Un dialogue d'une extraordinaire vitalité entre le penseur de l'anthropologie de la nature et le chercheur aquarelliste des luttes sociales et écologiques contemporaines : par l'acuité de l'échange et aussi par le soulignement narquois et poétique jailli des dessins, un moment intense et décisif.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/16/note-de-lecture-
ethnographies-des-mondes-a-venir-philippe-descola-alessandro-pignocchi/
Politiser l'anthropologie de la nature. Pourquoi l'anthropologie ? Foisonnement des modes d'organisation sociale. D'autres manières de faire monde. Fissurer le territoire naturaliste. Economie et naturalisme. Défaire la suprématie de la sphère économique. Multiplier les jeux de valeurs. Territoires autonomes et États. Diversité. le chamane et le scientifique.
C'est en onze chapitres ainsi titrés que
Philippe Descola, anthropologue mondialement connu ayant créé presque à lui seul le concept paradoxal et désormais célébré d'anthropologie de la nature, et
Alessandro Pignocchi, chercheur en sciences sociales et aquarelliste décapant, ont choisi d'organiser le précieux dialogue qu'ils ont conduit ensemble sous le nom de «
Ethnographies des mondes à venir », publié au Seuil fin septembre 2022. En parcourant ensemble les fondamentaux de l'anthropologie politique et des nouvelles philosophies du vivant, et en les projetant sur le moment présent comme vers des futurs divergents et esquissés, ils nous proposent une formidable excursion dans la pensée complexe de ce qui résiste encore et toujours, fût-ce à contre-pente, au capitalisme de la marchandisation terminale. Abondamment et habilement illustré de planches issues des albums d'
Alessandro Pignocchi, que ce soient des trois tomes du « Petit traité d'écologie » ou de la cruelle et joyeuse « Recomposition des mondes » (dans lequel, pendant le confinement de 2020, le gouvernement français prend largement la clé des champs), ce chemin partagé nous conduit aussi bien parmi les travaux les plus solides de l'anthropologie de la nature que parmi les « Soulèvements terrestres » de
Léna Balaud et
Antoine Chopot, les « Manières d'être vivant » ou les trésors diplomatiques de
Baptiste Morizot, le « Libéralisme autoritaire » étudié par
Grégoire Chamayou, l'altérité lue par
Tzvetan Todorov au prisme de la conquête de l'Amérique, l'histoire de l'humanité dégagée de ses oripeaux capitalistes de la fatalité par
David Graeber et
David Wengrow, les résiliences fondamentales et surprenantes d'Anna Tsing, les courses d'orientation de
Bruno Latour ou de
Frédérique Aït-Touati, les institutions repensées par
Frédéric Lordon, les expérimentations néo-zapatistes analysées par
Jérôme Baschet, ou même le précieux travail de
la mésentente chez
Jacques Rancière.
Dans ce dialogue d'une extraordinaire vitalité, même celles et ceux déjà bien familiarisés avec les travaux de
Philippe Descola ou avec ceux d'
Alessandro Pignocchi trouveront leur bonheur et au-delà, tant la complicité des deux penseurs, familiers de leurs propres domaines et superbement ouverts à ceux de l'autre (on songera peut-être, à titre d'illustration, à la belle métaphore poussée par Étienne Davodeau dans ses « Ignorants ») permet une véritable initiation croisée au bénéfice de la lectrice ou du lecteur. Entre la ferme prudence scientifique de l'anthropologue, qui n'empêche aucunement la perspective radicale, et l'enthousiasme combattant du chercheur en sciences sociales familier des zones à défendre, les concepts sont soumis habilement à un feu croisé de confiance, de sincérité où leur épaisseur et leur validité sont résolument testées: une véritable fête de l'esprit et de la lutte, sous nos yeux.
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