Une vie de non-dits

« Ce jour-là, j'ai pleuré les larmes de mon corps, ne voulant pas quitter ceux qui m'avaient donné la vie. J'allais faire partie d'une famille que je ne connaissais pas et respecter leurs règles. A partir de ce moment-là, ma vie était entre leurs mains... » C'est ainsi que s'exprimer l'héroïne du première roman de Swati Rastogi-Mayor, lors de son mariage arrangé en Inde dans les années huitante.
A travers ce livre, on y découvre l'enfance d'une femme qui va s'étonner des différences de traitement entre les hommes et les femmes de sa famille et même plus largement de son pays. C'est un récit poignant qui nous fait entrapercevoir la condition féminine des femmes indiennes au XXe siècle. Honneur, tradition, fidélité, obéissance, respect sont inculqués aux jeunes filles de cette époque afin qu'elles ne remettent pas en cause le patriarcat et le machisme systémique ambiant.
A travers ces lignes, nous allons suivre les étonnements d'une petite fille qui deviendra femme, mère, grand-mère et qui toute sa vie s'indignera de la condition des femmes de son pays. Autant le dire d'emblée, la violence physique va se faire rare dans ce livre, au contraire, l'écrivaine choisit de décaler son regard sur la violence psychologique des petites phrases « remplies de sagesse » lancées par son entourage. A la moindre rébellion, on lui rappellera qu'elle doit avant tout privilégier l'harmonie, la famille et les hommes: paraître et non être. le titre est parfaitement trouvé « une vie de non-dits », une vie muselée où la femme est ce lien, cet outil pourrait-on dire, qui relie deux familles entre-elles; une vie qui ne représente pas une mais des millions de femmes, ailleurs ou ici, qui doivent se battre pour exister en tant qu'actrice de leur propre destin.
La qualité de ce livre se situe à plusieurs niveaux, premièrement par la clarté de sa structure qui rend le livre tout à fait abordable pour des élèves du collège ou du lycée et deuxièmement par le souci pédagogique constant de l'auteure à expliquer les us et coutumes de l'Inde sans avoir à trop se documenter à côté. Sur le fond deux thématiques ressortent clairement, l'injustice faite aux femmes par une société qui nie leur singularité et dans la deuxième partie du livre, la bi-nationalité et la rencontre d'autres possibles dans les sociétés occidentales.
Finalement, toute l'intelligence du livre se résume à ne pas condamner irrémédiablement une société et de porter aux nues une autre, mais d'interroger l'une et l'autre. En ce sens, une analyse littéraire plus fine est encore à faire. Ce livre, dont on ne peut rester insensible, amène un questionnement sur nos pratiques quotidiennes autant chez les hommes que chez les femmes. A son humble niveau, mais pris dans un mouvement mondial qui ne décolère pas, « une vie de non- dits » est un espoir salutaire pour les générations actuelles et futures.
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