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Un tueur engagé pour tuer un enfant diabolique. Un botaniste amoureux de sa plante carnivore. Un homme qui a le don d'entendre tout ce qui se dit de lui. Une femme-orange qui se laisse boire par son amant... La cinquième nouvelle du recueil, intitulée Quiproquopolis, livre la clé de l'ouvrage : le quiproquo, « une chose à la place d'une autre ».
QUIRINY inverse les rôles, substitue les fonctions et enferre ses personnages dans des jeux de dupes. Les miroirs s'érigent en justiciers conjugaux, et les tribus d'Amazonie plongent les linguistes dans la perplexité.
Rien n'est aussi simple qu'il aurait du l'être. Les Choses refusent de rester à leur place et de remplir la fonction que la logique et l'habitude leur avaient assignée.
QUIRINY n'en reste pas là et fait le pas qui, de la substitution, mène à l'
imposture. Ce court recueil fourmille d'artistes imaginaires radicaux. Génies incompris, ils repoussent les limites de leur art jusqu'à l'extrême, c'est-à-dire jusqu'à l'auto-anéantissement. Tel compositeur mythique, dont l'instrument titanesque révolutionne la création sonore, enthousiasme le public avant le crash final. Tel peintre contemporain intègre sa propre désintégration à sa dernière oeuvre.
Ils sont nombreux ces vrai-faux artistes enfin réhabilités : onze écrivains inconnus enfin exhumés, dont l'oeuvre et la vie se confondirent en une même recherche radicale. Citons Alphonse Morceau [1855-1940] qui n'écrivait ses nouvelles que sur des supports en rapport avec son intrigue. Ou Benoit Sidonie [1915-1958], ami d'
André Breton, qui détruisit ses propres récits pornographiques, si scabreux qu'ils le faisaient lui-même vomir.
Et puis il y a l'extraordinaire et récurrent Pierre Gould. Leader d'une société secrète d'esthètes fascinés par les marées noires. Collectionneur d'ouvrages rares écrits par des écrivains imaginaires. Auteur lui-même, et notamment du lipogramme le plus contraignant du monde, l'Histoire d'un dormeur dont un extrait, « zzzz, zzzz, zzzz » [1], résume le contenu sur trois cents pages.
Pierre Gould est drôle, extrêmement cultivé, et pourvu d'un système pileux déconcertant et coloré.
Le premier recueil de
Bernard QUIRINY,
L'Angoisse de la première phrase [Phébus, 2005], avait été remarqué par les amateurs de fantastique, et déjà on citait
BORGES. On y notait l'élégance de la langue, la subtilité du propos, le goût de la citation sûre, la référence littéraire [
Marcel AYMÉ, Flann O'BRIEN], et l'assassinat de l'écrivain espagnol
Enrique VILA-MATAS, auteur qui a fait de la littérature elle-même son sujet, et parfois le personnage central de ses oeuvres.
Sans rancune, VILA-MATAS ressuscite et signe la préface de ce nouveau recueil, paraphrasant presque son meurtrier : « Je prépare depuis des années une Histoire générale du vide, mais l'angoisse d'en écrire la première phrase me paralyse. » Puis il conte quelques faits d'armes de Pierre Gould, et affirme être l'auteur de
L'Angoisse de la première phrase. Un prêté pour un rendu.
Ces jeux littéraires forment la trame du recueil. Et il est nécessaire d'en goûter la saveur pour apprécier l'ensemble. Subtils, malicieux, les
Contes carnivores se doivent lire avec circonspection. A passer trop vite sur ces 245 pages, on pourrait avoir le sentiment qu'il ne s'est rien passé là de mémorable. Une galerie d'étrangetés bénignes. Car le jeu de piste n'est pas fléché. Et les références, les récurrences, les boucles littéraires, la mise en abime du propos, ne se perçoivent que si le lecteur fait lui-même l'effort d'y prêter attention.
source : http://www.cafardcosmique.com/
Contes-carnivores-de-Bernard
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