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EAN : 978B00AO2AAMC
Walter Beckers (30/11/-1)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
291pages. in8. Relié.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : non usité à l'époque, y compris pour les "Oeuvres Complètes - Tome Ier" de Jean Ray, dont ce texte est extrait

On ne présente plus Jean Ray, immortelle sommité belge d'expression francophone, dont l'imagination aussi délirante que noire nous a valu un monceau de nouvelles fantastiques, d'épouvante et d'horreur, qui restent et resteront parmi les meilleures du genre.

En ce jour de Samain qui précède la Fête des Morts - laquelle, contrairement à une idée solidement ancrée, ne se célèbre que le 2 novembre - il nous a semblé des plus logiques de vous présenter l'une de ses nouvelles les plus macabres, qui nous laissa, quand nous la lûmes vers l'âge de treize ans, un souvenir si inoubliable que nous la relisons avec toujours le même plaisir et le même frisson, et ce même si nous en connaissons toutes les ficelles : "Le Cimetière de Marlyweck."

Oh ! ce n'est pas le style de Jean Ray qui retiendra votre attention. L'homme était complexe mais il avait un faible pour les petites phrases simples Mais, dans ces phrases, vous tomberez bien souvent nez à nez avec une poésie brumeuse et océane qui n'appartient qu'à cet adorateur des ruelles bourrées de petites maisons, qui se perdent dans l'infini au point, parfois, de cesser d'exister pratiquement du jour au lendemain - ou plutôt entre le crépuscule et le lendemain. Poésie dont on voit fuir et s'enfuir les tortillons ennuagés avant de s'effilocher sous les coups de griffe de quelque monstre inconnu et qui, entre deux descriptions de paysages assez calmes, est capable de faire se dresser des repaires honteux où la méchanceté humaine a osé emprisonner les dieux antiques (Cf. "Malpertuis") ou encore des auberges mystérieusement vides où flambent des choucroutes d'un bleu d'une autre dimension. (Notez d'ailleurs que l'auteur belge est à peu près le seul nom européen que cite Stephen King dans son excellent essai : "Anatomie de l'Horreur." N'est-ce pas là une référence qui montre bien la place que Jean Ray a su se tailler même chez les initiés les plus isolationnistes du monde, à savoir les Américains ?)

Jean Ray, par ailleurs auteur des non moins mémorables "Aventures de Harry Dickson" - lesquelles ne nous ont, par contre, jamais beaucoup intéressé tant y sont patentes l'influence du roman-feuilleton et de l'écriture à la Gaston Leroux - c'est avant tout une ambiance et une imagination fantastique qui culmine dans la logique la plus parfaite - c'est-à-dire dans le délire le plus absolu . Qu'il s'agisse des romans qu'il consacra au genre (comme "Malpertuis" ou le plus malicieux "La Cité de l'Indicible Peur") ou de son amas de nouvelles, Jean Ray appartient à l'espèce de ceux qui innovent à partir de phénomènes pourtant connus déjà dans l'Antiquité. Voyez les habiles variantes qu'il tire du thème du fantôme dans "Rues" ou encore dans l'extraordinaire "Ronde de Nuit à Königstein", voyez ce que devient pour lui la Mort dans "La Vérité sur l'Oncle Timotheus" et voyez aussi les abominations, dignes de Lovecraft soi-même, dont il nous accable avec "Le cousin Passeroux", toutes nouvelles que vous trouverez aisément dans "Le Livres des Fantômes", avec 'Le Cimetière de Marlyweck" justement, paru en tome premier de l'Intégrale de l'oeuvre (avec "Les Cercles de l'Epouvante" et "La Cité de l'Indicible Peur") chez Robert Laffont - mais aussi, rassurez-vous, dans d'autres éditions de poche, certainement et dans de nombreuses anthologies. Assurément, Jean Ray a non seulement reçu le Don mais le Grand Esprit des Ténèbres l'a visité pour qu'il le célèbre avec génie, ce qui n'est pas donné à tous les écrivains choisissant le fantastique comme mode d'expression, croyez-en notre expérience. ;o)

Ainsi, ce "Cimetière de Marvyleck" est un hommage, rendu par l'auteur, à la crainte de la Mort qui nous hante tous, à cette Mort que nous attendons tous ... et ce, dès la naissance. Un hommage macabre et particulièrement effrayant, alors que le non moins grand Terry Pratchett (que son nom soit révéré pour les siècles des siècles !), envers qui, nous n'en doutons pas, cette Grande Dame (ou ce Grand Monsieur, comme préfère la langue anglaise) sut se montrer miséricordieuse, avait chois le mode parodique et extrêmement cultivé pour La saluer avec révérence dans le genre Fantasy. Chacun ses goûts, chacun son approche même si les personnages sortis de l'imagination de l'écrivain belge savent, eux aussi, en certaines circonstances, faire preuve d'un humour inattendu.

