Sans doute jamais plus vous n'entrerez dans une BD par les narines de son héroïne...
Cette première oeuvre d'une Canadienne expatriée à Bruxelles a d'abord été publiée en anglais. Sa traduction en français a ceci de merveilleux qu'elle marque l'alternance entre néerlandais et français par des lettrages différents. Une démarche rare qui témoigne déjà, pour l'héroïne, de la complexité d'exister dans un monde où on se parle sans se comprendre.
Passé ce détail, on appréciera le graphisme, très nettement inspiré de la BD indé américaine (on pense à Burns et à ses traits épais, aux monstres d'
Emil Ferris ou à cette façon très
Chris Ware de découper une planche en plusieurs temps dans un seul et même dessin) bien plus que des figures tutélaires franco-belges. Tant mieux, tant mieux: ça fait respirer. Y a aussi du Bruxelles underground dans ces pages, mis-en-scène à travers les errances des personnages. Quand on (re)connaît rues, ponts, quartiers, c'est jouissif.
Enfin, il y a les thèmes sociaux: homosexualité, déterminisme social, féminisme, capitalisme, anarchisme, euthanasie, quête de soi, révolte. C'est noir, c'est glauque, c'est sale. Dans ces pages, on vomit, on se came, on picole, on harcèle, on se mutile, on pisse le sang, on chiale, on meurt. Ça prend à la gorge. Et ni le fuchsia omniprésent ni le turquoise des flashbacks n'atténuent cette violence.
Globalement, ça se laisse lire. Il y a cependant ce bémol, inhérent à une première oeuvre: parfois, la logique narrative dérape, le fil du récit est trop ténu, on peine à suivre la trame et on se perd un peu. Légèrement. C'est toutefois sans heurt pour apprécier "
Morveuse". Une claque. Une dérouillée. Une noyade. On s'en sortira pas en se mouchant vite fait.