15/03/2018
L’affaire Mayerling , récit d’une guerre entre un immeuble malfaisant et ses habitants, est un roman de la modernité, mais on se dit qu’il pourrait se dérouler aussi en bien en 1960 qu’en 2018, dans une ville indéfinie. Est-ce une histoire plus universelle qu’elle en a l’air ?
Cette ville a un nom : Rouvières. Mais vous avez raison, c’est une ville imaginaire, qui pourrait être n’importe quelle métropole régionale. Ca pourrait se passer partout en France, et à la limite, partout en Europe, voire dans le monde, puisque l’habitat moche et mal conçu est partout le même. C’est d’ailleurs pourquoi les villes se ressemblent de plus en plus, alignées sur un standard de laideur universelle...
La dénonciation du béton déshumanisant, vivace dans les années 70, semble faire partie de ces combats d’hier dont on ne sait dans le fond pas trop s’ils ont été gagnés, ou s’ils sont simplement passés de mode (Y a-t-il encore des pluies acides ? Le trou dans la couche d’ozone est-il rebouché ?) Est-elle toujours d’actualité ?
Le fait que les gens protestent moins contre le désastre urbanistique en cours ne signifie pas que ce désastre a cessé, mais qu’ils s’y sont habitués, ou qu’ils sont résignés – la laideur est tellement entrée dans le paysage que nous ne pensons même plus à nous en plaindre. La principale différence entre la critique 70’s des grands ensembles (cf. I.G.H. de Ballard, etc.) et la situation d’aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus affaire à des tours de 30 étages ni à des cités délirantes à plan géométrique, utopies abandonnées même par les plus cinglés des modernistes (à regret, les concernant). Le béton s’avance sous des formes plus discrètes, mais tout aussi malfaisantes, celle des résidences moyennes comme le Mayerling du roman, qui poussent partout sans qu’on y prenne garde.
Sur un mode particulier, L’affaire Mayerling renvoie aux codes des récits de manoirs hantés ou d’objets maléfiques (on pense parfois à Christine, de Stephen King.) Est-ce un genre que vous affectionnez ? Souhaitiez-vous le renouveler ?
Je n’avais pas de références en tête mais je me suis rendu compte que le roman, d’une certaine manière, actualisait le motif de la maison hantée, à l’ère de l’habitat collectif. Au lieu d’un manoir, ou d’un château, qui persécute un nobliau, c’est une résidence flambant neuve en béton qui persécute ses copropriétaires. La différence, c’est que dans la tradition gothique du château hanté, le problème ne vient pas du château, mais des fantômes qui l’habitent ; dans « L’Affaire Mayerling », le problème est l’immeuble lui-même, intrinsèquement malfaisant.
Il paraît que « L’Affaire Mayerling » rappelle un peu Stephen King. On me l’avait dit déjà à propos du « Village évanoui ». Je suis flatté de l’entendre, tout en étant un peu surpris : je n’ai pas pensé à lui en imaginant l’histoire et, à part le thème des objets malfaisants, les deux univers me paraissent quant même éloignés l’un de l’autre. Mais j’ai trop le nez sur la page pour juger.
Les habitants du Mayerling, malmenés et même torturés par leur immeuble, se mettent en quête d’un architecte qu’ils ne trouveront jamais. Mais l’architecte du livre, c’est vous. L’auteur prend-il un plaisir coupable à cribler ainsi ses pauvres personnages d’aiguilles ?
Je ne devrais pas le dire, mais oui, c’était amusant d’imaginer des catastrophes à leur faire subir.
Votre roman explore des formes littéraires variées : la publicité, l’interview, le journalisme militant, le carnet de bord, l’email, le forum, jusqu’au journal de pesées… En tant qu’écrivain, que trouvez-vous dans les contraintes offertes par ces différentes formes ?
Comme vous savez, je suis plutôt un amateur de formes brèves. Mais l’histoire du Mayerling impliquait un développement long. J’ai donc eu l’idée de « pulvériser » la narration en petits blocs, afin de fabriquer mon roman par addition de formes brèves. Varier l’allure des blocs, en recourant à tous ces formats, m’a paru une bonne façon de procéder. C’était amusant à écrire. Et comme lecteur, j’aime bien les récits basés sur des principes formels insolites (romans par lettres, par entrées de journal intime, par documents, etc.), je me suis donc dit que ça serait plaisant à lire.
Sans indiscrétion, quelle est votre situation immobilière personnelle… locataire, propriétaire, copropriétaire, d’un appartement ou d’une maison ?
Joker.
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Le passe-muraille
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
Le passe-muraille. Ou n’importe quel livre de Jorge Luis Borges
.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Vous allez rire : Le passe-muraille. Pour le plaisir, ou pour étudier « comment c’est fait ».
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Il y en a trop. Je n’en cite aucun, pour ne pas faire de jaloux.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs?
Une perle méconnue, on la garde pour soi ! Mais allez : Histoires incertaines, d’Henri de Régnier
.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Fétiche, non, mais j’avais mis ceci en exergue de Contes carnivores : « Si ces faits stupéfiants sont réels, je vais devenir fou. S’ils sont imaginaires, je le suis déjà ». Ambrose Bierce
.
Et en ce moment que lisez-vous ?
Des essais de Friedrich A. Hayek, un récit de Jacques Perret et un recueil d`André Dhôtel sur les fleurs.
Découvrez L’affaire Mayerling de Bernard Quiriny aux éditions Rivages :

Entretien réalisé par Guillaume Teisseire.
Jean-Baptiste Andrea, romancier et membre du jury, nous présente "Le
Portrait du baron d'Handrax" (
Editions Rivages) de
Bernard Quiriny, l'un des 5 romans finalistes du Prix Orange du Livre 2022.
Le vote est ouvert jusqu'au 2 juin 2022, le nom du lauréat ou de la lauréate de cette 14e édition du Prix Orange du Livre sera annoncé le 9 juin.
Romans, polars, bandes dessinées, jeunesse
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