Néanmoins, le ton est loin d'être à la rigolade dans "Le Cimetière de Marlyweck." Et si vous êtes encore capable de tomber dans les pommes lorsque vous croisez une représentation de notre Mort régionale à nous autres Breton, l'Ankou, ou bien lorsque s'égrènent à vos oreilles, soudainement paniquées, le générique du "Halloween" de John Carpenter ou encore celui du non moins immortel "Silence des Agneaux", du regretté Jonathan Demme, un bon conseil : évitez ce cimetière - purement littéraire en principe mais sait-on jamais, avec Jean Ray aux commandes ? ,o) - car il risque, en dépit de tous les effets spéciaux que vous avez pu avaler entretemps au cinéma, de vous laisser quelques séquelles ...

Histoire simple, schéma simple, personnages simples. Deux remarques cependant :

1) peut-être pour amortir la chute en notre coeur troublé, peut-être pour une raison qui nous échappe, Ray nous dépeint d'emblée son personnage principal et narrateur - la future victime du vindicatif Cimetière de Marlyweck - comme un égoïste qui se réjouit par exemple, en cette saison de neige où s'ouvre la nouvelle, de voir l'un de ses voisins, qu'il n'aime pas (mais qui aime-t-il ? ), se ramasser un beau gadin sur le trottoir verglacé d'en-face. Un individu donc peu sympathique, aimant sa petite pipe, son bon petit verre de bière ou d'alcool, son petit feu bien tranquille et se réjouissant volontiers, on peut le penser, des malheurs d'autrui - même si l'autrui en question ne lui a rien fait ;

2) ensuite, ce personnage, qui a peu d'amis, recherche par contre passionnément la compagnie d'un certain Peaffy, sur lequel on ne sait et on ne saura jamais qu'une chose : c'est que, féru de curiosités spectrales et du même acabit, il a souvent fourni des pistes intéressantes en cette matière à notre héros. Contre argent comptant, bien sûr mais on ne peut le lui reprocher : après tout, ce faisant, Peaffy court certains risques. Toutefois, et sans qu'on puisse savoir très bien pourquoi - son intérêt pour l'argent, sans doute, toujours susceptible de se transformer en faiblesse - ledit Peaffy ne paraît guère plus sympathique au lecteur que celui pour le compte de qui il cherche, depuis déjà un certain temps, et et pour qui il a enfin fini par dénicher, le fameux Cimetière de Marlyweck.

En quoi ce champ de repos de défunts qu'on suppose dignes de notre respect est-il mystérieux ? Et surtout, pourquoi n'est-il visible que certains jours ? Aucune explication ne nous en est, ni ne nous sera donnée. L'essentiel est que Peaffy a donc fini par découvrir un Cimetière de Marlyweck bien décidé à demeurer visible en cette nuit glaciale et que, au bout d'une longue et étrange randonnée dans un tram tout aussi insolite, les deux hommes prennent le temps de se réchauffer un peu à l'auberge qui avoisine le cimetière. Peaffy, sous le prétexte qu'il en a plein les jambes - après tout, il court depuis le matin en quête du cimetière - préfère demeurer dans la douce tiédeur de l'auberge tandis que son compagnon, piaffant d'impatience, se précipite pour visiter la macabre attraction qu'il veut ajouter à tous ces lieux inconnus et énigmatiques qu'il a déjà eu l'effarant bonheur de parcourir grâce aux bons soins de son cher (et peut-être unique) ami Peaffy.

Dès la grille, le narrateur est servi en mystère. Il a beau carillonner - car l'on est prié de prévenir le gardien des lieux - rien n'y fait. Fort heureusement, il trouve à se glisser à travers la grille d'entrée, résolu à regarder les choses 'd'un peu plus près. La vue d'une immense statue de bronze, représentant la Mort portant dans ses bras un sablier, statue dont le vert-de-gris du temps a dévoré les traits, ce qui confère un maximum de vérité à son rictus et à ses orbites creuses, est la première chose qui s'impose à sa vue. Cet esprit libre ne s'en assied pas moins sur une tombe, non loin de ladite statue, et sort sa pipe en regardant à gauche, à droite et en adressant parfois la parole à son singulier compagnon. A un certain moment, il a comme l'impression que la statue s'est rapprochée et, non sans une certaine surprise, il constate qu'elle porte également une faux au tranchant solidement aiguisé. Ensuite ...

Ensuite, nous vous en avons assez dit. Ah ? Vous voyez le coup venir ? Oui, c'est vrai. Mais il y a coup et coup. Jean Ray, pourrait-on dire, fait du neuf avec du vieux mais c'est le propre de l'artiste. Quand on le fait avec talent, c'est déjà pas mal. Mais, chez l'auteur belge, on ne peut parler que de génie pur et simple. Bonne lecture et un conseil : évitez ceux qui vous inviteront à visiter de nuit le Cimetière de Marlyweck ... ;o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... Je ne revis pas Peaffy et j'en fus fort marri, car il me devait bien des explications au sujet du cimetière de Marlyweck.

