LE LANGAGE DES OISEAUX
pour Helen Sutherland
Ce ne sont pas les oiseaux qui parlent, mais les hommes
qui apprennent le silence.
Eux, ils ne savent et n’utilisent aucun langage.
D’une sagesse de feuilles
Dans un vol d’ombres qui se faufilent entre les frondaisons
des arbres,
N’exprimant que les longues pensées du monde,
Leur chant s’élève, absolu, ce chant qui n’a qu’une seule
phrase
Et ne vient pas d’un cœur divisé, douloureux.
Les bêtes aux yeux indifférents et doux,
Éveillées ou endormies, ont la grâce naturelle.
Ordre innocent des étoiles et des marées,
Un élan circule dans le cours du sang.
Obéissant à un seul pouls vivant,
Avec eux, les saints conversent en secret.
Nous, ignorants et bannis, nous restons
À nous émerveiller du vol de l’hirondelle,
À contempler la main ouverte,
À interroger les lignes de la chance :
Chaque destinée tourmente
L’esprit exilé.
NOCTURNE
La nuit vient, un ange est là
qui mesure le temps des étoiles,
les vents sont immobiles, immobiles les heures.
La paix serait d’être étendu
immobile à travers les heures immobiles, aux pieds de l’ange,
sur une étoile en suspens dans le ciel étoilé
— mais le cœur bat à un autre rythme.
Chaque corps étendu, même dépourvu d’ailes,
fait naître et s’envoler un papillon de nuit
aux ailes délicates, aux yeux de pierrerie.
Certains sont jetés sur les rives du jour
et d’autres se perdent dans l’obscurité,
sous les vagues, au-delà du monde, là où affleurent
très loin les îles des élus.
SEMENCE
D’étoile à étoile, du soleil, du printemps, de la feuille,
et des fleurs presque audibles dont la voix est silence,
et dans les simples prés, jaillit la semence de vie.
Maintenant les lys s’ouvrent, et les roses,
délivrées par l’été des tombes innocentes
profondes comme les siècles, imprègnent l’air,
la terre, et le pain de chaque jour.
Le dehors et le dedans maintiennent
les formes vivantes, mais non la force de vie ;
car cet arbre intérieur sacré
qui au cœur des cœurs survit au monde
étend son ombre terrestre jusqu’en l’éternité.
LE VENT DU TEMPS
Le temps est une tempête : les jours déferlent,
Les tombes profondes s’ouvrent d’une heure à l’autre,
Un courant balaie les rues et les maisons
Trop vite pour qu’on puisse y accoster.
Les villes font naufrage la nuit
Et nous sommes abandonnés, noyés dans cette aube vide.
Aucune terre n’est navigable, aucun oiseau visible.
Et sur les rivages, après la tempête gisent
Les débris du bonheur et de nos êtres passés,
Chambres et maisons mortes, coquillages étouffés.
LA CHUTE
C’est la chute, la chute éternelle
d’eau, de pierre, d’oiseaux blessés, le cœur blessé,
la cascade de la délivrance. Les anges tombent
comme des amants de l’azur, séparés,
et meurent de cette même mort qui nous achève tous.
Tombant dix millions d’années, nous nous jetons
dans les bras accueillants du temps ;
notre vol nuptial doit finir dans la mort,
délivrance toujours recommencée
tandis que le mystique acharné retient son souffle.
La surface aux aguets de la mer vivante
toujours intacte, offre le sourire de l’amour,
là où le sang vivant se noie dans son extase,
régi par la nature qui fait bouger les montagnes,
se croyant délivré quand il est le moins libre.
Allons-nous sombrer, sombrer ensemble dans l’abîme ?
Ici, sur le pic, neige et vent nous invitent
à tomber dans leurs gouffres.
La voie est tracée, inconnaissable la fin,
la mer nous emportera là où mènent courants et marées.