Bienvenue dans un monde aussi opaque que brillant (eh oui, c'est pas incompatible, au contraire!) celui des galeries d'art contemporain.
L'enquête fait penser à ces correspondants de guerre 'embedded', c'est-à-dire qui font équipe avec les soldats. Sauf qu'ici, les soldats, ce sont des galeristes. Et on peut dire qu'ils se font la guerre entre eux! Qu'il s'agisse de se battre pour se 'piquer' les artistes en pleine ascension, pour avoir le meilleur emplacement à une foire (la FIAC, Art Basel,...), ou encore, pour attirer les meilleurs clients: des collectionneurs, des vrais. Il s'agit d'éviter absolument ceux qui achètent pour revendre dans la foulée dans une salle des ventes: les enchères, on ne les maîtrise pas. Alors, si par malheur une oeuvre ne trouve pas preneur à bon prix, la cote de l'artiste en prend un coup, et c'est tout le reste de son oeuvre qui va en subir les conséquences.
On apprend une foule de choses sur ce métier, au final très exigeant. Que le chiffre d'affaires des galeries est très mal connu, et que la fraude fiscale y est estimée à 30%. Que la concentration y est à l'oeuvre, quelques poignées de galeries opérant sur toute la planète de l'art (c'est-à-dire les zones où se concentrent les riches, ceux qui peuvent s'offrir ce genre d'oeuvres: l'Europe, l'Amérique du Nord, et l'Asie du Sud-Est), trustent les meilleurs artistes, captant la majorité des transactions. Que ces galeries nécessitent beaucoup de capitaux. Que parfois, les prix faramineux annoncés dans la presse pour la vente d'une oeuvre exceptionnelle... ne sont pas du tout ce qui a été réellement payé. Il existe même des cas où la vente annoncée... n'a pas eu lieu!
Très complet, le livre analyse également les stratégies d'implantation des galeries: on voit l'importance que le centre Beaubourg a eu sur la multiplication des galeries dans le Marais, l'émergence de Chelsea à New York. La tactique de notre François Pinault national est abordée en passant (on comprend indirectement comment il valorise son patrimoine...) le rôle des musées et des critiques n'est pas oublié, on voit que les critiques indépendants sont de moins en moins nombreux, car les journaux et les revues d'art ne paient guère.
En parallèle, ce livre est aussi une réflexion sur la manière de mener une enquête sociologique. Peu de statistiques ici, l'auteur est intégré dans le milieu de l'art, ce qui lui permet de rapporter des propos de galeristes, de collectionneurs... Un bouquin vivant, et facile à lire.
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