L'hiver était venu, et je me cloîtrais dans ma bonne maison chaude et agréable ; j'allais y retrouver ma paix ancienne quand le malheur fondit sur moi de la façon la plus formelle.

Je fumais ma pipe, je buvais un bishop fort bien conditionné et je terminais la lecture d'un livre plaisant quand j'entendis une rumeur inattendue s'élever dans le jardin. C'étaient des bruits sourds et lents, comme font les paveurs qui travaillent le sol avant d'y poser les cubes de grès des pavés. Les nuages étaient bas, mais le premier quartier de la lune apparaissait par intervalles, entre deux bancs de nuées. Je collai mon visage contre un des carreaux et alors, au milieu de la pelouse gazonnée dont je suis si fier, je vis se dresser une stèle rouge. Ah ! Je la reconnus ... C'était le bout de colonne qui avait failli me briser les jambes au sortir du cimetière de Marlyweck.

La stèle se dandinait grossièrement, à la manière d'un matelot ivre, mais l'ignoble chose n'était pas seule ; autour d'elle se glissaient, comme de singulières méduses, les petites pierres tombales du cimetière des enfants.

Toutefois, ce ne fut pas la peur qui domina mes sentiments ce soir-là, mais la colère ; j'aimais la bonne ordonnance de mon jardin et, de le voir en proie à ces monstruosités de marbre et de granit, mon sang ne fit qu'un tour.

Je possède un gros revolver et les balles en sont puissantes. Par six fois, il tonna dans la nuit tranquille et la vision s'évanouit. Mais le lendemain, je trouvai ma pelouse défoncée, mon mélèze déraciné, mes sapins en copeaux et de larges éclats de granit rose parsemant le jardin.

En sus de cela, j'eus fort à faire pour obtenir de mon voisin, Higbee, qu'il ne porte pas plainte contre moi pour tapage nocturne. ... [...]
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[...] ... Mes regards avaient été attirés par une lourde statue verdâtre, d'une taille double d'un homme ordinaire ; le personnage tenait un sablier monstrueux et s'accoudait à une haute dalle funéraire.

- "Tu n'est pas beau," dis-je, "mais tu es grand et fort et tu dois avoir du poids."

Je ne sais quel cataclysme ou quel sournois travail des intempéries avait mutilé le visage du symbolique gardien de mausolée, mais c'était vraiment du vilain ouvrage, car la face sombre, mangée de vert-de-gris, ricanait hideusement.

Sur la dalle, je lus un nom : La Famille Pebblestone.

- "Les Pebblestones devaient être des gens à la bourse dorée, pour s'offrir un pareil toutou d'Outre-Tombe," me dis-je ; et je m'assis sur la dalle, pour fumer une pipe, car l'air était particulièrement froid et humide.

Devant moi, barrant la pelouse, se trouvait une véritable haie de stèles et de fûts tronqués ; au-delà, je voyais une sorte de large névé dans lequel je crus reconnaître un champ de tombes d'enfants.

- "C'est meublé comme pas un !" répétai-je ; et je me mis à fumer avec grand plaisir.

A ce moment, je me sentis frôler le dos. Je me retournai et je constatai avec un peu d'étonnement que la statue de bronze se trouvait plus près de moi que je ne l'avais pensé.

De plus je vis que l'homme de bronze serrait une formidable faux dans la main, alors que je ne lui avais vu tenir qu'un sablier.

Je me souvins alors que la faux accompagne toujours l'horloge à sable et je m'accusai d'être mauvais observateur. Je lui tournai le dos et découvris un nouveau sujet d'étonnement.

La haie de stèles et de fûts tronqués s'était sensiblement déplacée vers ma droite et se dressait entre moi et la grille. Quant au névé des enfants, il semblait ondoyer en une mer lente et livide et gagner, lui aussi, l'issue du cimetière.

Je me levai et constatai avec un peu d'effroi qu'en faisant ce mouvement, j'avais dangereusement frôlé la faux de fer.

- "Diable," me dis-je, en voyant que le tranchant de cet engin était diantrement net, "on ne devrait pas laisser de pareils joujoux aux mains de bonshommes, même s'ils sont en bronze."

Je me dirigeai vers la sortie mais à présent je devais me rendre compte que ma vision ne me leurrait en rien : stèles et fûts se dressaient sur mon chemin de retour. Quant au cimetière des enfants, il semblait le plus acharné à me barrer la retraite : il avançait visiblement, dans un mouvement de reptation de plus en plus accéléré.

Je pris le pas de course et j'arrivai à la grille au moment où un bout de colonne de marbre rouge se jetait devant moi, comme un gros python acéphale. Je l'évitai d'une largeur de main et gagnai la grille ; elle claqua derrière moi avec un bruit féroce et, en me retournant, j'eus l'étrange vision du colosse de bronze, agrippé d'une main aux barreaux et brandissant sa faux, avec une rage hideuse à voir. ... [...]
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