'entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l'échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu'au milieu du matelas. Je me terre dans l'angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d'identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s'arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger.
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Quand elle court, sur le terrain de jeu, en classe, quand elle étire son dos, et son visage, ses lèvres tendues vers le monde, et son corps alerte, sa souplesse quand elle se déplace, sa vélocité, sa vitalité pleine, le balancé de ses épaules, le dessin de ses muscles sous son pantalon. Je deviens jalouse, comme si je convoitais un objet précieux, un trésor à l’air libre. Je tiens au creux de ma main un grain de sable que j’ai peur de voir s'envoler. Je découvre d’autres amplitudes en moi, les intensités de la joie, les balbutiements du désespoir. Des images me viennent qui ne sont pas les bonnes. L’embrasser sur la bouche, la prendre dans mes bras. Ce n'est pas ça, Issa et moi. Ce n'est pas une route qui va quelque part. C’est un champ de hautes herbes qui s'étend sur des kilomètres, C’est une ronde, un vol d'oiseaux emmêlé dans les nuages. C’est une panthère au pelage profond comme la voûte céleste, doux comme l'océan. C’est une bouchée de crème et de génoise moelleuse. Je la contemple, trahie et soumise. Je suis patiente, à défaut de savoir quoi faire. Il faudrait que je sois capable de me lever, de m’avancer vers elle et que ce soit simple. Je ne connais pas les gestes d’un champ d'herbes sauvages, ni ceux d’une ronde d'oiseaux.
P. 49
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En quelques semaines, c’est devenu une habitude. Tous les matins, nous nous retrouvons au même endroit, sur le rebord de pierre froide de l’île au saule. J’arrive la première, j’attends qu’Issa passe la porte du hall. Je ne parle à personne de peur de la manquer. Elle apparaît, ses cheveux noués en tresses rebondissent sur son ventre, ou bien ils volent derrière elle, pris dans une queue-de-cheval. Elle jette son cartable par terre, elle s’assied à côté de moi. Ses fesses touchent les miennes, nos genoux se cognent. Nous parlons, son nez et sa bouche sont tout proches des miens, sa respiration chaude se répand sur mon visage, semblable à un rayon de soleil. Une torpeur irrésistible, des frissons délicieux prennent mon corps. Ça commence au sommet de mon crâne, puis ça descend le long de mon cou, ça remonte sur mes joues, mes pommettes, ça dégringole dans mon ventre, je serre les cuisses pour que ça reste à l’intérieur. Quand c’est trop fort, je plonge mon pouce et mon index dans ma bouche, je m’assieds sur mon talon et je gigote sur la semelle de ma chaussure.
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Je cherche à distinguer ce qui se passe dans la pièce voisine. La voix du médecin résonne étrangement, elle fait presque trembler l'air. Celle de ma mère est plus basse, plus discrète. Ils échangent des mots que je ne connais pas. Ma grand-mère va mourir, je l'ai bien compris. Je ne saisis pas pourquoi on veut à tout prix m'éloigner de sa mort. Comme si elle ne me concernait pas. J'ai l'impression qu'on cherche injustement à m'effacer de l'histoire. J'ai besoin d'en voir le plus possible.
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Pauline Peyrade – Quand l’art dramatique se saisit du réel 15 mars 2022 Le point de départ de l’écriture, c’est l’histoire d’une enfant de onze ans qu’un tribunal français a reconnue consentante à son propre viol. Devenue jeune femme, l’écriture l’invite à se faire justice elle-même. La pièce de Pauline Peyrade met en scène la jeune fille et son agresseur dans une situation qui dérape, qui n’est pas préméditée, mais dont il demeure responsable, pour ne pas dire coupable. Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. Parce qu’il y a des points de non-retour, des intolérables. Parce qu’on exhorte les soumis·es à la non-violence, au silence, afin d’éviter que les forces ne se renversent. Parce que les femmes qui usent de la violence deviennent aussitôt des monstres. Parce qu’à la violence répond la violence, implacable, furieuse.
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